30/05/2014

       

LA SOULE
ou la guerre pour une vessie de porc


Ancêtre à la fois du rugby et du football, la soule fut un jeu très populaire au siècle dernier qui se pratiqua avec une petite balle en cuir (ou vessie d'animaux) bourrée de fils, de paille ou de foin. L'objectif de ce jeu consistait à porter la balle dans un lieu convenu à l'avance. Très développé dans nos campagnes du Pays Pourleth, sa pratique donna lieu parfois à de violentes rivalités comme en 1857 lorsque les Bretons affrontent les Gallos. Ce jeu sans réelles réglementations occasionna de nombreuses blessures graves des participants, ce qui poussa les autorités à prendre des mesures jusqu'à l'interdire. . .
Mais arrêtons-nous là et découvrons ce jeu grâce à l'intervention amicale de Rémy Porquier qui nous a fait l'honneur de fouiller le sujet et de partager ses recherches. Nous le remercions.


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Connaissez-vous la soule ?


Le Petit Robert 2012 ne risque pas de vous aider, vous n’y trouverez pas soule entre soûlaud et sôuler, comme si ce dictionnaire avait perdu la mémoire de la soule, sans ou avec circonflexe. Ce jeu n’a pas de rapport avec la soûlerie, sauf très indirectement avec une certaine forme d’ivresse populaire collective ou avec des libations d’après joutes, il y a bien longtemps.

Oubliée des dictionnaires actuels, la soule est ainsi décrite dans la Grande Encyclopédie du XIXe :


A travers le temps et l’espace, ce jeu a connu plusieurs orthographes (soul, soule, soulle, sooûle) et même divers noms. En breton, mell désignait le ballon, et mellat le jeu de soule.



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De quand date la soule ?

Ce jeu est certainement très ancien. On en retrouve trace au XIVe siècle, et il date sans doute de bien avant. Il aurait eu près de 10 siècles d’existence, jusqu’à ses dernières traces au début du XXe siècle.


« Tout ce que l'on peut dire sur l'ancienneté de cet exercice, c'est que, à en croire des témoignages de la seconde moitié du XIXe siècle, il semble implanté de longue date dans plusieurs contrées. A Chauny, en Vermandois, on y était accoutumé, dit une lettre de grâce de l'an 1374, de temps immémorial, “ de si longtemps qu'il n'est mémoire du contraire » ( Gougaud 1911 )

Encore bien avant cela, il exista des sortes de jeux de ballons, chez les Aztèques, en Chine et au Japon.




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Où fut-elle jouée ?



Pour en rester en Europe et au deuxième millénaire, la soule a été pratiquée en Bretagne, Cornouailles et Pays de Galles, mais aussi dans maintes régions de la France, et principalement dans les pays de langue d'oïl Artois, Picardie, Vermandois, Vexin, Basse-Normandie, Brie, Gâtinais, Beauvaisis, etc.. On courut même la soûle dans quelques pays au sud de la Loire, à Cusset et à Hérisson, dans le Bourbonnais, à Goriac, en Auvergne, etc. (Gougaud)



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Qu’était-ce donc que la soule ?

Il est difficile de décrire précisément la soule, dont les règles et le déroulement ont dû beaucoup varier à travers le temps et les lieux. Il n’en reste que quelques chroniques et des illustrations, alors qu’elle a été bien implantée dans la culture populaire, surtout rurale.


Classée parmi les jeux celtiques traditionnels, la soule s’apparente, de façon lointaine, à des jeux celtiques anciens, comme le hurling et le knappan, en Cornouailles (Cornwall) et au Pays de Galles, apparemment éteints au XIXe siècle, et indirectement à des jeux bien plus récents, codifiés après 1850, comme le football et le rugby et … le football gaélique.


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La soule, l'objet

La soule en France, était tantôt une boule massive de bois, tantôt un ballon.


En Basse-Bretagne, c’était presque toujours un énorme ballon de cuir rempli de son, de filasse ou de foin, parfois de bourre ou de sciure de bois. Dans certains lieux, on huilait, au surplus, le ballon extérieurement pour le rendre plus glissant, plus difficile à saisir et à garder. (Gougaud)


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La soule, le jeu

Il s’agissait pour chaque camp, à partir d’un point de départ, de parvenir à amener le ballon en un lieu final, normalement en territoire de l’un ou l’autre camp.

Quant aux règles et au déroulement du jeu, on peut retenir qu’en Bretagne

- la soule avait lieu surtout en hiver, les dimanches et jours de fête, et était annoncée par un crieur public
- la partie commençait au début de l’après-midi pour se terminer au coucher du soleil
- le plus souvent, la lutte s’engageait entre deux paroisses voisines.


Mais il arrivait que chacun des camps rivaux regroupe des participants de plusieurs paroisses :


C’étaient alors des joutes formidables, où les champions se comptaient par centaines, et qui se poursuivaient durant des journnées entières avec un acharnement indescriptible (Gougaud)

Il faut imaginer sur une, deux ou plusieurs lieues ces galopades, ces empoignades, ces corps-à-corps, ces mêlées, à travers champs, villages, bois, landes, rivières, jusqu’à la mer parfois. Il y avait des éborgnés, des morts et des noyés, des estropiés. C’est pourquoi il y eut au fil des siècles, de la part des autorités royales ou religieuses, des réglements, des édits, pour interdire ou contrôler un jeu aussi violent, et parfois jugé impie...qui pourtant aura traversé au moins dix siècles.

