IL Y A 100 ANS... FIN DE LA GRANDE GUERRE...
Un
tragique destin guémenois, Robert Le Bacquer (1897-1918)
Rescapé
provisoire d’une époque dure aux humbles, englouti par la vague guerrière.
Né à Guémené le 19 octobre 1897, place
Bisson.
Porté disparu à Verdun le 14 septembre
1918.
Une époque dure aux humbles
Dans la famille de Robert, je demande le grand-père Jean René Fortune !
On
va se la jouer au jeu des 7 familles. Tout le monde connaît ça.
Cet
homme exceptionnel a vécu 80 ans et plusieurs vies.
Oui, je suis le
grand-père. Robert est mon premier petit-fils. Nous avons vécu de grandes
aventures ensemble. Evidemment, j’ai eu d’autres petits-enfants, je ne sais
plus trop combien, mais je les ai tous connus. Avant de vous raconter ça en
détails, que je me présente.
J’ai vu le jour en
1843, il y aura bientôt 80 ans. Dans la hutte de mes parents sabotiers au
hameau de Kerbellec en Plouguernevel à l’époque où on creusait le canal de
Nantes à Brest. Quand je suis né, dernier de 10 enfants, j’avais déjà des
neveux (rire) et la tribu Fortune rayonnait sur tout le Pays Pourlet. Nous y
avions nos racines, surtout du hêtre (rire) ; mon père était originaire de
St Tugdual comme ses frères et sœurs. Du côté de ma mère, on taillait et on cousait
au bourg de Séglien ; c’est là qu’ils se sont mariés en 1818, Joseph avait
21 ans, Marguerite Le Goff, 17 ans.
Vous n’avez pas
idée de la vie que nous menions, changeant constamment de campement et de
compagnons de fortune. Ici à St Houarno, avec un cousin de papa, là dans le
bois près du château de Penvern en Persquen, avec tonton Joseph. D’une montagne
à l’autre, de Méné Hamon en Mellionnec à Manério en Locmalo, nous connaissions
tout le pays et tout le pays nous connaissait. Même les renards et les lapins
de garenne ; surtout les lapins. Moi, je suivais la caravane et je
m’instruisais comme un enfant de la balle au milieu de tous ces hardis
gaillards, des vieux, des jeunes, des vigoureux et des éclopés, tous francs du
collier et forts en gueule. Mais, le dimanche, nous ôtions humblement notre
chapeau en entrant à l’église pour la messe ; si nos sabots claquaient sur
le pavage, tant pis, nous n’avions pas d’autres chaussures !
J’avais à peine 4
ans quand j’ai mis les pieds la première fois à Guémené, au mariage d’un
lointain cousin. J’aimais les marchés. J’accompagnais ma mère le long de la Grand’
Rue. Elle s’arrêtait devant tous les étalages et, en bonne couturière,
caressait les tissus, marchandait. Avec l’âge, mon regard se portera plus
volontiers sur les mannequins que sur les coupons… Mais à partir de 1854, mon
frère Guillaume et sa femme nous accueillaient chez eux, rue du Palais où était
née leur fille Perrine. Puis ce fut au tour de frère Joseph de franchir le pas
et le ménage s’installa aussi rue du Palais. Toute la jeunesse se mariait et
bientôt je restais seul avec mes parents. Les grandes expéditions se
ralentirent, nous dressions nos loges le plus souvent dans les bois à proximité
de Guémené, Barach en Ploërdut, Carac en Locmalo, etc. J’avais 18 ans, j’aimais
la danse et les fêtes et je portais la gaîté à toutes les noces qui m’étaient
ouvertes. Et je ne manquais aucun des marchés de Lignol.
Ah, Lignol ! Prétextant je ne sais quels articles pour les travaux d’aiguille de ma mère, je fréquentais avec assiduité le commerce de mercerie bimbeloterie que tenaient Joseph Quéré et sa femme. A vrai dire, j’avais le béguin pour Marie Jeanne, la fille aînée, qui me le rendait bien. En 1864, la maman mourut juste deux mois avant notre noce. Je n’avais pas 21 ans et ma fiancée seulement 18 ans. Nous avons abandonné mon beau-père et la jeune sœur Marie Joseph alors âgée de 12 ans. Lui se remariera bientôt avec une veuve de son âge, mercière à Persquen.
La belle vie
commençait pour Marie Jeanne et moi. Ne me demandez pas quelle mouche m’a
piqué ! Toujours est-il que j’ai fait mon mouton et que nous avons quitté
le pays. Je dis bien le pays, pas seulement Guémené. Allez, je vends la mèche
car je me doute qu’un maudit chroniqueur me pistera dans cent ans, moi et ma
tribu de sabotiers, fouinant dans tous les registres possibles et imaginables, et
finira par découvrir que nous avions levé l’ancre non pas pour Lorient, mais
pour Bordeaux ! Je ne sais plus qui m’avait vanté ce pays où on ne
trouvait guère de sabotiers donc peu de sabots, sauf aux pieds des marins.
Peut-être quelqu’un de la famille, une sœur de mon père avait déjà filé à Nantes.
Ou bien un curé. A cette époque, le clergé invitait volontiers les Bretons
miséreux à rejoindre les campagnes perdues de l’Aquitaine, du côté de Tournon
l’Agenais et de Villeneuve-sur-Lot.
