26/02/2012



FLÂNERIES D'UN PROMENEUR SOLITAIRE (1)
ou
Guémené de la Belle Epoque et son centre ville disparu


Nous sommes dans les années 1900, que l'on dit Belle époque. Imaginons que l'on se mette dans la peau d'un promeneur arrivé à Guémené par le train, se promenant dans les rues de notre cité et regardant attentivement ce qui est et ce qui se passe.
Quelques années plus tard, de nos jours, imaginons encore que celui-ci feuillette son vieil album de cartes postales.... sûrement épris de nostalgie de constater la transformation de la ville. 
C'est le premier volet du récit de son séjour, de ses réflexions et constatations que nous vous invitons à lire sous la plume d'un conteur, curieux, érudit, sensible et malicieux. Laissez-vous guider, ouvrez les yeux et je suis sûr que vous regarderez ensuite Guémené-sur-Scorff différemment. 

BONNE LECTURE  


O0O




Venir à Guémené à partir de 1905, c’est facile.
Vous prenez le train n’importe où et vous débarquez à la gare toute neuve. La voiture hippomobile vous attend, l’hôtel vous espère, l’auberge a mis le cidre au frais, la ville vous retient. Le plus difficile, c’est d’en repartir !


A cette époque, le centre ville est un lieu rare et singulier, presque unique en France : une artère renflée vers le haut que n’ordonnance ni mairie ni église, chaussée de mauvais pavés et bordée de vieilles maisons. Il a donc un haut et il a un bas ; pas besoin de boussole pour s’orienter, on se retourne et le paysage change. Vous montez, vous avez en face de vous l’îlot forteresse qui veille devant l’auditoire et la mairie. Vous descendez, le regard s’arrête à la grille du château endormi, flanquée à gauche par les antiques halles et à droite par une autre solide vigie bourgeoise. Si vous ne craignez pas le ciel ni les gargouilles, levez la tête. Ici les toits ont des envolées majestueuses, entaillés de mille sabords (1) sous les combles, protégés de chiens-assis dont certains ont des allures de cocottes en papier. Les issues se fondent dans la place, discrètes comme les coulisses d’un théâtre à ciel ouvert. Les spectacles se donnent ici, principalement le jeudi jour de marché, mais tous les jours il s’y passe quelque chose, ne serait-ce qu’un coucher de soleil.

Voyez le marché, si riche en couleurs qu’on croirait la Provence. Là, autre époque, autre scène, cavalcade sous la pluie.


Et toujours le même refrain : « Elle a cassé son soulier, la faridondaine ! Elle a cassé son soulier, la faridondé ! » Le visiteur n’en reviendra pas intact.

Avant d’aller plus loin, une remarque sur le nom des lieux. A l’origine, on désignait le tout par Grande Rue. Quand la mort glorieuse de Bisson lui valut un monument et une légende, on a alors distingué une place Bisson, une rue Bisson, un café Bisson (sa maison natale), et... conservé la Grande Rue. Qui savait s’y retrouver ? Pas même le secrétaire de mairie. Habitude, ignorance ou fantaisie, ce n’est qu’à partir de 1862, que disparaît le terme « Grande Rue » dans les registres d’état-civil. Mais, en 1900, vous le verrez, certains éditeurs de cartes postales l’utilisent encore, dont Villard.
Pour situer chronologiquement les cartes postales de ce 1er épisode qui traite des années 1900-1907, j’ai utilisé deux clés simples :
le tampon postal (utile mais pas décisif) et la composition de la carte. Jusqu’en 1904, les éditions sont exclusivement de type dit « nuage » : image au profil rectangulaire estompé n’occupant pas tout le cadre et laissant de ce fait une large place à la correspondance, adresse au verso ; ou encore, autre forme commune, scènes traitées en champ circulaire.


Concernant la ville de Guémené, je ne connais de ce temps que des productions des éditeurs pontiviens : Guéranne, photographe, Mme Marchal, libraire, Le Cunf, le plus prolixe ; les images des deux derniers sont souvent signées Lodi, photographe à Guémené (Lody, quand il travaille pour les particuliers). Curiosités privilégiées : le haut de la place et le marché. C’est peu mais néanmoins un précieux témoignage de l’époque.


En façade du décor, deux vieilles maisons, toutes deux habitées. La première, haute de 3 étages, typique, murs caparaçonnés d’un manteau d’ardoises, n’a pas d’enseigne mais porte en flambeau une jolie lanterne de l’éclairage public (c’est le tambour de ville qui allumait les réverbères). La seconde maison, plus large et plus basse, porte deux plaques ; l’une, claire, presque effacée, scène avec chevaux comme le montre l’encart (extrait d’un dessin ancien, mis en ligne sur le blog) ; l’autre plaque, sombre, ornée de 6 fers à cheval, confirme le tenancier, J Guillemot, maréchal ferrant.

