12/09/2013

 
 
 
 
 
CHRONIQUE POURLETH D'UN VOYAGE À STE ANNE
1912


Sainte-Anne d'Auray est le principal lieu de pèlerinage de Bretagne. On y vient depuis 1625, pour commémorer l'apparition de Sainte Anne à un pieux paysan Yves Nicolazic. A la belle saison de nombreux pèlerinages y ont lieu dont le principal en juillet " le pardon de Sainte Anne ". 

"Mort ou vivant, à Sainte-Anne une fois doit aller tout Breton".
 
En l'année 1912, les paroisses pourleth du pays guémenois avaient mobilisé leurs efforts pour organiser un pèlerinage le dimanche 19 mai . Les paroissiens en nombre avaient répondu présent. Il ne fallut pas moins de 24 wagons au petit train pour acheminer tout ce monde vers Ste Anne d'Auray. C'est une véritable expédition pour certains d'emprunter ce nouveau moyen de communication.
Le journal " l'Indépendance Républicaine " défendant les vieilles idées de l'identité bretonne catholique nous offre un article " Note d'un pèlerin à Ste Anne d'Auray " rédigé certainement par un ecclésiastique connaissant bien le caractère guémenois et les murmurantes prières qui soupirent (caractères jaunes dans le texte).
 
Laissez-vous transporter par le petit train de Guémené à Ste Anne et vivez au rythme de ces pèlerins pourleth, le tout décrit dans un langage fleuri . Bon voyage...
 
 
 
 
  
L'INDÉPENDANCE RÉPUBLICAINE 

 
Pèlerinage à Ste Anne du Canton de Guémené-sur-Scorff 


 
Dimanche dernier, 19 mai, dès la première aube, il y avait une animation inusitée à  la petite gare de Guémené sur Scorff. De tous côtés affluait, les uns en groupes serrés, les autres juchés sur des voitures que traînaient allègrement  de leur joli trot, nos bons bidets bretons, la fine fleur du pays guémenois. L’on se pressait et gourmandait pour ne pas être en retard car c’était le premier pèlerinage du canton à Ste Anne et personne ne voulait manquer cette première visite solennelle à la grande patronne des Bretons.

 
Sur les quais de la gare beaucoup trop exigus, c’était un papillonnement de coiffes blanches aux ailes déployées s’entremêlant aux chapeaux sombres des hommes galonnés de longs velours… Les paroisses avaient répondu magnifiquement à l’appel de leurs clergés : plus d’un millier de personnes s’apprêtait à prendre d’assaut les quatre trains spéciaux mis à la disposition des pèlerins. Et trop nombreux, hélas ! furent les retardataires désappointés qui ne purent obtenir de billets.

 
Enfin les trains s’ébranlent, salués de joyeuses exclamations, et commencent, aux chants des cantiques, leur course sinueuse au milieu des vertes campagnes qui, elles aussi, sous le coup de baguette du Grand Magicien Céleste, s’étaient parées, comme aux grands jours, pour « bonjourer» ses enfants « fils de la terre » qui passent… Le soleil irradie de tous ses feux matutinaux, les prairies aux mille fleurs, les seigles déjà blondissant, les trèfles piquant leurs notes écarlates sur les belles nuances vertes des froments et des avoines... Et, cependant, toute la campagne guémenoise, semble porter magnifiquement les beaux tabliers "grenats brodés d'or", "bleus-ciel", "gris moirés", "verts tendres" qui s'étalent aux portières des wagons.

 
Aux cantiques pieux succèdent les gaies conversations, les appréciations des laboureurs sur les territoires qu’on traverse, et les rappels des vieux souvenirs d’antan : pèlerinages d’autrefois, à pied, le bâton noueux à la main, à dos de cheval avec une personne en croupe, dans les antiques carrioles où l’on s’entassait, les péripéties du voyage, les surprises de l’étape, toutes choses qui ont disparu avec les nouveaux moyens de locomotion. D’autres se taisent, soucieux, surtout parmi les aînés. Pour beaucoup de ceux-ci, ce pèlerinage est aussi une révélation, c’est la première fois qu’ils s’embarquent en croupe de la grande "jument noire" comme nos compatriotes dénomment la locomotive en leur langage imagé et l’on s’extasie sur la vitesse de notre petit tramway…