Faire son mouton,
ça veut dire empaqueter tout son barda d’outils dans une peau de mouton. En
plus, nous portions chacun une valise, nos petites affaires. On a pris le train
ou le bateau, je ne me souviens plus. Je devrais mais l’histoire est si
triste ! Quand nous avons eu notre fille Marie Joseph Jeanne, née en juin
65 à l’hospice de la maternité, nous logions rue du Parlement St Pierre dans la
vieille ville, pas loin du quai de la Douane. J’étais journalier sur les quais,
et c’est la sage-femme qui avait fait la déclaration. Par la suite, j’ai trouvé
à exercer mon métier. En janvier 67, est né Louis dans notre nouveau galetas rue
de la Tour des Gassies, situé un peu plus au sud dans le même quartier. Et
puis, tout bascule, comme dans un cauchemar. Jeanne tombe malade et meurt
à l’hôpital St André dans la nuit du 13 au 14 octobre. Le mois suivant, Louis
succombait à l’hospice des enfants assistés. L’aventure bordelaise prenait fin.
Un mois plus tard nous étions de retour au pays, celui de Guémené. Je loge avec
ma fille chez mes parents, rue Neuve, et je reprends le métier auprès de mes
frères et mes neveux.
A Lignol, mon
beau-père ne supporte pas le choc. Il meurt en janvier 68. J’accours depuis
Guémené et, en tant que gendre, je fais la déclaration en mairie. Le notaire
convoque le conseil de famille pour établir la succession ; j’y suis admis
représentant les intérêts de ma fillette et je veille sur ceux de ma belle-sœur
Marie Joseph mineure de 16 ans. Son vieil oncle maternel, Joseph Croizer,
laboureur à St Caradec, est nommé son tuteur.
Il me faut une bonne année pour remonter le
courant, comme on dit. Touen !
Pendant ce temps, la corporation des
tailleurs adopte mon ex belle-sœur. Sans surprise, en juin 69, elle épouse à Lignol
un compagnon du métier, Louis Le Hyaric, originaire et domicilié du bourg d’Inguiniel.
Il compte 28 printemps, elle 17 ; ils s’installent chez lui.
Rassuré sur le sort de Marie Joseph, je
décide de repartir du bon pied. Je connais beaucoup de monde à Guémené, je suis
tranquille car ma mère, bien que vieillissante, s’occupe de ma fille. Je vais à
la messe tous les dimanches et je ne manque pas d’admirer les jolis costumes
que portent les filles du pays. En particulier celui de Marie Louise Le Guernic,
une jeune couturière de 19 ans qui vit avec ses parents, tailleurs, dans le bas
de la ville, rue du Grand Moulin. A 26 ans, sans vouloir me flatter, je suis
encore beau garçon ; depuis mon retour, je garde la moustache, ça donne du
sérieux et du piquant. Tant et si bien que le 23 février 70, nous disons
« oui » au maire avant de nous présenter le lendemain devant le curé.
Une nouvelle vie
commence. J’ai eu des misères mais j’ai échappé au service militaire, j’ai
échappé à la guerre de 70 et au camp de Conlie où les soldats bretons
pataugeaient dans la boue. Une chose pourtant me chagrine, je ne sais ni lire ni écrire, ni
même signer mon nom. Je sais juste danser et chanter, rire, faire des
blagues et mettre de l’ambiance à la fête.
Marie Louise est une épouse charmante et sa famille m’a à la bonne. Nous aurons ensemble 5 enfants. A mesure que la nichée augmente, nous poussons les murs, ou plutôt nous changeons de domicile. Nos deux premiers bébés naissent rue Neuve : Joseph, en 71 et Marie Anne en 73 ; les deux suivantes, place Bisson : Anne Marguerite, en 75, et Marie Françoise, en 78. Le second garçon, Joseph Marie, naîtra rue de la Psalette, en 80.
Je m’entendais bien avec mes neveux Rouzic, tous deux sabotiers ; Jean Marie avait été témoin à mon mariage. Joseph habitait Place Bisson. Lui était à la fois mon neveu et mon cousin car, en 72, il avait épousé ma cousine Perrine, la fille de tonton Guillaume. Il ajouta le titre de parrain au baptême de ma fille Marie Anne. Ce lien très fort persistera après son émigration à Nantes, nous en reparlerons.
Dans cette période, alternent les joies et
les peines comme dans toutes les familles. Du côté Guernic, mariages des
jeunes, frère et sœur de Marie Louise, mais aussi décès de ses parents. Chez
nous, papa a sauté de joie en tenant Joseph sur les fonts baptismaux. Mais
maman est décédée en 72, mon père en 77 ; et, crève-cœur suprême, en 74,
j’ai perdu ma fragile alouette aquitaine, ma petite Marie Joseph.
Nous entretenions des relations affectueuses
avec la famille de mon ex belle-sœur. Louis Hyaric m’accompagnait à la mairie
pour la déclaration de mon petit dernier, Joseph Marie. Quand nous les
rencontrions, mes enfants appelaient Marie Joseph tante, et Louis Le Hyaric,
oncle, et les leurs m’appelaient tonton Jean. Le ménage avait élargi son
activité et mon beau-frère tenait une auberge. Ils n’avaient pas eu de chance
avec leurs bébés, seulement deux garçons leur restaient : Mathurin, né en
73, et René, né en 77.
Et puis vint 81,
l’année de nouvelles catastrophes. Misère, misère !
