L'ÉVÉNEMENT :
UNE LETTRE ÉCRITE par HIPPOLYTHE BISSON
M. Gérard Guégan et M. Emmanuel Lorient |
Notre site a l'honneur de vous montrer un document exceptionnel :
Un courrier écrit le 19 juillet 1826 par Hippolythe Bisson
C'est grâce à un réseau de
relations et d'informations que notre ami Gérard Guégan, historien et
spécialiste de Bisson, eut écho de cette lettre. Après vérifications d'usage,
rendez-vous fut pris le 26 octobre 2015 pour consulter le précieux document à la librairie
"Traces Écrites", spécialiste des autographes et manuscrits, 29 rue de Condé à Paris. Ceci fait, notre spécialiste ne pouvait que conserver cette archive. Nous nous devions être présents pour éterniser l'événement.
la lettre présentée pour la photo
M. Gérard Guégan et son conseil Rémy Porquier
un courrier examiné dans le détail...
en se posant les questions pour recentrer l'époque en rapport au texte.
adresse de l'enveloppe
Description
La lettre de Bisson à sa mère étaient accompagnée de 2 documents
I : LETTRE BISSON : Il s'agit d'une rare lettre du
lieutenant de vaisseau Bisson écrite à
Toulon, à son retour de Smyrne. Arrivé à Toulon, il profite du départ du
médecin de la Daphné, qui se rend à Paris, pour transmettre à sa mère ce
courrier dans lequel il donne de ses nouvelles ; il souhaite être débarqué et
redoute le refus des officiers supérieurs.
Cet écrit nous offre un côté
humain et vivant de Bisson autre que le côté statufié dont nous nous sommes
contentés jusqu'à maintenant. Bisson parle de ses problèmes à ses proches avec
le style de l'époque, sa sensibilité et élégance.
II : RAPPORT DU CAPITAINE TEXIER : Le lieutenant de vaisseau Texier écrit à la mère de Bisson, (le 22 février 1828) le récit très détaillé de la fin tragique de son fils et de son geste héroïque
III : LA QUOTIDIENNE : Copie d'époque d'un article de la Quotidienne du 16 fév. 1828, journal de marine, sur la célébration faite à Lorient en son honneur et le projet d'une statue.
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Contexte
Pour une meilleure lecture de ce courrier, Gérard Guégan, nous apporte ces informations importantes :
Pour une meilleure lecture de ce courrier, Gérard Guégan, nous apporte ces informations importantes :
Voici une superbe lettre intime, écrite de la main
d’Hippolyte Bisson à 30 ans, qui révèle un jeune homme courtois, tendre,
attentif et d’une grande gentillesse. Cette missive destinée à sa belle-mère,
nous oblige à relater les évènements familiaux qui ont parcouru sa vie, pour une meilleure compréhension du courrier et connaissance de ce jeune officier de la Marine Royale Bretonne.
Le père d’Hippolyte, Magloire-Laurent Bisson, est né à Agon (Manche) rebaptisé : «Agon-Coutainville», le 13 Novembre 1755. Il meurt à Lorient (Morbihan) le 6 Septembre 1823 à 68 ans.
Il était un grand négociant et gérait une savonnerie dans
les bâtiments de l’ancienne Abbaye de la Joie, près d’Hennebont - une verrerie
au Kernevel, près de Lorient - des Salines à Saint-Goustan, anciennes
dépendances de l’abbaye de St-Gildas-de-Rhuis. Il arma également des bâtiments
de la Marine Royale de Lorient.
Il se maria en première noce, avec Marie-Anne Brossard
Duchélas à Langoëlan, près de Guémené-sur-Scorff, le 27 Avril 1795. Celle-ci
donnera naissance à Hippolyte Bisson, le 03 Février 1796 à Guémené chez sa
grand-mère. Marie-Anne décèdera une demi-heure après l’accouchement, dans la maison de sa mère.
Magloire-Laurent Bisson, épousa en seconde noce en 1797,
Elisabeth-Louise Bécherel, mais elle ne
veut pas entendre parler de l’enfant de ce premier mariage. Hippolyte passa
son enfance à Guémené, chez sa grand-mère et chez son oncle au Manoir de
Tronscorff, à la sortie de la commune. Sa seconde épouse décèda d’une grave
maladie vers 1808.
