15/04/2020




GUÉMENÉ - LORIENT
UNE HISTOIRE TIRÉE PAR LES CHEVEUX ou "JE T'AIME MOI NON PLUS"


Ho ! Ho ! Du calme ! On ne parle pas de foot !
...mais d’histoires d’amour qui tournent rond comme « mon manège à moi » (Edith Piaf)
mais parfois tournent au vinaigre. Du rire aux larmes.


Chacun sait que la fondation de Lorient remonte à Louis XIV et son bon ministre Colbert. La Compagnie des Indes s’installe à Port-Louis (visite indispensable du musée). Puis c’est l’avènement du nouveau port, en face, à l’embouchure là où le Scorff et le Blavet mêlent leurs eaux à celle de l’océan. Le port, le développement de la ville attirent des commerçants, des artisans, des ouvriers (entre autres des maçons), des marins pêcheurs et des marins de la Royale. Un contingent de prêtres et autre clergé séculier vient tempérer les turbulences de tout ce beau monde. L’Orient devient Lorient.
  
  
Guémené ne prend pas part à cette aventure. Les princes de Rohan-Guémené ne manifestaient aucun goût pour le négoce et les affaires maritimes. Si l’on en croit Paul Le Bourlais *, Louis VII puis Charles II s’embrouillent dans leurs droits et ne tirent pas grand profit de l’opération. Le dernier laisse l’administration du domaine à des fermiers sans scrupules. C’est l’époque où le château de Guémené s’en va en morceaux, donjon démoli en 1694, puis les pierres décoratives disparaissent…
Comme partout en France (et surtout en Belgique), les populations, qu’elles vivent en ville ou à la campagne, respirent mieux « quand le vent est au rire, quand le vent est au blé, quand le vent est au sud, écoutez-le chanter » (et pas seulement le plat pays qui est le sien).
Avec le temps, les Guémenois et les Guémenoises le ressentent de plus en plus vivement ; le mouvement qui enivre vient du sud, de là-bas où le Scorff se perd dans la mer. Non pas que la vie au Pays Pourlet ne mérite pas d’être vécue. Au pays des Rohan, on sait tenir son rang. Les costumes en remontrent à bien des cantons bretons, les produits de la terre et de l’artisanat ont bonne réputation, le cidre n’a pas son pareil, l’andouille non plus, les sabots chaussent toute la population et même les marins de Lorient (taillés dans le tilleul, bois tendre où le sable s’incruste facilement et évite les dérapages sur le pont des navires). On sait rire et chanter, danser au son du biniou et de la bombarde aussi bien le jabadao que la gavotte que le monde nous envie *.

Nos foires et nos marchés attirent les marchands de tous bords. Ils apprécient nos auberges, nous apprécions leurs tissus, leurs nouveautés, les rubans de velours et les mille boutons, la faïence de Quimper et les sardines à l’huile de Quiberon. Les maquignons ne nous effraient pas et qui s’y frotte s’y pique. Quelle ambiance ! Ça dure comme ça depuis longtemps et maintenant en cette fin de siècle (le 19ème) les drôles de types en casquette viennent poser leurs étranges chambres photographiques jusque sur nos pavés et s’envelopper de noir pour saisir notre joie de vivre et aussi nos misères.



De retour à la maison, les gars en parlent et, à la veillée ou au cabaret, ils écoutent les anciens raconter leurs souvenirs du service militaire au 62è. D’ailleurs la conscription n’oublie personne. Dans leur grande masse, les jeunes se contentent de voir venir ; ils rejoindront la caserne de papa à Lorient. Les plus aventureux n’attendent pas. Qui leur a monté la tête ? Simplement la vie. Les plus mal lotis, les orphelins dépendant d’un tuteur pesant, des jeunes ouvriers sans perspective ou simplement sans métier qui leur plaise, des fous de liberté et d’aventure sauteront allègrement le pas. A défaut de descendre à la voile un Scorff qui fait sa course en père peinard, ils prendront le premier train. Du moins à partir de 1905 ; avant ils se contentaient de la voiture de poste. Bon, les voilà à Lorient. Le parler breton n’est pas le même mais ils trouveront sans difficulté le quartier d’enrôlement, c’est balisé par un nombre impressionnant de – reposoirs - en tout genre « le Colbert », « la Pomme d’Or », « la Croix St Barthélemy », « le Bar de la Marine », « Au Lion d’Or », « le Chien qui fume », « le Coup de Tabac », « la belle Lorientaise », « le Pompon Rouge », « Au Bout du Monde ». Tout un programme !