Du marché, deux images ; dans l’ordre chronologique : Guéranne…


… puis Le Cunf

 
Evidemment, l’œil est d’abord attiré par la foule qui se presse le long des nombreux stands protégés par des toiles, scène pittoresque et colorée comme l’a révélé la peinture présentée plus haut. On reconnaît au centre la colonne Bisson dressée comme un mat au milieu du vaste campement. Tout au fond, l’îlot précédemment décrit, masquant la vieille mairie dont on aperçoit le campanile. Au premier plan, sur la droite, deux maisons bien typées, éléments majeurs du paysage guémenois. Mais la plus grande part du décor est difficile à analyser, en particulier le haut de la Place Bisson qui apparaît comme une suite confuse de façades et de toits pentus.

Examinons maintenant les nouveautés apparues dans l’intervalle. Ce sera facile pour la célèbre maison des Princes qu’on a discernée sur la gauche, au premier plan. Comme elle a fait l’objet d’images particulières chez ces deux éditeurs, nous allons nous y reporter.


De l’une à l’autre image, l’établissement exploité par la famille Le Guernével a subi un ravalement de façade qui conserve malgré tout son cachet ; l’auberge s’affiche désormais « à la descente de l’Aigle d’Or » et devient relais de poste. Cette vocation va se trouver contrariée par la mort du père en 1906 ; plus tard viendra le temps du boucher Curet (qui a épousé la fille).

Plus difficile à apprécier, la « modernisation » d’une maison de la même rangée, située plus haut et repérée par les flèches rouges. A gauche, version Guéranne ; à droite, version Le Cunf.




Extraction de ladite maison après légère torsion de l’image. On constate qu’on a rebâti la façade et remplacé le toit pentu par un chien-assis droit et raide. Cette maison, restée globalement en l’état depuis cette période, présente un défaut d’alignement qui daterait donc des années 1904-1905.
On ne lui en voudrait encore pas trop de cette entorse inexpliquée. Mais le style architectural adopté allait malheureusement devenir la référence et le modèle que copieront tous les bourgeois atteints par le virus d’une « modernité » qui ne comptait pourtant ni eau courante, ni électricité, ni gaz. On allait jeter à bas façades et devantures historiques, bannir toute fantaisie, rejeter la courbe et la ligne flottante, polir soigneusement le rugueux granit.

Après cet intermède, la suite logique du marché, une perspective inverse Le Cunf-Lodi, le bas de la place (tampon 1906). En effet, la topographie des lieux conduit naturellement les éditeurs à proposer systématiquement deux vues, l’une pointée vers le haut, l’autre vers le bas ; le plus souvent au détriment de la partie centrale.


Ici, le photographe a cadré du café Bisson, sur la gauche, à la pharmacie, sur la droite (probablement Le Flahec). En descendant, on distingue bien les deux maisons qui suivent le café jusqu’à la rue de la Carrière (rue Brenot actuelle). Au fond, on aperçoit la bouche des halles, la grille du château, les sapins du parc, et la grande maison qui termine la rue de la Laine. Sur le flanc droit, une suite de magasins aux stores déployés.

Impossible d’en estimer l’activité, à peine reconnaît-on un chapeau de paille et des plumeaux ménagers.


En dehors du marché et sous le gai soleil d’été, petite animation, passants et curieux. La voirie, les fameux pavés de Guémené, comprend une bande centrale et deux larges trottoirs légèrement pentus facilitant l’écoulement des eaux pluviales. On aura noté l’aménagement urbain : l’éclairage public composé de lanternes suspendues à chaque carrefour (surlignées ici en rose) ; les bancs publics propres à recevoir les passants fatigués et les commères désœuvrées. Car les langues vont bon train !


Après Le Cunf, voici la paire d’images éditées par Hamon (Guingamp)

Vue montante. On reconnaît mieux les magasins côté gauche ; la plupart conserveront longtemps cet aspect. Sur la droite, la maison du sénéchal aux marches rondes suivie des deux maisons typiques.


Le haut de la place est presque totalement ignoré par la perspective, on ne retient que l’enseigne nouvelle de l’horloger J Mahé.