Magloire-L. Bisson épousa en 3ème noce, Mle de la
Roche-Poncié, d’une famille de Bourgogne ; le jeune orphelin trouva en elle,
les soins et la tendresse, d’une véritable mère, alors qu’il avait 13 ans...
La lettre suivante écrite à Toulon le 19 Juillet 1826, lui est adressée à Paris .
Dans cette missive cachetée, il écrivit : «Pour peu que Mr d’Augier veuille s’intéresser à mon affaire». Bisson, qui était très bien noté par ses supérieurs, rêvait de commander un bâtiment, comme son ami, l’Enseigne de Vaisseau Mr Peyronnel. C’est à cet égard qu’il parle de : «son affaire».
Pour le Contre-Amiral de Molini, Bisson fut son aide de camp
quand il était le Commandant de la Marine de Lorient du 1 Mai 1823 au 6 Décembre 1824. L’Amiral fut un grand ami de
son père. C’est à cette époque, que Bisson avait demandé au Général Halgan, le
commandement de la Goélette «LA MUTINE», en achèvement à Lorient. Mais il n’eut
pas satisfaction, malgré l’appui de
l’Amiral de Molini.
I
LETTRE BISSON
19 juillet 1826
Madame,
Madame Vve Bisson, M.
Péron. n° 16, Faux-bourg St Germain
à Paris
Toulon le 19 juillet 1826
Ma chère Maman,
Mr Bonat, notre médecin à bord de la Daphné, veut bien se charger de vous remettre cette lettre à Paris où il
doit passer quelques jours en redescendant à Lorient. C’est un de mes bons
amis, et il pourra vous mettre au courant de tout ce qui me concerne.
Si, comme il me l’a promis, il vous porte ma lettre lui-même.
à mon grand regret je ne puis pas être son compagnon de voyage. Cependant je ne
perds pas tout espoir de le suivre dans quelques temps : mon capitaine vient
enfin d’écrire à cet effet au général Halgan. Il est vraiment tenu qu’il y soit
décidé ! L’idée de ce qu’il n’a ainsi
tardé que parce qu’il cherchait à me conserver sur son bâtiment n’a rien de
choquant en elle-même; mais je m’étais erroné si positivement sur ce point,
qu’il aurait dû et pour lui et pour moi ne pas insister autant qu’il l’a fait.
Je remets d’un jour à l’autre de demander mon
débarquement, afin que je sache à quoi m’en tenir relativement à mon congé
avant de m’exposer à toutes les
tracasseries du service à terre. En employant ce moyen j’ai déjà évité d’être
mis dans le 14ème équipage, dont la formation vient d’avoir lieu. Je
ne crois pas cependant que je reste encore plus de deux ou trois jours
embarqué, attendant que le bâtiment ira en rade et que ...
...je ne veux pas l’y suivre.
Mr Peyronnel pense qu’il est nécessaire que vous voyez le
général Halgan relativement à moi, mais moi je ne vois pas la chose ainsi. Pour
peu que Mr d’Augier veuille s’intéresser à mon affaire, elle réussira de la
manière la plus naturelle et en même temps la plus conforme à ce qui est
prescrit aux officiers : de n’adresser de demander au Ministère qu’après les
avoir soumis au commandant de la marine.
Le Général De Molini m’a écrit une lettre fort obligeante
pour me remercier de lui avoir envoyé du pigeon de Smyrne. J’avais hâte de recevoir cette lettre, parce que je
craignais que mon débarquement ne fut en contradiction avec ses idées; il
m’engage à me rendre auprès de vous et si cela n’ajoute rien au grand désir que
j’ai de le faire, du moins je n’aurai pas à regretter son approbation, et c’est
beaucoup pour moi à qui il veut bien prendre tant d’intérêt : c’est aussi ma
consolation que de voir ce bon général et sa famille partager mes regrets les
plus cuisants, et de me conserver leur
bonne amitié.
