GUÉMENÉ - LORIENT
UNE HISTOIRE TIRÉE PAR LES CHEVEUX ou "JE T'AIME MOI NON PLUS"
Ho !
Ho ! Du calme ! On ne parle pas de foot !
...mais
d’histoires d’amour qui tournent rond comme « mon manège à
moi » (Edith Piaf)
mais parfois tournent au vinaigre. Du rire aux larmes.
mais parfois tournent au vinaigre. Du rire aux larmes.
Chacun
sait que la fondation de Lorient remonte à Louis XIV et son bon
ministre Colbert. La Compagnie des Indes s’installe à Port-Louis
(visite indispensable du musée). Puis c’est l’avènement du
nouveau port, en face, à l’embouchure là où le Scorff et le
Blavet mêlent leurs eaux à celle de l’océan. Le port, le
développement de la ville attirent des commerçants, des artisans,
des ouvriers (entre autres des maçons), des marins pêcheurs et des
marins de la Royale. Un contingent de prêtres et autre clergé
séculier vient tempérer les turbulences de tout ce beau monde.
L’Orient devient Lorient.
Guémené
ne prend pas part à cette aventure. Les princes de Rohan-Guémené
ne manifestaient aucun goût pour le négoce et les affaires
maritimes. Si l’on en croit Paul Le Bourlais *, Louis VII puis
Charles II s’embrouillent dans leurs droits et ne tirent pas grand
profit de l’opération. Le dernier laisse
l’administration du domaine à des fermiers sans scrupules. C’est
l’époque où le château de Guémené s’en va en morceaux,
donjon démoli en 1694, puis les pierres
décoratives disparaissent…
Comme
partout en France (et surtout en Belgique), les populations, qu’elles
vivent en ville ou à la campagne, respirent mieux « quand
le vent est au rire, quand le vent est au blé, quand le vent est au
sud, écoutez-le chanter » (et pas seulement le plat pays qui
est le sien).
Avec
le temps, les Guémenois et les Guémenoises le ressentent de plus en
plus vivement ; le mouvement qui enivre vient du sud, de là-bas où
le Scorff se perd dans la mer. Non pas que la vie au Pays Pourlet ne
mérite pas d’être vécue. Au pays des Rohan, on sait tenir son
rang. Les costumes en remontrent à bien des cantons bretons, les
produits de la terre et de l’artisanat ont bonne réputation, le
cidre n’a pas son pareil, l’andouille non plus, les sabots
chaussent toute la population et même les marins de Lorient (taillés
dans le tilleul, bois tendre où le sable s’incruste facilement et
évite les dérapages sur le pont des navires). On sait rire et
chanter, danser au son du biniou et de la bombarde aussi bien le
jabadao que la gavotte que le monde nous envie *.
Nos
foires et nos marchés attirent les marchands de tous bords. Ils
apprécient nos auberges, nous apprécions leurs tissus, leurs
nouveautés, les rubans de velours et les mille boutons, la faïence
de Quimper et les sardines à l’huile de Quiberon. Les maquignons
ne nous effraient pas et qui s’y frotte s’y pique. Quelle
ambiance ! Ça dure comme ça depuis longtemps et maintenant en
cette fin de siècle (le 19ème)
les drôles de types en casquette viennent poser leurs étranges
chambres photographiques jusque sur nos pavés et s’envelopper de
noir pour saisir notre joie de vivre et aussi nos misères.
De
retour à la maison, les gars en parlent et, à la veillée ou au
cabaret, ils écoutent les anciens raconter leurs souvenirs du
service militaire au 62è. D’ailleurs la conscription n’oublie
personne. Dans leur grande masse, les jeunes se contentent de voir
venir ; ils rejoindront la caserne de papa à Lorient. Les plus
aventureux n’attendent pas. Qui leur a monté la tête ?
Simplement la vie. Les plus mal lotis, les orphelins dépendant d’un
tuteur pesant, des jeunes ouvriers sans perspective ou simplement
sans métier qui leur plaise, des fous de liberté et d’aventure
sauteront allègrement le pas. A défaut de descendre à la voile un
Scorff qui fait sa course en père peinard, ils prendront le premier
train. Du moins à partir de 1905 ; avant ils se contentaient de
la voiture de poste. Bon, les voilà à Lorient. Le parler breton
n’est pas le même mais ils trouveront sans difficulté le quartier
d’enrôlement, c’est balisé par un nombre impressionnant de –
reposoirs - en tout genre « le Colbert », « la Pomme d’Or », « la Croix St Barthélemy », « le Bar de la Marine », « Au Lion d’Or », « le Chien qui fume », « le Coup de Tabac », « la
belle Lorientaise », « le Pompon Rouge », « Au Bout du Monde ». Tout un programme !