La fin de la soule paraît datée des entours de la fin du XIXe siècle et dans le Morbihan
elle fut interdite par arrêté préfectoral en 1857


Et pourtant la soule s’est poursuivie au-delà :

[une] rencontre mémorable […] eut lieu en juin 1888. On vit une masse de près de cinq cents individus appartenant aux paroisses de Saint-Garadec-Trégomel, Lignol, Inguiniel et Berné se disputer âprement la soûle aux environs de la jolie chapelle de Kernascléden. Les paroisses de Berné et de Lignol fournirent chacune 50 combattants ; Saint-Garadec, 100 ; Inguiniel, de 250 à 300 […] La lutte fut très longue. Engagée vers 11 heures, elle ne se termina qu'à la tombée de la nuit [c'était au mois de juin !]. Après bien des péripéties, le champion Hybois, alors âgé d'une trentaine d'années, réussit à loger la soûle au village de Kerhihuel, situé près de l'étang de Pontcallec ; ce fut une éclatante victoire pour Saint-Caradec ». (Gougaud)


On en trouve mention jusqu’en 1912. Joseph Loth, Guémenois, professeur au collège de France, déclarait, le 8 février 1912 : “Ce jeu se pratique encore dans mon pays, à Locmalo, près de Guémené-sur-Scorff, le lundi de Pâques, dans une lande appelée Lan-Zar”.

Et il semble bien que le Morbihan soit en France le dernier lieu, la dernière trace de la soule ancestrale. Peu après 1912, d’autres combats plus graves et plus dévastateurs étaient à venir …



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et la soule, aujourd'hui .. .


Nous voici en 2014 ,
longtemps après la disparition de la soule et beaucoup ignorent qu’elle a existé.



Dans le Morbihan, où on retrouve ses dernières traces il y a un siècle, il est bien possible que certains jeunes footballeurs d’aujourd’hui soient des descendants de souleurs du XIXème sècle, ou d’avant. Il est difficile de le savoir mais si l’on converse avec des anciens du Morbihan, ceux nés par exemple avant 1940, peut-être ont-ils en mémoire, par tradition orale et régionale, voire familiale, des évocations de la soule, des traces de sa légende ?

Il est à noter qu'un film d'aventure intitulé " LA SOULE " fut réalisé en 1988 par  Michel Sibra avec Richard Bohringer, Christophe Malavoy et Marianne Basler, nous faisant partager l'ambiance qui régnait lors de ces joutes populaires.





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LA SOULE et LE FOOTBALL GAÉLIQUE


Le football gaélique est le sport national le plus populaire en Irlande et c'est un des héritiers indirects de la soule.
C'est un mélange de football, de handball et de rugby. On ne compte pas moins de 2 800 clubs et environ 250 000 joueurs et joueuses dans ce pays. C'est un sport rapide et physique, demandant beaucoup d'habileté. 
Regardez la video suivante où les joueurs combinent les passes à la main comme au pied avec une légéreté étonnante... 


VIDÉO


Depuis les années 90, ce sport s'est intallé en France, 
les équipes se multipliant, notamment en Bretagne :

Ar Gwazi Gouez de  Rennes fut fondé en 1998, le football gaélique Bro-Léon de Brest en 1999. Liffré , Nantes , Vannes , Guérande , Saint-Brieuc , Quimper et Lorient (gaélique Athletic Club) ont aussi leurs clubs donnant lieu à une concurrence acharnée.



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DOCUMENTATION



  Voici 3 textes intéressants traitant de la soule :
Le premier d'Emile Souvestre (1806-1854) est un témoignage contant la soule au XIXème siècle.
Le deuxième (1911) de  L.Gougaud est un article complet sur L'histoire de la soule nous vous recommandons.
Le dernier est signé Laurent Sébastien Fournier, universitaire évoquant la renaissance actuelle de la soule



EMILE SOUVESTRE
Mémoire locale - la soule à Stival ...




L. GOUGAUD



LAURENT SÉBASTIEN FOURNIER
La soule aujourd'hui





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la SOULE à GUÉMENÉ
Bulletin paroissial La cloche n°13 du 04 juillet 1909



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Si vous-mêmes avez des témoignages ou documents concernant la soule,
faîtes-nous signe en écrivant au blog
guemenesscorff@gmail.com


2 commentaires:

  1. Nous sommes a nouveau transportés dans le temps .Merci d'en faire notion car je ne connais guère aujourd'hui de personnes informées sur ce sport.

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  2. Saoûlement vôtre ! non je plaisante ; Je n'étais point de la sorte lors de la lecture de ce magnifique sujet évoquant ce jeu dans notre coin. Bien de fouiller et nous apprendre ces sujets élégamment présentés. Ce site est maintenant un puits d'archives pour un béotien comme moi et j'espère pour d'autres. Bravo et merci.

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