Pierre Bigoin, serrurier à Guémené, en prend pour quatre ans dans la compagnie des ouvriers d’artillerie coloniale. Louis Le Galloudec, cultivateur à Persquen, signe pour cinq ans, affecté au 3è dépôts des équipages de la flotte. Joseph Chevanche, de Ploërdut, cultivateur, fait escale à Lorient et rejoint Brest, le 19è, près de son oncle percepteur. Pierre Morvan, chauffeur à Lignol, embarque au 1er d’artillerie de marine. Jean Marie Le Cotonnec en prend aussi pour cinq ans. Et combien d’autres, il suffit de consulter les registres des fiches militaires de nos gars ! Chaque contingent apporte son lot.
Certains quitteront le port pour de grandes aventures. Plus besoin de jeter une bouteille à la mer pour marquer son passage. Untel envoie une carte postale du Tonkin, cet autre de Madagascar. Mathurin Morel explore le djebel algérien. Jean Le Brun, quartier maître torpilleur à bord du « d’Entrecasteaux », escadre de l’Extrême-Orient, reçoit quelque part aux abords de la Chine, une carte de son fils François censée lui rappeler le pays, une figure familière de Guémené, le nain Mathuline.


Ils en bavent mais ne regrettent rien. Beaucoup rempilent à l’issue du contrat. Rangés des corvettes ou encore marins, nous les retrouverons, comme les autres, mobilisés en 1914. Ceci est une autre histoire…


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Les filles ne participent pas d’un recensement de classe à leurs 20 ans. L’exotisme leur est en principe refusé. Pourtant, certaines, et sans doute pour les mêmes raisons que les garçons fougueux, tentent la grande aventure vers les villes. Lorient n’est cependant pas la première destination choisie. On a déjà évoqué la question de la filière parisienne très encadrée par la hiérarchie catholique (voir blog).
Marie-Anne Fortune, puisqu’il faut la nommer, ne choisit pas Lorient au hasard et encore moins pour être bonne et pousser le landeau Cours des Quais comme le font nombre de ses compatriotes.



J’ai déjà raconté sa vie sur le blog * en novembre 2018 dans l’épisode consacré à son fils Robert Le Bacquer, mort à la guerre en 1918, quelques mois après son mariage. Je n’y reviens pas. Elle s’est forgée une solide expérience du commerce à Lorient et rentre à Guémené avec un mari cordonnier, de dix ans son aîné.
Aujourd’hui, je veux m’arrêter sur un aspect pas banal de son activité professionnelle commerciale, signalé dans le Didot-Bottin 1917 (bottin des commerçants) : la collecte et le commerce des cheveux.
Toutes les personnes qui ont fouillé un jour le déballage d’un marchand de cartes postales du Morbihan seront tombées en arrêt devant ces témoignages d’un temps où les perruques de qualité étaient en cheveux naturels. Ces cartes, par exemple.
  
D’abord au Pardon de St Nicodème.

C’est un homme qui officie. Très sérieusement. L’entourent femmes et jeunes filles, les unes en coiffe, accompagnatrices, les autres en cheveux, celles qui vont au sacrifice, avec le sourire, reconnaissons-le. Elles palpent et soupèsent les coupons de tissu, font le choix de leur troc.

Autre décor, au pardon de Ste Anne des Bois.

 Ici on reconnaît l’équipement forain, la calèche prolongée d’un auvent destiné à protéger les articles qui constituent la contrepartie du troc. La position à genoux de la jeune fille, bras ballants, donne à la scène un caractère qui confine au malaise. Il s’agit bien d’un sacrifice et le visage tendu ne dément pas. On l’encourage et on sourit : « Te fais pas de bile, ça repoussera ! ». La « perruquière » pose pour le photographe, de Lorient, notons-le, c’est dire si c’est couru. Le cheval blanc, dûment bichonné, attend patiemment la fin de la partie.
Marie-Anne Fortune a pignon sur rue à Guémené. Je ne crois pas qu’elle pratique cette activité à l’occasion des pardons, j’imagine qu’elle se déplace à la demande. La voici prise sur le vif dans une scène exemplaire. Elle porte une tenue de citadine, une longue robe élégante (et des sabots). On est bien loin des parades et événements déjà rapportés où elle exhibe costumes et coiffes admirables.
Le déroulement des affaires ne diffère pas des scènes précédentes, à part peut-être une communion plus marquée entre les participants groupés sur une aire tranquille, entre un vieux mur et un pailler.