Marie Louise est décédée après avoir accouché
d’un enfant mort-né. Je me retrouvais veuf pour la deuxième fois et en charge
de cinq enfants ; l’aîné avait tout juste 10 ans et le plus jeune 1 an. Je
ne pouvais pas m’en sortir. Avec l’aide de compagnons, nous avons dressé un
campement de huttes pas très loin de Guémené, au village de Goëhmaria en
Ploërdut, où je me suis installé avec ma smala. Fort heureusement, j’ai reçu
une aide familiale dans la vie de chaque jour, aussi bien du côté Fortune que
du côté Le Guernic. J’avais à cœur d’envoyer Joseph et Marie Anne à l’école. Ma fille surtout montrait de bonnes
dispositions. Elle était volontaire, courageuse, travailleuse et très portée
sur la religion.
Et puis la vie continue. Encore des secousses dans la famille Le Guernic. Mariages, décès. Le métier de tailleur ne vaut guère mieux que celui de sabotier. Ou bien c’est l’époque qui veut ça. Je ne sais pas, je ne sais plus.
On abordait l’automne cahin-caha. Nouvelle débâcle, on apprend la mort de Louis Hyaric. Comment ma belle-sœur va-t-elle faire face, tenir une auberge et en même temps, élever deux garçonnets ? Chacun se pose la question en regardant le Ciel.
J’en demande pardon à Jésus et tous les
saints. Ça n’a pas traîné. Nous nous connaissions bien, nos enfants aussi, nous
avons décidé de raccommoder les morceaux et d’unir nos destinées. Nous jette la
pierre celui qui n’a jamais péché. Marie Joseph a réglé ses affaires à Inguiniel
et m’a rejoint à Goëhmaria.
Nous nous sommes mariés à Guémené le 25 septembre 1884.
Nous nous sommes mariés à Guémené le 25 septembre 1884.
Je
creusais mes sabots et j’apprenais le métier aux garçons, Joseph, Mathurin et René.
Les filles aidaient Marie Joseph au ménage et aux soins des petits ; Joseph
Marie, était la coqueluche de la bande. Ça ne les empêchait pas d’aller à
l’école, nous y tenions, aussi bien Marie Joseph que moi. Nous les regardions
partir de bonne heure le matin, enveloppés dans leurs pèlerines de gros drap, Mathurin,
Marie Anne et Anne Marguerite ;
plus tard René et Marie Françoise.
Nous vivions dans des conditions très
difficiles à Goëhmaria. Les enfants ne
s’y plaisaient pas trop, loin de la ville et de l’école. Aucun de nos bébés n’y
a survécu. Poussés à déguerpir, nous avons trouvé assistance auprès de la
grande famille sabotière et planté nos nouvelles loges à la Motten, dans un
terrain à l’écart de la ville. C’était à l’été 86 ; je m’en souviens bien,
un bébé nous était né en juin à Goëhmaria, il est décédé en août à Guémené.
Dans les mois qui ont suivi notre nouvelle
installation, la famille a retrouvé sa sérénité. Les garçons s’appliquaient et
le métier rentrait bien. Les expéditions collectives en forêt pour les coupes
de bois renouaient avec les traditions des sabotiers du pays, gouaille, bonne
humeur, chansons et farces. Mon pauvre Joseph en a vu de toutes les
couleurs ; il revenait tout penaud de ne pas avoir trouvé « la corde
à tourner le vent » qu’on l’envoyait chercher au village voisin mais il
prenait ça à la bonne. Marie Anne
recevait des éloges de partout, école, paroisse ; je me demandais vraiment
si elle n’allait pas faire une bonne sœur ! Anne, plus réservée, trouvait
sa joie dans la couture et le ménage. Les plus jeunes, René et Françoise,
faisaient leurs premiers pas à l’école. A la Motten, nous recevions beaucoup
plus de visites, cousins, neveux, amis, clients. Et une virée discrète et
rapide à la ville vous épongeait le pire cafard.
Le 1er
mai 87 naît Marie Joséphine, notre première fille née à la Motten. L’air lui
convient et elle pousse bien. La seconde, Marie Joseph, viendra aussi en mai,
deux ans plus tard. Profitons de ces moments où chaque membre de la famille
chante sa chanson, de « ouin, ouin » à « ma petite maison »
en passant par « le meunier de Lignol ». Encore quelques années,
pensons-nous, et, c’est bien normal, apparaîtront les velléités d’indépendance
des aînés.
Mais le répit ne dure pas. J’aurais dû me
méfier. En 90, mon neveu Jean Le Rouzic, réfugié allée du Sénéchal à l’abri des
remparts, perd sa femme. Notre famille est-elle maudite ? Le 26 février
91, Marie Joseph accouche d’un bébé qui ne survit pas. Elle meurt le 7 mars.
Nous explosons à nouveau. Cette fois, j’ai 47 ans, deux bébés de 4 et 2 ans et
des enfants en âge de se marier. Je me sens anéanti.
La réunion de famille qui suit met les choses
au point. Les aînés, Marie Anne en
tête, me font comprendre que le temps des bébés est résolu pour moi. Ils,
elles, entendent assurer la cohésion familiale mais sans quatrième épouse. Et
pour bien enfoncer le clou, ma fille me fait part de son programme. Elle veut
apprendre le commerce en ville, à Lorient, puis s’établir en nous aidant à
gérer notre boutique. Voilà qui est clair. Anne Marguerite assumera la conduite
du ménage et le soin des petits le temps nécessaire. Ainsi soit-il !