Enfin le train siffle et l’enfilade des 24 wagons glisse au travers des vallées du Blavet  « tout noir au milieu des forêts »…
 
« Franchissant les vallons, éventrant la montagne,
Traversant le Blavet comme un simple ruisseau
Plus rapide nageur que la couleuvre d’eau. »
 
L’on n’aspire plus qu’à une chose, aller vite, encore plus vite ! Et eux aussi, les antiques pèlerins au bâton noueux et à la carriole grinçante, ils se sentent pris par la moderne griserie de la vitesse… Il est vrai que c’est pour voir Ste Anne plus tôt. A peine a-t-on le temps de regarder les campagnes au milieu desquelles passent orgueilleusement nos wagons et de faire sur les récoltes, les labours et les landes incultes de Pluvigner et d’Auray des réflexions tout à l’avantage du pays Guémenois.
Enfin la pointe de la basilique pointe à l’horizon, et sitôt aperçue, elle est saluée par des cris de joie ! Quelques minutes après : « Ste Anne, tout le monde descend ! » Dégringolade générale et preste du train ; l’on se cherche et s’interpelle avec cette exubérante bonne humeur que nos bons pèlerins se sont donnés garde de laisser chez eux.

Sur la route poudreuse conduisant à la basilique aimée s’échelonnent les groupes et les paroisses ; les voitures aussi (car  on aime un peu la parade chez nous) sont mises à contribution et elles brinqueballent dans un bruit infernal de ferraille, une partie de la caravane.
La procession se forme par paroisses, sous un soleil radieux qui n’a pourtant rien d’africain, et ce fut alors, je crois bien, la plus grandiose manifestation de foi guémenoise qui m’ait été donné de voir.
Ici, pas de respect humain (!!?). Chez lui, au milieu de ses plus beaux pardons, à Crénénan, à Pénéty, à St Cado, le Guémenois arrête ses élans ; il semble gêné par l’ambiance. Mais ici, dans ces deux longues files de pèlerins qui s’acheminent doucement vers le lieu saint escortant les bannières cramoisies lamées d’or, ses croix d’or et d’argent, rien de tout cela. Sans doute que les ailes des jolies coiffes finement brodées palpitent, fières d'être bien portées, à la brise marine qui souffle du large ; sans doute que nos hommes à l'allure très dégagée dans leurs gilets constellés de boutons d'argent, en costume brillant qui rend l'âme plus fière, marchant un peu comme à la parade, un sourire au coin des lèvres, sous l’œil bienveillant des chapelains très jeunes sous la mosette violette, mais, la coquette élégance, la gracieuse tournure de nos jolies Guémenoises, c’est comme un suprême hommage féminin rendu à la mère de la Vierge ; mais la belle prestance de nos hommes, leur allure désinvolte, leur humeur gaie, c’est toute l’âme, tout l’esprit catholique du pays guémenois qui vient s’incliner filialement devant la grand’mère de Jésus.
Car la piété du Guémenois n'est pas la piété sombre et silencieuse du Léonard ; elle n’affecte pas la simplicité des habitants de nos côtes et elle n’a pas non plus l’ardeur de celle des Cornouaillais qui quittent l’ombre des sanctuaires de ND de Guingamp et de ND de Bulat pour venir pieds nus jusqu’à Ste Anne d’Auray. Non ! Elle est plus extérieure et quelque peu frondeuse peut-être mais elle existe et combien enracinée dans les âmes ! La grandiose manifestation d’aujourd’hui en est une preuve magnifique et l’acte de foi de tout ce Peuple marchant pieusement vers la basilique est un spectacle réconfortant et vraiment impressionnant.

 
Cette procession est véritablement une manifestation de la foi populaire et paysanne ; ceux-là qui par leur naissance, leur fortune, leur profession, leur mandat, se croient au-dessus du peuple, y sont peu ou pas représentés ; ils ont semblé ignorer tout de ce côté de l’âme bretonne ou y être indifférents : le peuple pourrait s’en souvenir un jour.