Pierre
Bigoin, serrurier à Guémené, en prend pour quatre ans dans la
compagnie des ouvriers d’artillerie coloniale. Louis Le Galloudec,
cultivateur à Persquen, signe pour cinq ans, affecté au 3è dépôts
des équipages de la flotte. Joseph Chevanche, de Ploërdut,
cultivateur, fait escale à Lorient et rejoint Brest, le 19è, près
de son oncle percepteur. Pierre Morvan, chauffeur à Lignol, embarque
au 1er
d’artillerie de marine. Jean Marie Le Cotonnec en prend aussi pour
cinq ans. Et combien d’autres, il suffit de consulter les registres
des fiches militaires de nos gars ! Chaque contingent apporte
son lot.
Certains
quitteront le port pour de grandes aventures. Plus besoin de jeter
une bouteille à la mer pour marquer son passage. Untel envoie une
carte postale du Tonkin, cet autre de Madagascar. Mathurin Morel
explore le djebel algérien. Jean Le Brun, quartier maître
torpilleur à bord du « d’Entrecasteaux », escadre de
l’Extrême-Orient, reçoit quelque part aux abords de la Chine, une
carte de son fils François censée lui rappeler le pays, une figure
familière de Guémené, le nain Mathuline.
Ils
en bavent mais ne regrettent rien. Beaucoup rempilent à l’issue du
contrat. Rangés des corvettes ou encore marins, nous les
retrouverons, comme les autres, mobilisés en 1914. Ceci est une
autre histoire…
O0O
Les
filles ne participent pas d’un recensement de classe à leurs 20
ans. L’exotisme leur est en principe refusé. Pourtant, certaines,
et sans doute pour les mêmes raisons que les garçons fougueux,
tentent la grande aventure vers les villes. Lorient n’est cependant
pas la première destination choisie. On a déjà évoqué la
question de la filière parisienne très encadrée par la hiérarchie
catholique (voir blog).
Marie-Anne Fortune, puisqu’il faut la nommer, ne choisit pas Lorient au
hasard et encore moins pour être bonne et pousser le landeau Cours
des Quais comme le font nombre de ses compatriotes.
J’ai
déjà raconté sa vie sur le blog * en novembre 2018 dans l’épisode
consacré à son fils Robert Le Bacquer, mort à la guerre en 1918,
quelques mois après son mariage. Je n’y reviens pas. Elle s’est
forgée une solide expérience du commerce à Lorient et rentre à
Guémené avec un mari cordonnier, de dix ans son aîné.
Aujourd’hui,
je veux m’arrêter sur un aspect pas banal de son activité
professionnelle commerciale, signalé dans le Didot-Bottin 1917
(bottin des commerçants) : la collecte et le commerce des
cheveux.
Toutes
les personnes qui ont fouillé un jour le déballage d’un marchand
de cartes postales du Morbihan seront tombées en arrêt devant ces
témoignages d’un temps où les perruques de qualité étaient en
cheveux naturels. Ces cartes, par exemple.
D’abord
au Pardon de St Nicodème.
C’est un
homme qui officie. Très sérieusement. L’entourent femmes et
jeunes filles, les unes en coiffe, accompagnatrices, les autres en
cheveux, celles qui vont au sacrifice, avec le sourire,
reconnaissons-le. Elles palpent et soupèsent les coupons de tissu,
font le choix de leur troc.
Autre décor,
au pardon de Ste Anne des Bois.
Ici on
reconnaît l’équipement forain, la calèche prolongée d’un
auvent destiné à protéger les articles qui constituent la
contrepartie du troc. La position à genoux de la jeune fille, bras
ballants, donne à la scène un caractère qui confine au malaise. Il
s’agit bien d’un sacrifice et le visage tendu ne dément pas. On
l’encourage et on sourit : « Te fais pas de bile, ça
repoussera ! ». La « perruquière » pose pour
le photographe, de Lorient, notons-le, c’est dire si c’est couru.
Le cheval blanc, dûment bichonné, attend patiemment la fin de la
partie.
Marie-Anne
Fortune a pignon sur rue à Guémené. Je ne crois pas qu’elle
pratique cette activité à l’occasion des pardons, j’imagine
qu’elle se déplace à la demande. La voici prise sur le vif dans
une scène exemplaire. Elle porte une tenue de citadine, une longue
robe élégante (et des sabots). On est bien loin des parades et
événements déjà rapportés où elle exhibe costumes et coiffes
admirables.