Marie Anne ne se contente
pas de parler, elle agit. Par l’entremise du clergé guémenois qui veille sur la
moralité de nos jeunes émigrés aussi bien à Paris que dans les grandes villes
bretonnes, elle obtient une place à Lorient dans une maison comme il faut. Elle
nous écrit souvent, elle a trouvé sa voie, bien entourée, et sa place à la
paroisse St Louis. Anne sourit et Marie Françoise rêve. Ici, nous tenons le
coup.
Un jour, je suis rassuré ; elle ne sera
pas bonne sœur ! Elle a rencontré un garçon « bien sous tous
rapports », cordonnier, famille originaire de Ploërdut. Elle m’invite à
signer les papiers du notaire confirmant mon consentement à leur mariage. J’y
pose ma croix malhabile. Elle n’a pas 21 ans mais toutes ses dents. Le 28 avril
1893, elle devient Mme Le Bacquer.
Mon gendre intègre la tribu. En juillet, il
est témoin au mariage de mon garçon, Joseph, qui épouse Louise Perron. Un an
plus tard, en avril, nos cordonniers habitent à Guémené, place Bisson, quand Marie Anne donne naissance à sa fille Raymonde.
En 95, le papa, tout nouveau commerçant, signe en mairie le registre du mariage
de Mathurin Hyaric et Marie Jeanne Pichon.
René Hyaric naît en 96. Puis, Alléluia !
Robert Le Bacquer, le 19 octobre 97,
place Bisson. Comme j’aurais aimé accompagner le père en mairie ! Mais je
ne sais pas signer. On fera la fête au baptême, c’est moi qui vous le dis.
Maintenant, j’ai assez parlé. Que je retourne
auprès de mon dernier petit-fils, Raymond. Il m’attend à la Motten, prêt à me
faire les poches qu’il sait bourrées de gâteaux secs mendiés à l’office du
château !
Dans la famille
Le Bacquer, je demande le père !
Je répète !
Dans la famille
Le Bacquer, je demande le père !
Le
père ne dira rien. Trois petits tours et puis s’en va. Il est mort à 41 ans, en
mai 1903, profession cordonnier. Dix ans de mariage. Aucune photo de lui. Juste
sa fiche militaire.
Etat-civil : né le 1 4 1862
à Lorient, marin, classe 1882 ;
Signalement : cheveux et sourcils châtains, yeux bleus,
front étroit, nez petit, bouche moyenne, menton rond, visage ovale, taille 1,63
m ; degré d’instruction 1, 2 ,3.
Engagé volontaire pour 5 ans aux équipages de la flotte, division de
Brest le 6 4 1878, matelot de 2ème
classe ; dégagé le 7 4 1883 ; inscrit
au quartier maritime du Havre le 25 5 1886 ; réadmis pour 3 ans au port de
Toulon le 4 11 1886 ; quartier-maître le 1
1 1888 ; libéré le 8 5 1890.
Dans
la famille Le Bacquer, je demande la mère !
Je lui avais préparé une entrée en scène en forme de conte à dormir debout. Mais, vous la connaissez, elle a tout balayé d’un revers de main et m’a renvoyé à mes chères études. Une seule solution, je me suis fait tout petit !
C’était comme ça dans la famille. Je ne sais pas pourquoi mais je pense que les gars n’étaient pas très sérieux. Ils sont tous morts jeunes. Prenez mes frères : Joseph, l’aîné, 35 ans ; Joseph Marie, le jeune, 32 ans. Mes cousins Hyaric : Mathurin, 28 ans ; René, 32 ans. Je vous passe ceux du côté Le Guernic, pareil. Vous comprenez pourquoi je soutiendrai très fort la campagne contre l’alcool que mènera le clergé de Guémené, notamment au travers son journal « La Cloche » créé en 1907.
Mon mari est mort à 41 ans, en 1903. Pourtant
lui ne buvait pas. Je pense que ses 8 ans de marine ne l’avaient pas
arrangé ; il fumait trop. Quand j’y songe, il portait beau dans sa tenue
de quartier-maître ! Mais je ne vais pas ici raconter ma vie lorientaise.
Après son décès, j’ai continué mon activité
de commerçante et j’aidais la famille, en particulier mon jeune frère Joseph
Marie. Dégagé du service militaire en 1904, l’année suivante il a épousé une couturière plus âgée que lui,
Marie Joseph Guillemot. Je n’assistais pas à la noce, ma fille Raymonde était
malade. Deux jours plus tard, elle décédait. Six mois après, en mars 1906, mon frère Joseph, l’aîné, disparaissait à son
tour. Je voyais déjà se perpétuer le
cycle infernal qui avait bouleversé la vie de mon père.
Heureusement, famille et paroisse nous ont
aidés à tenir le choc. La vie était dure pour moi, assurer seule un commerce en
ville et veiller sur Robert qui
allait sur ses 9 ans. Avec l’appui du clergé qui avait ménagé les entrevues, je
décidais de me remarier avec un homme de mon âge, de bonne famille, sans
profession précise mais disposé à m’assister. Pierre Monnier, c’était son nom, adorait la musique et jouait de
plusieurs instruments ; il participait aux cérémonies religieuses où il
interprétait à l’orgue toutes les variations des œuvres retenues par les
familles. En septembre 1906, le curé de la paroisse nous mariait à la
collégiale Notre Dame de la Fosse.