C’est aux soins que m’a prodigués Mr Bonat que j’ai dû ma
guérison à Smyrne : voilà le titre auquel je vous le recommande pendant le
court séjour qu’il doit faire à Paris. Nous sommes trois qui quittons le
bâtiment, l’officier que nous avions eu le malheur de perdre n’avait pas été
remplacé. Il ne restera donc à bord de la Daphné, de l’ancien état-major, que
le capitaine et son élève.
Il me semble déjà qu’il y a un siècle que je suis à terre,
et pourtant il n’y a que dix jours. C’est une preuve que le séjour de Toulon
n’est pas enchanteur. La chaleur est excessive et les courses continuelles que
l’on est obligé de faire sont peu fatigantes surtout pour moi qui loge à
l’extrémité de la ville et très loin du port. Toutefois je ne suis pas fâché
d’exercer un peu mes jambes. J'en serais moins gêné si j’ai le bonheur d’aller à
Paris.
Le vin de Mr Groult n’est pas encore expédié. On m’en a cassé
une bouteille et je veux la remplacer : le peu qui me reste est pour le moment
à bord d’une allège très encombrée, de sorte que je suis forcé d’attendre
encore un ou deux jours.
Recevez l’assurance de la vive et sincère amitié que j’ai
pour vous, ma chère maman, ainsi que pour Thaïn, et présentez, je vous prie,
mes respects à toute votre famille.
Votre fils
et frère bien affectionné,
Bisson
Vous ne me dites jamais rien de Mr et Mme Lorrouid ne seraient-ils plus à Paris ?
Ne m’oubliez pas auprès de Mme Henry et de son fils.
II
RAPPORT CAPITAINE TEXIER
22 février 1828
Rade de Toulon, à bord de la frégate la magicienne
Le 22 Février 1828
Qu’est-ce que le monde ? un tombeau
La poussière que nous foulons fut ce même nous animée
Madame,
Une action malheureuse mais héroïque nous a privés, vous d’un
beau fils qui vous était tendrement attaché, et moi, d’un ami dont je pleurerai
longtemps la perte. Le bon et brave Bisson a péri glorieusement le 5 novembre à
dix heures du soir.
Ce n’était que depuis le mois de mars de l’année dernière
que je connaissais votre estimable fils, il fut destiné à cette époque dans le
23ème équipage de ligne comme lieutenant à la 1ère compagnie que je commande.
La conformité de nos goûts et de nos sentiments nous ont bientôt liés, et je
n’avais qu’à m’applaudir de mon nouvel ami, lorsque ce triste événement m’en a
séparé à jamais.
Un bâtiment pris pour
des pirates grecs avait besoin d’un capitaine, il fut proposé à Bisson
qui l’accepta; quoique par un pressentiment secret, j’eusse fait tous mes
efforts pour l’en détourner. Le 1er novembre ce bâtiment et notre frégate
partirent ensemble d’Alexandrie; nous navigâmes parfaitement l’un près de
l’autre jusqu’à la nuit du 4. Cette nuit le mauvais temps nous sépara. De minuit
au jour nous tirâmes des coups de canon et nous lançâmes des fusées pour
indiquer notre position à Bisson, mais il ne répondit à aucun de nos signaux.
Nous avons appris depuis que Bisson, dès qu’il nous eut perdus de vue, se
détermina à chercher un abri contre le mauvais temps, et gouverna en
conséquence vers l’île de Stampalie, à 6 heures du matin. Passant près d’une pointe
de l’île, deux pirates grecs qu’il avait à bord se jetèrent à la mer et
gagnèrent le rivage. à 9 heures Bisson jeta…
...l’ancre dans une petite baie située à une lieue de la ville.