Des tissus d’échange, posés sur le muret et partiellement déroulés constituent le fond du décor. Mais on en déploie bien d’autres, un grand coupon tenu entre les filles et le jeune garçon, un plus modeste examiné par deux fillettes, un autre qu’on mesure avec un mètre en bois. A noter la variété des motifs, il y en a pour tous les goûts et tous les usages. Marie Anne prend la pose, les ciseaux fermés par sécurité et relève une longue mèche. Très jeune, la patiente regarde sur le côté, cachant sa larme ou son sourire. On compte pour le moment quatre candidates qui ont jeté la coiffe pardessus le moulin.
On ne sait pas précisément la date de cette séquence qui se situe sans doute dans les premières années du vingtième siècle. En effet, Marie Anne apparaît beaucoup plus jeune que sur les images du concours de costumes * ayant eu lieu à Nantes en 1910. Son compagnon de travail est probablement son cousin Le Rouzic, l’homme de la photo « Guémené vous salue ! ». On finira cette histoire de cheveux sur son coup de chapeau.



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On s’en souvient peut-être, l’image qui précède relève d’une série de cartes très étoffée où l’on voit ce jeune homme mener son train sur les pas de ses cousines. Nous présentons la suivante pour deux raisons : 1) le profil du jeune homme l’identifie sans ambiguïté dans la scène des cheveux ; 2) « Celle que le sort a choisi » n’est autre que Marie Françoise Fortune, la sœur de Marie-Anne.


Sur la photo, nous sommes en 1909 ou 1910, elle a enfin retrouvé des couleurs.

La jeune femme a aussi vécu l’aventure lorientaise, sans doute partie sur les traces de sa sœur quand elle a eu dix-huit ou vingt ans. Mais les choses ont mal tourné. Elle habitait rue St Pierre, pas loin du pont Gueydon. En février 1899, elle accouche d’un garçon à l’hospice civil, déclaration en mairie par le receveur de l’établissement et deux employés.
« Oh ! Marius ! » Mais ici, pas de maître Panisse.
Retour à Guémené où elle se réfugie chez son père et ses autres sœurs, à la Motten. Le bébé ne vit que deux mois. Marie n’aura pas d’autre enfant. Je n’aurais garde d’incriminer les accoucheurs puisque l’établissement fournira à la France sa doyenne de 2012 comme rapporté par le Télégramme en date du 11 février (taper hospice civil de Lorient sur internet), une certaine Marie-Thérèse, née également d’une fille mère en 1899.
Marie Françoise épousera Léon Monnier en 1913 à Guémené. Voici une belle photo qui présente les deux sœurs dans le parc du château quelque temps avant le mariage. Derrières elles, le futur, et son frère Pierre, second mari de Marie-Anne ; et Robert Le Bacquer encore en culottes courtes.


Léon sera tué à la guerre en 1915. Marie-Françoise se remariera en 1917 avec Jean-Marie Bronnec. Femme vive et de bon caractère, elle finira sa vie avec lui à l’hôpital de Guémené dans le premier logement aménagé pour héberger les vieux couples.

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PS : La guerrière des « gentillesses bretonnes » n’est pas une fille de Guémené. Nous avons eu un mal de chien à la persuader de quitter sa parure pour endosser la coiffe et le haut du costume Pourlet. Mais, comme vous avez pu le constater, elle a tenu à garder ses manchettes qui, prétend-elle, lui confèrent une force de frappe et de dissuasion efficace. Marie-Fortune, elle, n’a pas trouvé la bonne pointure.

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Hé ! Lorient, c’est quand même la classe ! 
Regardez-moi ces armoiries, et sa devise…


« Ab oriente refulget », quelque chose comme « de L’Orient resplendit la lumière ».
A quoi César, le père de Marius, répond : « Actibus immensis urbs fulget Massiliensis », signifiant « La ville de Marseille resplendit par ses hauts faits ».
Admettez avec moi, pas grand-chose entre les deux, à peine l’épaisseur d’un cheveu….


1 commentaire:

  1. Merci pour votre témoignage historique, il en faudrait plus comme cela

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