Autre bonne nouvelle, en juin, nous avions eu la joie d’accueillir le bébé
Fortuné chez mon frère Joseph Marie, rue du Palais.
Pierre se trouva vite dans son
élément à Guémené. Il s’amusait
fort des petites manies de la famille, en particulier de cette folie à nous de
porter les belles tenues que nous confectionnions aussi bien mes sœurs que moi.
Il prenait plaisir au climat de bonne humeur qui régnait entre nous et aux
facéties* de mon père. Par ailleurs, il noua rapidement des relations
avec bon nombre de nos concitoyens, voisins, clients, personnalités diverses.
Parmi eux, Lody, le
photographe. Celui-ci lui tira plusieurs portraits en pied édités en cartes
postales dont l’intitulé ne manquait pas d’humour. Le voici déguisé en Pourleth
et qualifié de paysan breton ! Vous remarquerez le décor, en particulier
les pots de plantes.
On les
retrouve sur la magnifique photo de ma sœur Anne où Lody disposa
son plus beau tapis, les fleurs en contrepoints des arabesques du tablier.
Mais je veux
vous parler de mon Robert. Bien entendu, il suivait sa
scolarité à St Jean et je l’avais
inscrit à toutes les activités du patronage.
Il était plutôt bon élève, apprécié pour sa bonne conduite et ses sentiments généreux
à l’égard de ses camarades. Soutenu par Pierre, il participait activement aux
leçons de chant de cantiques que donnait Mlle Champenois.
Inquiet pour
le maintien de ses écoles après la loi de 1905, le clergé menait une campagne
de propagande très active. Le pape venait de béatifier Jeanne d’Arc. Les écoles participaient à toutes les manifestations
religieuses. La Fête-Dieu, au
printemps, tenait une place majeure dans ce combat. Le cortège enrôlait les
communiants de l’année portant des cierges aussi hauts qu’eux ; on traversait
la ville au pavé jonché de mosaïques de fleurs des champs et aux façades des
maisons voilées de tentures impeccables. La Cloche ne manquait pas d’épingler les commerçants qui dérogeaient.
Les reposoirs constituaient des moments forts de la cérémonie ; les plus
marquants se situaient l’un, rue de la Carrière, devant la propriété de M Champenois, l’autre près du pensionnat
St Jean. On aura bientôt l’idée d’une musique scolaire qui animera et
soutiendra le rituel. Une année, elle défilera en ville pour la fête de Ste
Cécile et donnera un concert sur la place.
Dans la cadre
de l’activité éducative, les enseignants avaient à cœur de développer des
séances récréatives. On y donnait périodiquement des projections
cinématographies et des spectacles de théâtre dans l’espace créé spécialement à
l’école. En 1909, on avait joué Guillaume Tell avec pour décor une toile due au
pinceau de Narcisse Chaillou,
peintre qui vivait alors à Guémené. C’était une perspective qui représentait « le haut de la
rue Neuve jusqu’à l’hospice » vu depuis la Maison
Blanche. Robert revenait de ces spectacles enchanté
et enthousiaste.
Mes jeunes
sœurs se marièrent avec des sabotiers. En 1908, Joséphine épousa Jean Marie Le Guénnec, d’une famille bien connue dans le pays ; mon mari et moi
figurions parmi les témoins. En 1910 leur naquit un fils, Jean. La benjamine, Marie Joseph, convola en 1911 avec Isidore Potier, un sabotier ami du précédent,
installé du côté de Lorient. Encore une fois, une catastrophe vint gâcher l’événement.
Mon frère Joseph Marie perdit sa
petite fille la veille de la noce et sa femme mourut un mois plus tard. Mon
frère ne surmontera pas l’épreuve et mourra l’année suivante. Pierre et moi, nous recueillîmes les deux garçons orphelins, Fortuné, déjà mentionné, et Raymond Fortune, né en 1909. Je vous
passe les autres noces engageant des parents plus éloignés auxquelles nous
participâmes, mon mari, mon fils et moi.
Après sa
communion solennelle, Robert endossa allègrement la
responsabilité chrétienne du parrain.
En 1909, il porta successivement sur les fonts baptismaux le bébé Joséphine Le Guénnec, fille du frère de mon
beau-frère ; puis Raymonde Le Hyaric, la dernière fille du cousin René.
Un épisode
particulièrement spectaculaire et heureux pour notre famille eût lieu en 1910.
Je veux parler de l’exposition
de Nantes et du concours de costumes bretons
(voir blog).
Notre
expédition faisait suite à un resserrement des liens avec nos émigrés nantais consécutif cependant à un triste événement, les obsèques du cousin Jean Marie Rouzic. Celui-ci, âgé de 70 ans,
s’était retiré rue Neuve après les mariages de ses enfants, Jean Marie à Nantes en 1902, puis Marie Anne à Guémené en 1903.
Donc la délégation nantaise menant le deuil comprenait le fils du défunt et Joseph, mon parrain ; ça se
passait début juin. Et c’est ainsi que nous partîmes en juillet pour cueillir
nos lauriers.
Je vous passe
les détails. Furent primés, papa, Anne, Pierre et moi. On en tira des cartes postales qui firent le tour du
monde. Voici la nôtre prise sur place par le photographe officiel.
Par la suite,
les relations continuèrent et les Nantais nous rendirent visite plusieurs fois.
