22/02/2019





Les CONSCRITS de LOCMALO
1925

Voici une nouvelle page de la longue histoire des conscrits du canton de Guémené. 
Le blog en a déjà présenté plusieurs épisodes remontant aux temps anciens mais celle-ci apporte un éclairage plus large sur la vie de l’époque.




Ce mercredi 9 juillet 1924, convoqués à 9 h du matin, ils arrivent en rigolant, par bandes, venant des diverses communes, sans se presser. Un peu émus tout de même à l’idée de passer à poil devant le major et sa suite mais aussi devant les copains. Le jury comprend un groupe de militaires et des notables, élus du Conseil Général.
Depuis le temps qu’on en parlait, on plonge avec délice et appréhension dans le folklore évoqué par les anciens, le rite initiatique qui va marquer les «  élus » et alimenter la boîte aux souvenirs militaires qu’on se repassera jusqu’à la fin de sa vie.
A la sortie, les groupes se forment au milieu de l’agitation et des interpellations. L’un crie « Vive la Classe ! » ; un autre « Bon pour le service ! » ; le petit futé ajoute « Bon pour les filles ! » En moins de deux, les marchands de médailles écoulent leurs breloques.
      
      
On s’épingle les insignes et les écussons, on s’affuble de colifichets, on tire bien fort sur la cigarette. 
On est un homme, sacrebleu !




Dans un passé récent, on avait connu la prouesse digne de « Jour de Fête » des gars de St Tugdual (1922, l’Ouest Républicain du 30 mars). Ils avaient fait irruption à Guémené tous à vélo, roue dans roue derrière leur maire, et grimpé les rues comme un peloton du tour du Morbihan ! tour de l’Ouest ! tour de France ! (Rayer la mention inutile). « V’nez voir les gars ! y a les ceusses de St Tugdual qui font leur tournée à l’armoricaine * ! »


Cette fois-ci, ce sont les gars de Locmalo qui créent l’événement et donnent la touche d’humour du millésime.
Les 23 gaillards adoptent une tenue quasi réglementaire de campagne : « Il était une fois dans l’ouest » ; tolérant néanmoins un certain panachage. La majorité affiche donc la traditionnelle blouse bleue du paysan en sortie (17/23). Et, à défaut du chapeau de cow-boy, à l’unanimité, on coiffe la casquette à la mode.
Les voici ! Passage obligé devant l’œil du photographe et du petit oiseau qui va sortir de la boîte.


Chacun porte ses médailles et ses breloques, tous ou presque ont la cibiche au bec. Seul l’accordéoniste présente le visage tendu de l’artiste concentré. Mais si l’heure est à la rigolade, le drapeau révèle la solennité du jour, copiant celui des pères, les héroïques poilus. La Madelon manque à son devoir alors on boit à sa santé ! La bande des quatre assoiffés ont posé la casquette sur le rebord de la fenêtre. Tout à l’heure on fera la tournée des cafés de Guémené et de Locmalo, sans oublier les maisons où vivent les filles de la classe… La fête va durer plusieurs jours et plus d’un dormira dans le fossé…

Revue de détail. En rang par quatre, scrogneugneu ! 
A gauche, gauche !
Une !

Deux !

      Trois !

A droite, droite !
Une !

Deux !

Trois !





Cette photo intéresse l’histoire de Guémené. En effet, Lody décédé en août 1923, c’est son ami Jean Le Lamer qui a pris la relève en photographie locale. Sa boutique constitue donc le cadre du décor. Si elle n’a pas le cachet de celle du maître défunt qui offrait à la contemplation béate des passants de la rue de la Laine des quantités de photos remarquables, elle rend compte de la double activité du successeur : photographie et salon de coiffure. Les petits railleurs guémenois disaient que tout ça était affaire de pellicules !

Le groupe pose devant l’échoppe, au bas de la Grande Rue, entre la solide maison du carrefour de la rue de la Carrière (Maria Olivier dans les années 50-60) et la maison du ferblantier (plus tard, Guillemot, café du Centre). La voici blottie entre ses grandes voisines dans les années 1900.

Gros plan sur la maison de gauche au temps des bonbons de Maria Olivier. Pour ceux qui douteraient encore, notez bien les grilles sous les devantures.


Maintenant, rapprochons les images avant de tourner la page.


La photo donne à voir aussi les fameux pavés de la Grand’rue que, selon les journaux du temps, on s’apprête à renouveler. Aussi bien, ayons un œil attendri pour ces vénérables reliques de pierres usées par les ans et les défilés de toutes sortes.




