23/04/2020





Sur la route de Langoëlan
Les temps modernes…


Je traversais Guémené au plus court, fuyant la cité désertée, la pluie et le brouillard, poursuivi par les aboiements des chiens qui, ici comme ailleurs, ont horreur des vagabonds.
J’enjambais la montagne des cloches et piquais droit devant, le chapeau battant au vent, le sac à dos dégoulinant. D’un bond je franchis le chemin qui descend de Ste Christine et après un triple saut peu académique et pas plus olympique, je me retrouvais planté dans la prairie, les bottes prises, engluées jusqu’à la hauteur des chevilles. Le Scorff se mit à glouglouter très fort en ricanant ; une pie, jaillie je ne sais d’où, me frôla au passage en criaillant et me moquant. J’avais beau tortiller les pieds dans tous les sens, pester, protester, montrer le poing au ciel, rien n’y faisait, je me sentais lentement aspiré comme dans un marécage. Lumière ! Ou plutôt Eurêka ! Me revint en mémoire la recommandation n° 1 de mon antique manuel du parfait « éclaireur de France », avoir toujours sur soi : couteau, allumettes, ficelle. Je fouillais dans ma poche de pantalon énergiquement, je fouillais dans ma poche presque angoissé, je fouillais dans ma poche… Oui ! Au fond, derrière le mouchoir et le couteau, je tire la ficelle !

La suite relève du jeu. De mon bras trop court que je prolonge habilement de ma canne de jonc, façon Charlot, je collecte des débris de branches, les assemble, les ficelle, et produis deux raquettes à faire se tordre de rire les chasseurs de loups du grand nord canadien. Mais ça marche. J’extirpe avec délicatesse mes pauvres pieds avalés par la prairie, les ajuste au mieux sur mes radeaux et me voilà sauvé. Je récupère mes bottes et rejoins au plus vite les talus plantés de chênes où je parachève ma renaissance et arrime mes raquettes de survie sur le haut de mon sac. Sans complexe et sans traîner, je peux chanter sur mon chemin. Et même rire du Scorff orgueilleux qui, à Nicole, au fond de la prairie, dans un bruit d’enfer, joue les cataractes à faire peur aux canards. Bien sûr, un chien dérangé lui donne la réplique, quelle cacophonie et quel cabot ! Au lieu de rester bien au chaud sur la paille de sa niche…

…et post-modernes

J’entends déjà les gens ricaner sur cette aventure d’un autre temps. Voire ! Imaginez la scène en 2020. Que fais-je ? Comme tout un chacun, je sors mon smartphone planqué au chaud contre mon cœur. De la flotte plein les yeux, je farfouille et lance un appel de détresse en précisant ma position GPS. Résultat, un quart d’heure plus tard, déboule sur la grande route un camion secours de pompiers. Ils vont sortir le matériel adéquat et me tirer de là. J’en ai des coliques de les avoir déranger pour ça ! J’étais un inconnu, à part, peut-être, pour les patrons du café du Centre. Et voilà que déboule le correspondant du journal régional ; il a déjà son titre : « un senior de 77 ans désembourbé de la prairie de Terminus ». Et fusent les questions :

Qu’alliez-vous faire en cette galère ?

Pourquoi ce saut si risqué et sans perspective d’homologation ?

Que pensez-vous de l’éthylotest obligatoire ?

Que faisiez-vous au temps chaud ?

Est-ce vous qui avez suggéré que Guémené honore Christian Perron d’une statue devant le grand rempart à la manière de celle qui honore John Lennon à La Havane ?



Pas glop du tout. On n’est plus au temps de Pif le chien ! Soyez sérieux !



Avez-vous réservé une place à l’Ehpad ?

Le programme de la cavalcade 2020 vous rappelle-t-il celui du Gorsedd de 1936 ?

Pour vous endormir comptez-vous les poulets de Langoëlan ou les kangourous australiens survivants après la tourmente ?

traduction libre =


Dans la foulée du récent Paris-Dakar, que diriez-vous du challenge gagnant-gagnant d’un Tour de France qui se courrait dans les sables d’Arabie avec une arrivée en Egypte au sommet de la grande pyramide d’où 42 siècles contempleraient nos forçats de la route ?




Estimez-vous que le blog de Guémené est un théâtre d’ombres, un vieil orgue de barbarie nostalgique, un miroir magique, « miroir, mon bon miroir ! » où la buée qu’y dépose le souffle révèle un instant sourires, rires, maladresses et heures de gloire du temps qui passe, et, de nos héros « la trace de leurs vertus » (bis) ?




…et post-mortem
    
Laissons-là ces billevesées qui ne feront l’objet d’aucun Référendum d’Initiative Citoyenne (pas plus d’ailleurs que la vente des aéroports de Paris). Il est temps que je vous dise ce qui m’agitait lors de cette aimable randonnée. Eh bien, j’avais rendez-vous à Tronscorff ! De bonne fortune, sachez-le, puisque m’y attendaient des sabotiers rieurs et forts en gueule (corporation qui réchauffait autrefois les cœurs de la planète, éradiquée pour cause de très mauvais bilan carbone, diagnostic porté par l’économie de marché de la chaussure, ah dis-donc Adidas et autres racées godasses cuirassées bien cirées). Cette parenthèse refermée, je précise que la rencontre concernait des informations top secret qu’ils avaient recueillies dans le bourg et qui touchaient de près à la généalogie de notre superhéros guémenois (il lui manquait quelques pouvoirs mais n’est pas Harry Potter qui veut), j’ai nommé Hippolyte Bisson. Reconnaissez que ça valait le déplacement.

Par contre, je suis désolé, il vous faudra attendre encore un peu. La cuisine mijote sans secousse à feu doux dans un faitout séculaire bien graissé mais elle demande du temps, de la patience, du doigté, une pincée d’épices adaptées, des aromates, et que sais-je encore. Pour vous aider à patienter, un indice : il s’agit d’accommoder les délices du Pays Pourlet avec le gratin dauphinois en y mêlant une bonne louche de crème normande. Je confirme, la recette est bonne, elle a donné un beau bébé qui fera l’enseigne de vaisseau que l’on sait.


Fin de l’épisode



Illustrations : On aura reconnu, dans l’ordre : Charlot, l’immortel ; Milou, chien fidèle ; diverses émoticônes légèrement arrangées (sgdg), réponses réduites à leur plus simple émotion ; un personnage de BD qui a bercé nos enfants, Pifou ; une photo authentique de John Lennon dans son costume de bronze ; un dessin de Wolinski, tiré d’une planche « J’ai rencontré ma jeunesse » ; une photo du campionissimo Fausto Coppi dans le Tour de France ; deux dessins d’Albert Dubout, qui réjouit à plusieurs reprises nos chroniques, le second avec le portrait du fantastique coureur à pied guémenois, Mathurin Mahé.
SGDG signifiait autrefois : sans garantie du gouvernement.


O0O

PS :  Ce conte a été écrit avant l’épidémie de coronavirus.
La question ne m’a donc pas été posée mais je vais y répondre.


Vert de peur bleue et sans émoticône. Mais bref.
Quand les ouvriers voulant briser leurs chaînes ont grippé les machines en y jetant leurs sabots, on a crié au sabotage (mot créé pour l’occasion selon la légende).
Aujourd’hui, alors qu’un virus microscopique et impondérable grippe la machine du monde entier, j’espère qu’à la sortie de l’épreuve, nous crierons tous ensemble pour que les dirigeants de la planète adoptent enfin un grand virage salutaire.


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