La connivence avec notre ami Lody permit de remettre en lumière nos habits de gala. Plusieurs
éditeurs dont nous-mêmes, en avons tiré des séries amusantes où Robert est présent ainsi que les cousins. Sur celle-ci, on voit la
maison de mon père et l’atelier principal à la Motten. Mon garçon tient son chien dans les bras.
Je me souviens
du plaisir que manifesta ma cousine Madeleine Le
Rouzic de porter ma tenue. Je lui avais expédié une douzaine de
cartes.
Robert grandissait. Il
quitta l’école après son certificat d’études. Il ne manifestait pas un goût
marqué pour le type de commerce hétéroclite que nous pratiquions et se sentait
plus attiré par l’artisanat mécanique. Il entra donc en apprentissage chez un horloger. Naturellement, il continua à
fréquenter le patronage et devint un des joueurs de l’équipe de football
« la Pourlette » créée en
1912. J’ai gardé la coupure du journal « l’Indépendance
Républicaine » daté du 16 février 1913 qui rend compte du premier match
officiel auquel il participa.
Pierre ne se mêlait pas de sport.
Musicien dans l’âme. En 1912, il fut sollicité pour diriger la chorale et jouer
de l’orgue à l’église de Lignol à l’occasion des magnifiques noces d’Hélène Le Quéré fille du propriétaire de Kerverné avec Joseph Le Fur, négociant de drap. Pour ma
part, je me limitais à veiller sur les bébés qui naissaient à la Motten dans les ménages de mes jeunes
sœurs. Mon beau-frère Isidore porta Aimée Le Guénnec sur les fonts tandis que je fus marraine de sa fille Maria Potier. En 1913 naîtra René, chez Joséphine, parrain René Hyaric, et marraine ma sœur Anne.
En août de cette année, fut célébré le mariage de ma sœur Marie Françoise avec mon beau-frère Léon Monnier. Je mentirais en disant que je n’y étais pour rien. Voici une photo où Robert pose avec nous dans le parc du château.
En août de cette année, fut célébré le mariage de ma sœur Marie Françoise avec mon beau-frère Léon Monnier. Je mentirais en disant que je n’y étais pour rien. Voici une photo où Robert pose avec nous dans le parc du château.
Il a l’air un peu pincé, je le reconnais. Sur la photo de noce, prise devant et dans l’escalier du château, il sera plus décontracté, entouré de ma sœur Anne et de sa cousine Théotise Hyaric.
On devait bien
en profiter car, l’année suivante, commença la
Grande Guerre.
- Madame
Monnier ! Chère tante. Me permettez-vous de vous interrompre un moment,
juste le temps d’une pause. Je voudrais apporter une précision historique pour
en finir avec Jean René !
- Pourquoi
pas ? Mais je doute que tu en finisses jamais avec mon papa ! Fais
donc, ma maison est la tienne !
- Merci, chère tante. A tout de suite.
Vite, passons à l’astérisque concernant les facéties du grand-père.
* Ceux des lecteurs qui associent immanquablement facéties
et sapeur Camember se demandent sans doute ce que Jean René Fortune peut avoir affaire
avec ledit sapeur attendu qu’il est sabotier, qu’il n’a connu ni l’armée ni la
guerre de 70 donc aucun sapeur facétieux. Rien en effet. La vérité est que Jean
René ignorait totalement le sapeur mais que, comme Marie-Louis Georges Colomb
dit Christophe, le père de la fameuse BD, il appréciait le goût du Camembert et
s’en trouvait « par l’odeur alléché ».
Du
moins, c’est ce que j’entendis certain soir d’été à Guémené, raconté dans la
cour de la maison, par un de ses petits-fils. Il faisait doux, la lune était
radieuse et le grillon chantait dans le fournil du boulanger voisin. Comme il
était tard, on avait allumé les lanternes autour desquelles volaient des
lucanes, des phalènes et autres papillons de nuit tandis qu’une luciole
clignotait en cherchant son chemin. Une des convives prétendait que c’était l’âme
de Jean René qui faisait sa ronde.
Venons-en
aux faits.
Un
jour, Jean René et son quarteron de supporters partirent pour Nantes. Ce
n’était pas une mince histoire mais un long trajet ferroviaire. Le petit train
nous déposait à Lorient et de là, sans perdre de temps… hep ! hep ! …attraper
l’express de Nantes. Les billets en poche, la bande arriva bien essoufflée dans
un wagon bondé où même une limande n’aurait pu se frayer un passage dans le
couloir encombré de voyageurs et de valises. Dans ces cas-là, il convenait d’activer
le patriarche. Un peu de comédie, un genou qui fait mine de se dévisser, un
regard désespéré, il n’en faut pas plus pour que les flots de la Mer Rouge
s’écartent. Ainsi allait Jean René entraînant ses paroissiens dans son sillage.
On le couva si bien qu’on lui libéra une place dans un compartiment et, après
avoir déposé sa musette dans le filet, il s’assit lourdement sur la banquette
sans négliger de frôler au passage les genoux de sa voisine. L’émotion ! Dont
il se remit vite. Cinq minutes plus tard, il sentit lui monter une petite faim
dans son estomac. Le voilà debout, farfouillant dans le filet et se rasseyant
la musette sur les genoux. Bien poliment, il s’enquiert auprès de ses voisins
si on lui accorde la permission de se composer un petit encas. On ne peut rien
refuser à un brave homme de cet âge, au visage marqué et néanmoins si souriant.
