06/12/2015




L'ÉVÉNEMENT :
UNE LETTRE ÉCRITE par HIPPOLYTHE BISSON

M. Gérard Guégan et M. Emmanuel Lorient

Notre site a l'honneur de vous montrer un document exceptionnel :
Un courrier écrit le 19 juillet 1826 par  Hippolythe Bisson

C'est grâce à un réseau de relations et d'informations que notre ami Gérard Guégan, historien et spécialiste de Bisson, eut écho de cette lettre. Après vérifications d'usage, rendez-vous fut pris le 26 octobre 2015 pour consulter le précieux document à la librairie "Traces Écrites", spécialiste des autographes et manuscrits, 29 rue de Condé à Paris. Ceci fait, notre spécialiste ne pouvait que conserver cette archive. Nous nous devions être présents pour éterniser l'événement. 

la lettre présentée pour la photo

M. Gérard Guégan et son conseil Rémy Porquier

un courrier examiné dans le détail...
en se posant les questions pour recentrer l'époque en rapport au texte.


adresse de l'enveloppe





Description

La lettre de Bisson à sa mère étaient accompagnée de 2 documents

I : LETTRE BISSONIl s'agit d'une rare lettre du lieutenant de vaisseau Bisson  écrite à Toulon, à son retour de Smyrne. Arrivé à Toulon, il profite du départ du médecin de la Daphné, qui se rend à Paris, pour transmettre à sa mère ce courrier dans lequel il donne de ses nouvelles ; il souhaite être débarqué et redoute le refus des officiers supérieurs.
Cet écrit nous offre un côté humain et vivant de Bisson autre que le côté statufié dont nous nous sommes contentés jusqu'à maintenant. Bisson parle de ses problèmes à ses proches avec le style de l'époque, sa sensibilité et élégance.

II : RAPPORT DU CAPITAINE TEXIER : Le lieutenant de vaisseau Texier écrit à la mère de Bisson, (le 22 février 1828) le récit très détaillé de la fin tragique de son fils et de son geste héroïque

III : LA QUOTIDIENNE : Copie d'époque d'un article de la Quotidienne du 16 fév. 1828, journal de marine, sur la célébration faite à Lorient en son honneur et le projet d'une statue.



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Contexte

Pour une meilleure lecture de ce courrier, Gérard Guégan, nous apporte ces informations importantes :

Voici une superbe lettre intime, écrite de la main d’Hippolyte Bisson à 30 ans, qui révèle un jeune homme courtois, tendre, attentif et d’une grande gentillesse. Cette missive destinée à sa belle-mère, nous oblige à relater les évènements familiaux qui ont parcouru sa vie, pour une meilleure compréhension du courrier et connaissance de ce jeune officier de la Marine Royale Bretonne.

Le père d’Hippolyte, Magloire-Laurent Bisson, est né à Agon (Manche) rebaptisé : «Agon-Coutainville», le 13 Novembre 1755. Il meurt à Lorient (Morbihan) le 6 Septembre 1823 à 68 ans.
Il était un grand négociant et gérait une savonnerie dans les bâtiments de l’ancienne Abbaye de la Joie, près d’Hennebont - une verrerie au Kernevel, près de Lorient - des Salines à Saint-Goustan, anciennes dépendances de l’abbaye de St-Gildas-de-Rhuis. Il arma également des bâtiments de la Marine Royale de Lorient.
Il se maria en première noce, avec Marie-Anne Brossard Duchélas à Langoëlan, près de Guémené-sur-Scorff, le 27 Avril 1795. Celle-ci donnera naissance à Hippolyte Bisson, le 03 Février 1796 à Guémené chez sa grand-mère. Marie-Anne décèdera une demi-heure après  l’accouchement, dans la maison de sa mère.
Magloire-Laurent Bisson, épousa en seconde noce en 1797, Elisabeth-Louise Bécherel, mais  elle ne veut pas entendre parler de l’enfant de ce premier mariage. Hippolyte passa son enfance à Guémené, chez sa grand-mère et chez son oncle au Manoir de Tronscorff, à la sortie de la commune. Sa seconde épouse décèda d’une grave maladie vers 1808.
Magloire-L. Bisson épousa en 3ème noce, Mle de la Roche-Poncié, d’une famille de Bourgogne ; le jeune orphelin trouva en elle, les soins et la tendresse, d’une véritable mère, alors qu’il avait 13 ans... La lettre suivante écrite à Toulon le 19 Juillet 1826, lui est adressée à Paris .