Le
déroulement des affaires ne diffère pas des scènes précédentes,
à part peut-être une communion plus marquée entre les participants
groupés sur une aire tranquille, entre un vieux mur et un pailler.
Des tissus
d’échange, posés sur le muret et partiellement déroulés
constituent le fond du décor. Mais on en déploie bien d’autres,
un grand coupon tenu entre les filles et le jeune garçon, un plus
modeste examiné par deux fillettes, un autre qu’on mesure avec un
mètre en bois. A noter la variété des motifs, il y en a pour tous
les goûts et tous les usages. Marie Anne prend la pose, les ciseaux
fermés par sécurité et relève une longue mèche. Très jeune, la
patiente regarde sur le côté, cachant sa larme ou son sourire. On
compte pour le moment quatre candidates qui ont jeté la coiffe
pardessus le moulin.
On ne sait
pas précisément la date de cette séquence qui se situe sans doute
dans les premières années du vingtième siècle. En effet, Marie
Anne apparaît beaucoup plus jeune que sur les images du concours de costumes * ayant eu lieu à Nantes en 1910. Son compagnon de travail
est probablement son cousin Le Rouzic, l’homme de la photo
« Guémené vous salue ! ». On finira cette histoire
de cheveux sur son coup de chapeau.
O0O
On s’en
souvient peut-être, l’image qui précède relève d’une série
de cartes très étoffée où l’on voit ce jeune homme mener son
train sur les pas de ses cousines. Nous présentons la suivante pour
deux raisons : 1) le profil du jeune homme l’identifie sans
ambiguïté dans la scène des cheveux ; 2) « Celle que le
sort a choisi » n’est autre que Marie Françoise Fortune, la
sœur de Marie-Anne.
Sur la photo,
nous sommes en 1909 ou 1910, elle a enfin retrouvé des couleurs.
La
jeune femme a aussi vécu l’aventure lorientaise, sans doute partie
sur les traces de sa sœur quand elle a eu dix-huit ou vingt ans.
Mais les choses ont mal tourné. Elle habitait rue St Pierre, pas
loin du pont Gueydon. En février 1899, elle accouche d’un garçon
à l’hospice civil, déclaration en mairie par le receveur de
l’établissement et deux employés.
« Oh !
Marius ! » Mais ici, pas de maître Panisse.
Retour
à Guémené où elle se réfugie chez son père et ses autres sœurs,
à la Motten. Le bébé ne vit que deux mois. Marie n’aura pas
d’autre enfant. Je n’aurais garde d’incriminer les accoucheurs
puisque l’établissement fournira à la France sa doyenne de 2012
comme rapporté par le Télégramme en date du 11 février (taper
hospice civil de Lorient sur internet), une certaine Marie-Thérèse,
née également d’une fille mère en 1899.
Marie
Françoise épousera Léon Monnier en 1913 à Guémené. Voici une
belle photo qui présente les deux sœurs dans le parc du château
quelque temps avant le mariage. Derrières elles, le futur, et son
frère Pierre, second mari de Marie-Anne ; et Robert Le Bacquer
encore en culottes courtes.
Léon
sera tué à la guerre en 1915. Marie-Françoise se remariera en 1917
avec Jean-Marie Bronnec. Femme vive et de bon caractère, elle finira
sa vie avec lui à l’hôpital de Guémené dans le premier logement
aménagé pour héberger les vieux couples.
O0O
PS : La guerrière des « gentillesses bretonnes » n’est pas
une fille de Guémené. Nous avons eu un mal de chien à la persuader
de quitter sa parure pour endosser la coiffe et le haut du costume Pourlet. Mais, comme vous avez pu le constater, elle a tenu à garder
ses manchettes qui, prétend-elle, lui confèrent une force de frappe
et de dissuasion efficace. Marie-Fortune, elle, n’a pas trouvé la
bonne pointure.
O0O
… « Ab
oriente refulget », quelque chose comme « de L’Orient
resplendit la lumière ».
A
quoi César,
le père de Marius,
répond : « Actibus immensis urbs fulget Massiliensis »,
signifiant « La ville de Marseille resplendit par ses hauts faits ».
Admettez avec moi, pas grand-chose entre les deux, à peine l’épaisseur d’un cheveu….
Merci pour votre témoignage historique, il en faudrait plus comme cela
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