Mon Jean René déballe. D’abord son pain bis, craquant, appétissant, en un
mot : guémenois ! Il n’est pas scout, tout juste un peu éclaireur, et
il sait qu’un pèlerin ne prend pas la route sans son couteau, de la ficelle et
des allumettes dans les poches de son pantalon. Pour le moment, le couteau
suffira. Il marque bien la croix sur le pain comme on le lui a appris dans sa
jeunesse, et se taille une belle tranche à tartiner. Tout le monde le regarde
faire, un fin sourire aux lèvres et peut-être un petit air d’envie. Lui rayonne
à la ronde et fouille au plus profond de la musette. Il en sort, vous l’avez
deviné, un fro-mage (diction bien appuyée comme après « tenait dans son
bec » quand on récite la fable). Mais pas n’importe quel fromage. Un
camembert dans sa boîte en bois, ronde, avec la belle étiquette normande
authentifiant le puissant produit de Vimoutiers. Mais là, gare ! Si le
pain était frais, le fromage ne l’était pas. Jean René ouvre le cadeau sans se
presser, tout en extase à mesure que les effluves se développent dans l’air
ambiant. Il n’a pas encore découpé sa portion que déjà on observe quelques
trognes qui se tordent et on entend des raclements de gorge. Mais quand il
étend son coulant sur la tartine en essorant bien la croûte, les premiers
commis-voyageurs du compartiment sonnent le sauve-qui-peut. Jean René absorbé
dans sa rude tâche n’y prend garde. Il ne mord dans son régal que lorsqu’il a
autour de lui sa tribu installée aux places abandonnées par les déserteurs et
après un grand éclat de rire général. Ainsi voyageaient des Guémenois sans peur
et sans reproche voilà plus d’un siècle…
- Alors, tu es
content ? Tu l’as lâchée la blague du camembert. Depuis le temps que ça te
démangeait. Je peux reprendre ?
- Je
vous en prie, chère tante !
La Guerre : c’était
un temps déraisonnable…
Dès son numéro
du 30 août, la Cloche se mit en devoir
de fournir toutes les informations pratiques permettant aux soldats et à leurs
familles de maintenir le meilleur contact.
Tout de suite,
la famille fut mobilisée. Pierre et moi nous mîmes à la
disposition de l’abbé Chevassu qui coordonnait l’action de la paroisse pour venir en aide aux
soldats et aux familles. La Cloche
tenait une rubrique appréciée rapportant toutes les informations collectées
auprès des paroissiens.
La ville de Guémené organisa l’accueil et la prise en charge des blessés,
hébergement et soins. La paroisse mit à disposition l’école St Jean et la municipalité
l’école Bisson. On eût bientôt un service intervenant dans deux hôpitaux
ainsi que le rapporte la Cloche du 6
décembre. Nous y prenions notre part comme le montre l’article suivant tiré du
journal paroissien.
Pour vous
donner une idée de l’ambiance de ces hôpitaux, voici deux photos réunissant
blessés ou malades et personnes faisant partie de l’équipe citée dans le
communiqué. Sur la première, parmi les 5 infirmières portant l’insigne de la Croix-Rouge, Joséphine Le Brun (2). Elle épousera mon neveu Fortuné Fortune en 1930. Je suis aussi
présente sur ce cliché (7) ainsi que plusieurs autres
femmes membres du comité, lingères, etc. Nos patients sont de toutes armes, on
remarque en particulier des zouaves dont un, au premier plan sur la seconde
photo arbore une médaille militaire
gagnée au combat. Joséphine, bien reconnaissable, et une collègue portent la coiffe
pourlette.
Guémené, comme tout le pays pourleth, avait accueilli de
nombreux réfugiés fuyant les zones de combat. Parmi eux, un fort contingent de familles
belges. En général, les parents des nouveau-nés choisissaient parrains et
marraines dans leurs rangs mais j’ai eu l’honneur d’être désignée pour le petit
Joseph Alphonse Fortuné Decroix.
Après
l’hécatombe d’août et la prolongation de la guerre qu’on avait annoncée courte,
la fièvre guerrière gagnait les jeunes
gens pressés d’en découdre. Ça ne concernait pas seulement les classes des
appelés, classes 13 et 14, puis classe 15. Les plus jeunes aussi se montaient
la tête. Félix Le Guernével, 17 ans, avait le premier rejoint l’armée. Devions-nous, pouvions-nous empêcher Robert de s’engager ? Le 3 décembre 1914 à Lorient, il est incorporé au 4ème Régiment d’Infanterie
coloniale. Voici des extraits des lettres qu’il nous
nous a envoyées en janvier repris par la Cloche
en février 15.
Cette fois,
l’angoisse m’étreint. Avec mon mari, nous nous étourdissons dans l’action au
quotidien. Nos hôpitaux militaires, Bisson
et St Jean n’abritent actuellement
qu’une cinquantaine de soldats convalescents. Les infirmières et le comité de la Croix Rouge leur donnent les soins
les plus dévoués. De son côté, la Cloche
continue de fournir des nouvelles des soldats. Jean Marie
Le Guénnec, mon beau-frère, qui souffre d’une
bronchite chronique, a été momentanément hospitalisé dans un collège de Compiègne. Gabriel Lody, jeune engagé, a rejoint le
62è de ligne de Lorient.