Or, c'est en 1905 que,  Joseph (Mathurin) Mahé, en bon voisin, répond aux sollicitations du secrétaire de mairie qui, comme la mère Michel, crie par sa fenêtre en quête de témoins pour signer ses actes d'état-civil (2). Voilà une concordance précieuse pour notre chronologie.

Le temps de retourner la chambre photographique, après le haut, le bas de la place que notre éditeur iconoclaste nomme impunément « place Besson ». Je vous fais grâce de l’image, moins nette mais très semblable à celle de Lodi. La grille du château est toujours fermée, lui conservant un air triste et mystérieux. Pourtant, un bébé y est né en 1904. Rassurez-vous, ça va bientôt changer.

On a parlé toute l’année 1906 de la vocation nouvelle du château,

maintenant c’est fait.

Le grand Hôtel Moderne ouvre ses portes


Menu d’inauguration ce 28 avril 1907


… que je réécris pour en faciliter la lecture.


Le tout bien arrosé des vins de Graves, Cérons, Médoc et Champagne.


A table et bon appétit !

On savait que nos ancêtres avaient du cœur, ils avaient aussi de l’estomac.


Un immense bandeau dressé au-dessus de la grille et fixé aux maisons mitoyennes, clame à tous les échos  la vocation nouvelle :
« HOTEL MODERNE »

Phare de la vie guémenoise, point de ralliement du voyageur égaré, il constitue aussi un repère intéressant pour l’amateur de cartes postales.

On entre dans une période très animée. Guémené est à la mode, les touristes et les Anglais rentiers s’y pressent. On y vient facilement par le train et les éditeurs accourent. Dans l’ordre : Waron, Villard, Hamonic.



(Suite au prochain épisode)




1 / En hommage au Capitaine Haddock qui, ayant abusé du « lagoud jistr » au café du Nord, passa une nuit agitée dans un lit démonté* qui lui rappela ses exploits sur les mers du Sud. J’en profite de suite pour dire que, contrairement aux idées reçues et véhiculées par Goscinny et Uderzo, Astérix n’était pas encore né pour ce temps-là (comme disait ma tante) ; mais, son grand père vivait à Guémené depuis un bout de temps déjà.

* En fait, on lui avait tout bonnement fait son lit en portefeuille.

2 / Le secrétaire de mairie établissait les actes d’état-civil et le maire les signait ; tout le monde sait cela. Pour les actes de naissances, le père devait être accompagné de 2 témoins. Suivant l’heure de présentation, il en manquait souvent un voire deux. Le secrétaire se tirait d’affaire en faisant appel aux proches voisins de la maison commune. Guémené n’échappait pas à la règle et l’on voit défiler les commerçants voisins de la mairie. Mention spéciale : Toussaint Le Carff, père et fils, chapeliers, et JM Donias, boulanger, rue de la Mairie ; Joseph Guillemot, maréchal, rue du Palais.

6 commentaires:

  1. vite la suite . bien vu et bravo à votre équipe

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  2. Passionnant!...vivement le prochain épisode ! et j'adore le point de vue choisi...

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  3. Bonjour
    Guémené vu à travers les yeux d'un amoureux.
    JR

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  4. Bien vu et passionnant en attendant cette suite . Encouragements du sud de la France pour ce site merveilleux qui me rassure sur le patrimoine.

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  5. Hospital Monique3 juin 2012 à 16:56

    Mon grand-oncle Jean le Calmé a été médecin à Guémené de 1920? à 1950? peut-être. Qui pourrait me donner des renseignements à son sujet? Bien sûr ma requête ne s'adresse qu'aux personnes d'un certain âge!

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    1. Je découvre aujourd'hui votre message. Effectivement, le Dr Le Calmé est une figure locale de Guémené. Il est mentionné à plusieurs reprises dans des articles de journaux relatant faits et événements de Guémené. En première recherche, voici quelques extraits des années 1920 et 1930, Journal de Pontivy ou Ouest Républicain..
      1926 avril 18 : Accident du Travail, Jh Kerhulu, employé à la gare, Elisa Kéty, chez Mme Bruel (intervention Dr Le Calmé) ;
      1926 novembre 28 : mariage Dr Jean Le Calmé et Mlle Le Masle, commerçante ;
      1929 avril 28 : médailles d’honneur de l’AP aux membres du personnel de l’hôpital, Dr Jean Le Calmé, Jh Février (père) et Jh Livonen, bureau de bienfaisance, et 7 sœurs ;
      1931 septembre 13 : le Dr Calmé victime d’un accident sans gravité à Saint Roch ;
      On peut probablement trouver d'autres citations. Cordialement, RH

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