Dans cette missive cachetée, il écrivit : «Pour peu que Mr d’Augier veuille s’intéresser à mon affaire». Bisson, qui était très bien noté par ses supérieurs, rêvait de commander un bâtiment,  comme son ami, l’Enseigne de Vaisseau Mr Peyronnel. C’est à cet égard qu’il parle de : «son affaire».
Pour le Contre-Amiral de Molini, Bisson fut son aide de camp quand il était le Commandant de la Marine de Lorient du 1 Mai 1823 au  6 Décembre 1824. L’Amiral fut un grand ami de son père. C’est à cette époque, que Bisson avait demandé au Général Halgan, le commandement de la Goélette «LA MUTINE», en achèvement à Lorient. Mais il n’eut pas  satisfaction, malgré l’appui de l’Amiral de Molini




I

LETTRE BISSON
19 juillet 1826

Madame,
Madame Vve Bisson, M.
Péron. n° 16, Faux-bourg St Germain
à Paris


                                                                Toulon le 19 juillet 1826


                                                                                                       Ma chère Maman,

Mr Bonat, notre médecin à bord de la Daphné,  veut bien se charger  de vous remettre cette lettre à Paris où il doit passer quelques jours en redescendant à Lorient. C’est un de mes bons amis, et il pourra vous mettre au courant de tout ce qui me concerne.
Si, comme il me l’a promis, il vous porte ma lettre lui-même. à mon grand regret je ne puis pas être son compagnon de voyage. Cependant je ne perds pas tout espoir de le suivre dans quelques temps : mon capitaine vient enfin d’écrire à cet effet au général Halgan. Il est vraiment tenu qu’il y soit décidé !  L’idée de ce qu’il n’a ainsi tardé que parce qu’il cherchait à me conserver sur son bâtiment n’a rien de choquant en elle-même; mais je m’étais erroné si positivement sur ce point, qu’il aurait dû et pour lui et pour moi ne pas insister autant qu’il l’a fait.

Je remets d’un jour à l’autre de demander mon débarquement, afin que je sache à quoi m’en tenir relativement à mon congé avant  de m’exposer à toutes les tracasseries du service à terre. En employant ce moyen j’ai déjà évité d’être mis dans le 14ème équipage, dont la formation vient d’avoir lieu. Je ne crois pas cependant que je reste encore plus de deux ou trois jours embarqué, attendant que le bâtiment ira en rade et que ...


...je ne veux pas l’y suivre.

Mr Peyronnel pense qu’il est nécessaire que vous voyez le général Halgan relativement à moi, mais moi je ne vois pas la chose ainsi. Pour peu que Mr d’Augier veuille s’intéresser à mon affaire, elle réussira de la manière la plus naturelle et en même temps la plus conforme à ce qui est prescrit aux officiers : de n’adresser de demander au Ministère qu’après les avoir soumis au commandant de la marine.

Le Général De Molini m’a écrit une lettre fort obligeante pour me remercier de lui avoir envoyé du pigeon de Smyrne. J’avais hâte de recevoir cette lettre, parce que je craignais que mon débarquement ne fut en contradiction avec ses idées; il m’engage à me rendre auprès de vous et si cela n’ajoute rien au grand désir que j’ai de le faire, du moins je n’aurai pas à regretter son approbation, et c’est beaucoup pour moi à qui il veut bien prendre tant d’intérêt : c’est aussi ma consolation que de voir ce bon général et sa famille partager mes regrets les plus cuisants, et  de me conserver leur bonne amitié.

C’est aux soins que m’a prodigués Mr Bonat que j’ai dû ma guérison à Smyrne : voilà le titre auquel je vous le recommande pendant le court séjour qu’il doit faire à Paris. Nous sommes trois qui quittons le bâtiment, l’officier que nous avions eu le malheur de perdre n’avait pas été remplacé. Il ne restera donc à bord de la Daphné, de l’ancien état-major, que le capitaine et son élève.