En mars, nous apprenons que Robert a été promu caporal sur le champ de bataille. Il nous écrit ses joies et ses peines. Il n’a rien perdu de ses convictions religieuses et chante des cantiques.
Il fallait s’y
attendre. L’exemple est contagieux et des
anciens quittent Guémené ; au premier rang, Pierre et l’abbé Chevassu.
C’est un nouveau coup dur pour la famille. Depuis le départ à la guerre des soldats, papa se démène comme un beau diable du matin au soir à la Motten, tentant de suppléer l’absence de ses gendres sabotiers. Il creuse les sabots, les socques et façonne les semelles qui feront rentrer quelque argent dans les ménages de mes sœurs. Joséphine a fort à faire avec ses trois petits, et Marie Joseph vient d’avoir un second enfant, Jean Potier. De mon côté, le commerce subit un net ralentissement mais je les aide autant que je peux.
Et les deuils pleuvent. Pour ne citer que le plus proche, mon beau-frère Léon Monnier a été tué en 14.Classe 16 incorporée ; René Hyaric se retrouve à Nantes au 65è Régiment d’Infanterie.
Seul moment de répit, fin décembre 1915 ; mon beau-frère Jean Marie a bénéficié d’une permission de convalescence suite à une grave blessure contracté à la bataille de Tahure, dans la Marne. On l’a choisi comme parrain du bébé Désiré d’un cousin, le 7 janvier.
La photo qui suit a été prise devant les huttes de la Motten à l’occasion de la visite de la famille Strugeon, autre dynastie de sabotiers locaux, la maman est la sœur de Jean Marie.
De
gauche à droite, les enfants : Aimée, Jean et René, puis leurs cousins Louis et Jobec ; papa. Au second rang, Jean Marie et Joséphine, le jeune François Strugeon et ses parents.
Les nouvelles tombent drues provenant de tous les secteurs du front. Partout ce sont des morts et des blessés. Je reçois des lettres de Robert et il me tarde de le revoir. Incorporé dans une formation coloniale, il bouge beaucoup et j’ai du mal à suivre. Il sera même un temps dans un régiment sénégalais qui a été formé à Marseille. A compter 18 novembre 1916, il appartient au 37è colonial. Je n’y connais rien mais apparemment d’après ce qu’il dit ce sont des régiments qui montent très souvent en première ligne.
Quand il vient en permission, rarement, j’ai du mal à le retenir à la maison. Il a toujours envie de revoir des amis et des jeunes. Mais ils ne sont pas nombreux à traîner dans les rues de Guémené. Les permissionnaires s’en font l’écho dans la Cloche tellement ils sont surpris par la tristesse qui règne au pays.
Enfin, début 1918, il dispose d’une nouvelle permission. Il va se marier. Bien sûr, je le savais et j’ai dû courir à droite et à gauche pour les papiers officiels, vous savez ce que c’est. Le grand jour a eu lieu le 5 février à la mairie et puis à l’église. Robert a épousé Mauricette Le Fur, une jeune fille de bonne famille chrétienne dont la mère, veuve, tenait une commerce rue Neuve. Emmanuel Lody, le photographe, et son fils Emmanuel, nous ont fait l’amitié d’être les témoins.
Evidemment,
nous avons vécu une nouvelle séparation, le devoir rappelait Robert au front. Mauricette et moi, comme les autres femmes, guettions le facteur. Nous interrogions les
parents qui communiquaient des nouvelles des leurs à la permanence paroissiale.
Nos soldats avaient beau nous dire
qu’ils ne se faisaient pas de bile, nous ne nous faisions aucune illusion.
La Cloche filtrait les témoignages
pour éviter les chocs émotionnels.
Le 31 juillet, Robert est passé au 33è régiment colonial. Ce nouveau changement confirmait l’épuisement et probablement les pertes subies par ces formations. Nous n’étions pas dupes. D’autant qu’il était engagé dans le secteur de Verdun.
Avec la communauté, nous avons prié avec ferveur pour tous nos soldats et pour la paix. Mais les voies du Seigneur sont impénétrables. Robert ne connaîtra ni la paix ni le bonheur d’une vie chrétienne éclairée.
Un soir, à la fin de l’été, on nous a informées que Robert avait disparu le 14 septembre au bois du Grand Chenas lors d’un combat dans ce secteur de Verdun très disputé. Nous avons attendu un signe, avec espoir dans la Providence. En vain. Son corps ne fut jamais retrouvé.
Anna
Marguerite Fortune est décédé le 14 août 1923, place des Halles.
Jean
René Fortune est décédé le 31 décembre 1923, rue Bisson, chez sa fille Marie
Anne.
Raymond
Le Guénnec, né à la Motten le 20 mars 1921 a été son dernier petit-fils.
Superbe reportage qui a dû demander beaucoup de travail.
RépondreSupprimerDans les infirmières en 5 Aline LE BRUN tante de Joséphine et en 10 Anne Marie DINAM ( leur cousine) épouse de Jean Marie KERYZAOUEN, grand-mère de Danny.
Oui , c'est un magnifique récit nous transportant dans l'époque , ses difficultés et ses joies simples aux antipodes d'aujourd'hui. Félicitations et merci
RépondreSupprimerJ'ai la photo de son mariage, c'est cet article qui m'a permis de faire le rapprochement car depuis plusieurs mois je n'arrivais pas à savoir de qui il s'agissait.
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