03/03/2020



LE CONSCRIT DES CENT VILLAGES
LOUIS ARAGON

QUAND LOUIS ARAGON ÉVOQUE DISCRÈTEMENT GUÉMENÉ DANS UN POÈME CLANDESTIN : 
LE CONSCRIT DES  100 VILLAGES
L'écrivain , poète et romancier Louis Aragon (1897-1982) est l’auteur d'un recueil de poésies "La Diane Française", écrit durant la Seconde Guerre Mondiale et publié en fin d'année 1944, dont le thème principal est la Résistance sous l’Occupation.
Il contient notamment La Rose et le Réséda, Il n'y a pas d'amour heureux (chanté entre autres par Georges Brassens et Jean Ferrat), la Ballade de celui qui chanta dans les supplices écrit en hommage à Gabriel Péri et Le Conscrit des Cent Villages.
Ce dernier est un poème sans ponctuation, formé de quatrains d’octosyllabes dont le narrateur, «le conscrit des cent villages», est le représentant des centaines de milliers de conscrits venus de tous les villages de France pour participer à la guerre de 1939-1945. 
Parmi les cents villages cités , Guémené est évoqué.



Le conscrit des cent villages


Prairie adieu mon espérance
Adieu belle herbe adieu les blés
Et les raisins que j’ai foulés
Adieu mes eaux vives ma France

Adieu le ciel et la maison
Tuile saignante ardoise grise
Je vous laisse oiseaux les cerises
Les filles l'ombre et l'horizon

J'emmène avec moi pour bagage
Cent villages sans lien sinon
L'ancienne antienne de leurs noms
L'odorante fleur du langage

Une romance à ma façon
Amour de mon pays mémoire
Un collier sans fin ni fermoir
Le miracle d'une chanson

Un peu de terre brune et blonde
Sur le trou noir de mon chagrin
J'emmène avec moi le refrain
De cent noms dits par tout le monde

Adieu Forléans Marimbault
Vollore-Ville Volmerange
Avize Avoine Vallerange
Ainval-Septoutre Mongibaud

Fains-la-Folie Aumur Andance
Guillaume-Peyrouse Escarmin
Dancevoir Parmilieu Parmain
Linthes-Pleurs Caresse Abondance

Adieu La Faloise Janzé
Adieu Saint-Désert Jeandelize
Gerbépal Braize Juvelise
Fontaine-au-Pire et Gévezé

Que je respire Et je respire
Ces étoiles dans ma gorge y
Font une lueur de magie
Trompe l'exil mon faux empire

Il faut reprendre ô saoulerie
Ce déroulement implacable
Et boire et boire les vocables
Où flambe et tremble la patrie

Aigrefeuflle-d'Aunis Feuilleuse
Magnat-l’Étrange Florentin
Tilleul-Dame-Agnès Dammartin
Vers-Saint-Denis Auvers Joyeuse

Cramaille Crémarest Crévoux
Crêches-sur-Saône Aure Les Mars
Croismare Andé Vourles Vémars
Amarens Seuil Le Rendez-Vous

L'Ame Sommaisne Flammerans
Sore Sormonne Sormery
Sommeilles La Maladrerie
Bussy-le-Repos Sommerance

Mon pays souffre mille maux
S'en souvenir monte à la tête
Ah démons démons que vous êtes
Versez-moi des mots et des mots

Il reste aux mots comme aux fougères
Qui tantôt encore brûlaient
Cette beauté de feu follet
Leurs architectures légères

Angoisse Adam-les-Passavant
Bors l'Aventure Avril-sur-Loire
La Balme-d'Épy Tréméloir
Passefontaine Treize-Vents

Adieu le lieudit I’Ile-d'Elle
Adieu Lillebonne Ecublé
Ouvrez tout grands vos noms ailés
Envolez-vous mes hirondelles

Et retournez et retournez
Albine Alise-Sainte-Reine
Les Sources-la-Marine Airaines
Jeux-les-Bards Gigors Guéméné

Vers Pré-en-Baille ou Trinquetaille
Vers Venouze ou vers Venizy
Lizières Lizine Lizy
Taillebourg Arques-la-Bataille

Albans-Dessus Albans-Dessous
Planez lourds aiglons des paroles
Valsemé Grand-Cœur Grandeyrolles
Jetés au ciel comme des sous

Adieu Caer et Biscarosse
Poignards que vous avez d'éclat
Ô Saint-Geniès-de-Comolas
Adieu Néronde Orny Garosse

Pas un qui demeure sur cent
Villages aux noms de couleur
Villages volés mes douleurs
Le temps a fui comme du sang

Musiques s'il n'est pas trop tard
Parfumez le vent parfumé
Sanglotez les cent noms aimés
Que j'écoute au loin vos guitares



1 commentaire:

  1. Place à la poésie , bravo d'avoir trouvé cela . Aragon , je 'adore

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