Il me semble déjà qu’il y a un siècle que je suis à terre, et pourtant il n’y a que dix jours. C’est une preuve que le séjour de Toulon n’est pas enchanteur. La chaleur est excessive et les courses continuelles que l’on est obligé de faire sont peu fatigantes surtout pour moi qui loge à l’extrémité de la ville et très loin du port. Toutefois je ne suis pas fâché d’exercer un peu mes jambes.  J'en serais moins gêné si j’ai le bonheur d’aller à Paris.

Le vin de Mr Groult n’est pas encore expédié. On m’en a cassé une bouteille et je veux la remplacer : le peu qui me reste est pour le moment à bord d’une allège très encombrée, de sorte que je suis forcé d’attendre encore un ou deux jours.

Recevez l’assurance de la vive et sincère amitié que j’ai pour vous, ma chère maman, ainsi que pour Thaïn, et présentez, je vous prie, mes respects à toute votre famille.
                                   
                                                                      Votre fils et frère bien affectionné,

                                                                                                    Bisson

Vous ne me dites jamais rien de Mr et Mme Lorrouid  ne seraient-ils plus à Paris ?
Ne m’oubliez pas auprès de Mme Henry et de son fils.




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Quartier St Germain - 1830
où habitait Mme Bisson


Le Général Halgan
1771 - 1852



Jugement du Lieutenant de Vaisseau Peyronnel à propos de Bisson






II

RAPPORT CAPITAINE TEXIER
22 février 1828


                                           Rade de Toulon, à bord de la frégate la magicienne
                                                                   Le 22 Février 1828


                                                                                       Qu’est-ce que le monde ? un tombeau
                                                                                La poussière que nous foulons fut ce même nous animée

Madame,

Une action malheureuse mais héroïque nous a privés, vous d’un beau fils qui vous était tendrement attaché, et moi, d’un ami dont je pleurerai longtemps la perte. Le bon et brave Bisson a péri glorieusement le 5 novembre à dix heures du soir.
Ce n’était que depuis le mois de mars de l’année dernière que je connaissais votre estimable fils, il fut destiné à cette époque dans le 23ème équipage de ligne comme lieutenant à la 1ère compagnie que je commande. La conformité de nos goûts et de nos sentiments nous ont bientôt liés, et je n’avais qu’à m’applaudir de mon nouvel ami, lorsque ce triste événement m’en a séparé à jamais.
Un bâtiment pris pour  des pirates grecs avait besoin d’un capitaine, il fut proposé à Bisson qui l’accepta; quoique par un pressentiment secret, j’eusse fait tous mes efforts pour l’en détourner. Le 1er novembre ce bâtiment et notre frégate partirent ensemble d’Alexandrie; nous navigâmes parfaitement l’un près de l’autre jusqu’à la nuit du 4. Cette nuit le mauvais temps nous sépara. De minuit au jour nous tirâmes des coups de canon et nous lançâmes des fusées pour indiquer notre position à Bisson, mais il ne répondit à aucun de nos signaux. Nous avons appris depuis que Bisson, dès qu’il nous eut perdus de vue, se détermina à chercher un abri contre le mauvais temps, et gouverna en conséquence vers l’île de Stampalie, à 6 heures du matin. Passant près d’une pointe de l’île, deux pirates grecs qu’il avait à bord se jetèrent à la mer et gagnèrent le rivage. à 9 heures Bisson jeta…