 
La procession traverse les rues du village pavoisées aux couleurs de France en raison de la fête de Jeanne d’Arc et défile autour de la Scala Sancta pour entrer dans la grande basilique. Ils sont émerveillés, ceux qui y entrent pour la première fois, mais cet émerveillement fait place bientôt au recueillement le plus profond et je dois rendre cette justice à mes compatriotes qu’ils y sont véritablement pénétrés de la Piété du lieu. Ils écoutent religieusement les exhortations de Monsieur le Supérieur des Missionnaires diocésains, Monsieur le chanoine Gouarin qui, auparavant, leur souhaite la bienvenue en leur disant que les fidèles de Crénénan, de Pénéty et de Kernascleden étaient attendus depuis longtemps chez la mère de leur Madone. Et l’office divin commença, célébré par Monsieur le Curé-doyen de Guémené. Monsieur l’abbé Le Du, recteur de Ploërdut, accompagnait délicieusement le vigoureux chœur des hommes alternant avec le gracile chant des femmes. Parfois les grandes orgues roulent leur tonnerre d'harmonie sous les voûtes sonores où soupirent délicatement de murmurantes prières. Toute la nef s’imprègne de piété, des oraisons s’exhalent de toutes les poitrines ; des fronts oublieux de toutes les vanités du monde se prosternent et les prières montent, ardentes, solliciteuses de grâces vers la grande Dispensatrice céleste et en ce moment tous les agenouillements devant le Très Haut, toutes ces extases, toutes ces prières réunies s’affirment comme un sublime acte de foi dans le culte indéracinable des aïeux.

 
Cette ferveur s'interrompt un instant pour prendre la  nourriture apportée dans le panier à provisions. Et chaque famille de s'installer sur l'herbe verte à l'ombre des marronniers fleuris pour grignoter la délicieuse crêpe de froment et la succulente andouille de Guémené qui ne pouvait manquer à pareille fête... Les repas furent assaisonnés de pure et franche gaîté : le cidre pétille, les rires fusent, les interpellations de groupe à groupe s'entrecroisent spirituelles et blagueuses.
« On est ici comme chez soi », lance quelqu’un. Il est vrai que Ste Anne est le rendez-vous des vrais Bretons.


Si le Guémenois est né un tantinet gouailleur et frondeur, il a gardé le mysticisme de sa vieille race. Il l’a bien prouvé d’ailleurs à la procession de l’après-midi quand les hommes munis du cierge symbolique ont donné une superbe garde d’honneur au T S Sacrement. Et ce défilé lent sous les mystérieux arceaux du cloître, scandé par des voix viriles clamant le « Benedictus » et les gloires du fils de David, était la consécration, comme la suprême apothéose de cet immense acte de foi qui conduisait à Ste Anne d’Auray les onze paroisses du beau canton de Guémené…

 
Le retour se fit sans un cri discordant, sans une bousculade, l’on se sentait là comme en famille. Et puis d’ailleurs les Guémenois ont toujours été  réputés pour leurs bonnes manières affables et polies, leur urbanité  et leur sobriété. Le pèlerinage fut définitivement clôturé  par une bénédiction donnée au retour dans l’Eglise paroissiale de Guémené.
 
 
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* Les illustrations sont toutes des reproductions de cartes postales anciennes sauf le train des Guémenoises, extrait de l'ouvrage "Petits trains du Morbihan et de Loire-Inférieure", par René Hulot, éditions Cenomane-la Vie du Rail.
« Le paysan de Guémené » est une reproduction couleur de lédition originale de la "Galerie Armoricaine" de Lalaisse, en vente à la boutique... de Ste Anne d'Auray.




 
 
DOCUMENT
 
En cliquant sur la gravure ancienne ci-dessous de la Basilique de Ste Anne
vous trouverez un ouvrage complet édité en 1845
par le Père Arthur Martin
sur le Pèlerinage de Ste Anne d'Auray.
 
 
Ci-dessous un extrait de ce document expliquant
la dévotion envers Ste Anne en pays guémenois
 
             

 
 MERCI à M. R.H.
 

3 commentaires:

  1. BRAVO à MRH !!!!et merci...

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  2. Encore BRAVO à MRH!!!!!et merci!...

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  3. toujours étonné par le blog et la trouvaille de cette épopée guémenoise même si je ne suis pas pratiquant . c'est un documentaire auquel j'ai participé en le lisant et me permet un peu plus de comprendre notre pays et son comportement

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