Je suppose que d’aucuns s’interrogent sur ce conseil de révision tenu en juillet 1924 et concernant la classe 1925.
Encore un dégât collatéral de la Grande Guerre. Jusqu’en 1913, le conseil de révision de l’année visitait les conscrits du millésime et on ne reparlait plus ou peu des ajournés. Avec la guerre, on a pris l’habitude de réexaminer systématiquement leurs cas sinon pour en faire des soldats au moins des auxiliaires et des supplétifs. Dans les années 20, on maintient cet usage. Le Journal de Pontivy en fait part à peu près chaque année pour le canton de Guémené ; ainsi dans l’édition du 15 juin 1924 : « les opérations du conseil de révision de la classe 25 et des ajournés des classes 24 et 23 auront lieu à Guémené le mercredi 9 juillet prochain à 9 heures du matin. »
A l’occasion, la gazette donne des résultats. Exemple dans le numéro du 18 mars 1923 : le conseil de révision a eu lieu samedi matin à Pontivy, résultats pour le canton, classe 20, 2 bons /4, classe 21, 2 bons /12, classe 22, 22 bons /42, classe 23, 204/268.
Autre événement, en 1923, le service militaire qui était de 3 ans, passe à 18 mois.
Pour des raisons qui m’échappent, on décide d’appeler au conseil de révision non plus une classe millésimée complète mais deux moitiés de classes chevauchant deux années. S’ensuit un glissement de date des conseils de révision alors qu’ils avaient lieu plutôt dans la période creuse de l’hiver. La confusion atteint des sommets pour les amateurs de photos des conscrits car on imagine assez mal que nos loustics se présentent en ordre « militaire » devant le photographe, distinguant premier contingent de l’année du conseil, 2ème contingent de l’année précédente, ajournés reconnus aptes des deux années précédentes, elles-mêmes divisées en contingents. Exemple tiré du Journal de Pontivy, édition du 25 février 1934.


N’en jetez plus, la cour est pleine !



On ne va tout de même pas quitter nos conscrits sans dire un mot de leur affectation.
Nous sommes en paix, c’est entendu, mais cependant, l’armée a toujours besoin d’effectifs importants pour exécuter ses diverses missions.
La plupart des conscrits se retrouveront dans les casernes du territoire et deviendront de braves soldats destinés à protéger l’intégrité nationale. Certains choisiront le mirage de la présence dans les colonies nord-africaines : Algérie, Tunisie, Maroc. D’autres rejoindront les unités qui garantissent la bonne application des mesures découlant du traité de Versailles, au sens où l’entend la souveraine Commission des réparations.
Ainsi, dans son édition du 14 janvier 1923, le Journal de Pontivy informe ses lecteurs que les troupes françaises et belges occupent la Ruhr: 4 divisions françaises appuyées par 2000 soldats belges entrent à Essen, suite à la décision de la Commission des réparations par 3 voix (France, Belgique, Italie) contre 1 (Angleterre), pour manquements volontaires de l’Allemagne en livraisons de bois et charbon. Présentées comme simples mesures de police et de protection de nos ingénieurs, l’affaire s’envenime : protestations en Allemagne contre l’occupation (édition du 21) ; action française contrariée (édition du 28) en dépit de son exemplarité (25 mars). Il y a eu des incidents tragiques aux usines Krupp et trois soldats français ont perdu la vie (13 mai) sans compter les civils allemands.
Le numéro du 30 septembre 1923 précise : l’appel du 2ème contingent de la classe 23 aura lieu à partir du 12 novembre ; les recrues destinées aux corps de troupes de l’Algérie, de la Tunisie, du Maroc et de la Sarre seront dirigées dès convocation sur leur corps pour y être incorporés ; les recrues destinées à l’Armée du Rhin seront convoquées dans les centres de rassemblements régionaux, formées en détachements et transportées vers leurs garnisons d’incorporation, dans les mêmes conditions que celles du 1er contingent.



L’occupation de la Ruhr s’achève en août 1925 mais celle de la Rhénanie, par l’ensemble des forces de l’alliance, se poursuivra jusqu’en 1930.


Plusieurs soldats du Pays Pourlet participeront à ces opérations. 
C’est le cas de Joseph Allanic, conscrit 1925 de Locmalo, présent sur la photo 
(croix X au crayon).

Témoignage d'Anne Allanic, fille de Joseph :
« Mon père a fait son service militaire en Allemagne ; il a été ordonnance d'un officier qui s'appelait "Le Brun", il en parlait souvent. Je crois que c'était à Mayence.
Nous avions chez nous un grand cadre avec sa photo au milieu et tout autour des photos de villes sur le Rhin et en grand était marqué : "Souvenir de mon service militaire, Armée Française du Rhin. Je me souviens que pendant la guerre nous avions eu une fouille de nuit par les Allemands qui recherchaient ceux que l'on appelait les "réfractaires" et ces soldats étaient tombés en arrêt devant cette photo, mais je ne sais pas ce qu'ils avaient dit. »


* Image tirée du film "Jour de Fête" de Jacques Tati.





Merci mille fois à Madame Guégan-Anne Allanic
pour cette photo dont l’importance n’échappera à personne.

2 commentaires:

  1. Que Guémené semblait beau !

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  2. Mon grand-père, Joseph Le Blévec qui habitait dans la ferme de son père à Kerboudonnet en Locmalo est sur la photo des conscrits... la série A droite, droite... la photo 2.. le seul qui n'a pas de chapeau et qui regarde bien droit devant. Annie Bonhomme Gautier (ma mère Odette le Blévec née aussi à Kerboudonnet en 1931)

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