il fit, pendant la journée, les préparatifs de défense, dans le cas que
les deux pirates grecs échappés de son bord n’en eussent recrutés d’autres pour
venir l’attaquer; cette supposition ne s’est que trop cruellement réalisée. A 10 heures du soir deux grandes embarcations montées par cent vingt pirates sont
venus l’assaillir. Bisson fit exécuter un feu de mousqueterie qui leur fut très
meurtrier et parvint quelque temps à les contenir; mais que pouvaient faire
quinze français contre tant de brigands, ce petit nombre de braves réduit à moitié
par les coups ennemis se vit débordé et accablé par le nombre. Les pirates
furent bientôt maîtres du bâtiment. Notre brave ami eut alors livré sublime de
s’immoler pour faire périr tous ces brigands et en délivrer ces parages
infestés de leurs crimes. Il prit une mèche pour mettre le feu aux poudres, fit
ses adieux aux cinq français qui combattaient encore et leur commanda de se
jeter à la mer. Peu de secondes s’étaient écoulés, lorsqu’une forte explosion
mit en pièces le bâtiment. Tous les pirates furent submergés ; ces cinq français
qui déjà étaient à quelque distance du bâtiment au moment de l’explosion
parvinrent à gagner seuls le rivage. Ainsi a péri jeune encore, mais d’une
manière digne de ses estimables, celui que nous regretterons longtemps. Il me
parlait souvent de vous, Madame, de sa soeur Thaïs, de ses projets de bonheur; étranger
aux déductions de l’ambition, il n’aspirait qu’à sa retraite pour se retirer
auprès de vous quelquefois à Guémené qu’il paraissait affectionner beaucoup. Et c’est au moment où l’amélioration de ses affaires lui faisait espérer de
réaliser bientôt ses rêves de félicité que la mort est venue le frapper. Nous
ne sommes donc pas plus fixés à cette terre que ne le sont à leurs tiges les
feuilles de l’automne.
Bisson n’avait emporté avec lui qu’une partie de ses effets,
l’autre était restée à bord de notre frégate je les ai faits soigneusement
serrer, et en ai dressés l’inventaire, et je vous envoie une expédition. Ils
sont en ce moment…
...à la quarantaine pour être
serrés et seront ensuite remis suivant les ordonnances entre les mains
de Mr Le Major Général de la marine à Toulon, pour être tenus à votre
disposition. Nous sommes nous-mêmes en quarantaine. Vous n’aurez qu’à me
marquer vos intentions, je me ferai un scrupuleux devoir de les remplir avec
exactitude.
Vous trouverez ci joint à l’inventaire l’acte de décès et
une note de ce que le gouvernement doit à Bisson ; cette somme devra être
réclamée à Brest et pourra être touchée à Paris par vous chez le caissier des
invalides de la marine.
Mademoiselle Thaïn dont je partage bien sincèrement les
regrets et la douleur étant la seule héritière de votre ami, toutes ces
réclamations devront être en son nom, et peut être appuyées d’un acte constatant qu’elle est la seule héritière.
Je vous prie d’agréer, Madame, mes respectueuses hommages et
notre désir bien sincère de pouvoir vous être utile.
Le Lieutenant de Vaisseau Capitaine à la 1ère Compagnie du 23ème Équipage
et second de la Frégate la Magicienne
Signé
Texier
(1), (2) et (3) Hippolythe Bisson est né à Guémené et non à Lorient.
O0O
ACTE de DÉCÈS
Bulletin des Lois - 05 1828
Pension pour Mle Thanaïs Bisson , sa soeur
III
QUOTIDIENNE
16 février 1828
L’officier de marine dont nous
avons déploré la perte, l’infortuné et généreux Bisson, était né à Lorient (1)
qui a fourni tant de marins intrépides. M. Bisson s’était fait remarquer dans sa
ville natale (2) par des vertus rares dans ce siècle, et par un caractère plein
de fermeté que sa fin n’a que trop prouvé. Nous apprenons que les habitants de
Lorient ont fait célébrer, le huit février, un service funèbre en l’honneur de
leur courageux compatriote. On voyait à cette cérémonie M. le préfet de la marine,
à la tête de de tous les officiers et employés du port, les autorités civiles
et militaires, toutes les personnes notables de la ville, et un grand nombre de
dames. Les officiers de marine retraités étaient accourus de plusieurs lieues,
afin de rendre les honneurs
funèbres à leur jeune compagnon d’arme.
Pour éterniser le souvenir de la
glorieuse conduite du Lieutenant Bisson, la ville de Lorient va faire frapper
une médaille, et une souscription est ouverte pour lui élever un monument au sein d’une ville qui
s’enorgueillit de l’avoir vu naitre (3).
(Quotidienne, samedi 16
février 1828.)
(1), (2) et (3) Hippolythe Bisson est né à Guémené et non à Lorient.
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Lorient
Message de M. Gérard Guégan
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