...l’ancre dans une petite baie située à une lieue de la ville. il fit, pendant la journée, les préparatifs de défense, dans le cas que les deux pirates grecs échappés de son bord n’en eussent recrutés d’autres pour venir l’attaquer; cette supposition ne s’est que trop cruellement réalisée. A 10 heures du soir deux grandes embarcations montées par cent vingt pirates sont venus l’assaillir. Bisson fit exécuter un feu de mousqueterie qui leur fut très meurtrier et parvint quelque temps à les contenir; mais que pouvaient faire quinze français contre tant de brigands, ce petit nombre de braves réduit à moitié par les coups ennemis se vit débordé et accablé par le nombre. Les pirates furent bientôt maîtres du bâtiment. Notre brave ami eut alors livré sublime de s’immoler pour faire périr tous ces brigands et en délivrer ces parages infestés de leurs crimes. Il prit une mèche pour mettre le feu aux poudres, fit ses adieux aux cinq français qui combattaient encore et leur commanda de se jeter à la mer. Peu de secondes s’étaient écoulés, lorsqu’une forte explosion mit en pièces le bâtiment. Tous les pirates furent submergés ; ces cinq français qui déjà étaient à quelque distance du bâtiment au moment de l’explosion parvinrent à gagner seuls le rivage. Ainsi a péri jeune encore, mais d’une manière digne de ses estimables, celui que nous regretterons longtemps. Il me parlait souvent de vous, Madame, de sa soeur Thaïs, de ses projets de bonheur; étranger aux déductions de l’ambition, il n’aspirait qu’à sa retraite pour se retirer auprès de vous quelquefois à Guémené qu’il paraissait affectionner beaucoup. Et c’est au moment où l’amélioration de ses affaires lui faisait espérer de réaliser bientôt ses rêves de félicité que la mort est venue le frapper. Nous ne sommes donc pas plus fixés à cette terre que ne le sont à leurs tiges les feuilles de l’automne.
Bisson n’avait emporté avec lui qu’une partie de ses effets, l’autre était restée à bord de notre frégate je les ai faits soigneusement serrer, et en ai dressés l’inventaire, et  je vous envoie une expédition. Ils sont en ce moment…


...à la quarantaine pour être  serrés et seront ensuite remis suivant les ordonnances entre les mains de Mr Le Major Général de la marine à Toulon, pour être tenus à votre disposition. Nous sommes nous-mêmes en quarantaine. Vous n’aurez qu’à me marquer vos intentions, je me ferai un scrupuleux devoir de les remplir avec exactitude.
Vous trouverez ci joint à l’inventaire l’acte de décès et une note de ce que le gouvernement doit à Bisson ; cette somme devra être réclamée à Brest et pourra être touchée à Paris par vous chez le caissier des invalides de la marine.
Mademoiselle Thaïn dont je partage bien sincèrement les regrets et la douleur étant la seule héritière de votre ami, toutes ces réclamations devront être en son nom, et peut être appuyées d’un acte constatant qu’elle est la seule héritière.


Je vous prie d’agréer, Madame, mes respectueuses hommages et notre désir bien sincère de pouvoir vous être utile.

                                                                            Le Lieutenant de Vaisseau Capitaine à la 1ère Compagnie du 23ème Équipage
                                                                                            et second de la Frégate la Magicienne

                                                                                                                 Signé

                                                                                                                 Texier


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ACTE de DÉCÈS


Bulletin des Lois - 05 1828
Pension pour Mle Thanaïs Bisson , sa soeur



III


QUOTIDIENNE
16 février 1828



L’officier de marine dont nous avons déploré la perte, l’infortuné et généreux Bisson, était né à Lorient (1) qui a fourni tant de marins intrépides. M. Bisson s’était fait remarquer dans sa ville natale (2) par des vertus rares dans ce siècle, et par un caractère plein de fermeté que sa fin n’a que trop prouvé. Nous apprenons que les habitants de Lorient ont fait célébrer, le huit février, un service funèbre en l’honneur de leur courageux compatriote. On voyait à cette cérémonie M. le préfet de la marine, à la tête de de tous les officiers et employés du port, les autorités civiles et militaires, toutes les personnes notables de la ville, et un grand nombre de dames. Les officiers de marine retraités étaient accourus de plusieurs lieues, 


afin de rendre les honneurs funèbres à leur jeune compagnon d’arme.
Pour éterniser le souvenir de la glorieuse conduite du Lieutenant Bisson, la ville de Lorient va faire frapper une médaille, et une souscription est ouverte pour lui élever un  monument au sein d’une ville qui s’enorgueillit de l’avoir vu naitre (3).

                    
                                                                    (Quotidienne, samedi 16 février 1828.)


 (1), (2) et (3)  Hippolythe Bisson est né à Guémené et non à Lorient.



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Lorient




Message de M. Gérard Guégan


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