10/03/2012




FLÂNERIES D'UN PROMENEUR SOLITAIRE (2)
ou
Guémené de la Belle Epoque et son centre ville disparu


Voici le deuxième volet des errances de notre promeneur. Toujours attentif et l'oeil avisé, il continue à parcourir son vieil album de cartes postales et nous fait partager le constat des transformations du centre ville avec précision ... vieux métiers, enseignes, affiches, physionomie de la rue au fil des saisons et des années qui passent. Son récit nous montre l'importance des cartes postales, unique témoignage visuel, attestant du changement de la cité. Ce plaisir de lire notre promeneur et de le relire, c'est à vous maintenant...

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Guémené séduit Waron. On assiste à une déferlante, tout y passe, le château, les ruines de l’ancien castel dispersées dans le parc, le centre ville, toutes les curiosités de la commune et des environs. Mais notre propos se limite aujourd’hui au centre ville.

Le marché. Waron est le seul (à ma connaissance) à proposer une vue plongeante prise depuis le grenier de l’horloger.


Les lointains pèchent question netteté mais on distingue quand même plusieurs éléments marquants. Les arbres de l’ancien domaine seigneurial s’élancent très largement au-dessus du quartier des halles, justifiant la carte du patron J. Eliot vantant son hôtel :
" grand parc, situation unique dans un décor de ruines antiques "
Plus difficilement, on peut quand même lire le panneau qui annonce en grand « HOTEL MODERNE » .

Côté gauche, on distingue le café Bisson, 3ème maison en légère avancée de la rangée qui en compte 5 et finit à la rue de la Carrière. On reconnaît le débouché de la rue au niveau de la grande bâtisse portant le réverbère.

De l’autre côté de la place, la partie haute est aussi bien lisible : un magasin « Draperie rouennerie boissons », une enseigne pendante, boule soutenant une sorte de queue de cheval, qui annonce un coiffeur.


Le marché impressionne par la foule qui s’y presse. Notons que les marchands forains respectent la règle qui veut qu’on laisse un passage de circulation derrière les tentes afin de permettre l’accès aux magasins. Les nombreux étalages sont nettement séparés et, de ce fait, très reconnaissables, surtout dans les plans rapprochés.

Devant le café Bisson, un groupe massé est en pleine discussion. Le commerçant suivant a accroché au mur une grande corbeille en vannerie ; peut-être un tas de sabots devant.


Prenez votre temps, promenez vous au milieu de la cohue, visitez les attractions, choisissez votre pain, vos sardines à l’huile (la Quiberonnaise, comme il se doit), carottes, poulet, coupons de tissus et draps, berceau en osier, que sais-je encore ?


Une jeune femme porte une tenue à la mode de Paris,
elle n’a pas échappé à l’objectif du photographe.


Inutile de chercher plus bas dans le lointain, les déballages et les tentes occupent la scène pour le plaisir des chalands et le nôtre. Nous allons suivre gentiment le photographe dans son mouvement.

Suivant la disposition communément adoptée, après la vue plongeante, une vue montante ; en fait, sensible à l’ambiance, Waron double ses clichés, cartes numérotées 8401 et 8421. (L’achalandage de la 2ème boutique sur la droite* montre qu’il les a pris à des moments différents du marché).


En dépit du charmant sourire de la fillette isolée sur la gauche, la description du décor est plus aisée sur la carte 8421 car le photographe domine mieux la situation.


Au 1er plan à gauche, sitôt dépassé la maison d’angle portant le réverbère dont on appréciera l’élégance, l’auberge relais de poste, « à la descente de l’Aigle d’Or » ; unique modification depuis Le Cunf, une longue canne en forme de calumet, indiquant le débit de tabac. Le magasin suivant a une activité difficile à définir ; patience, Hamonic nous éclairera tantôt.


Puis vient l’Hôtel des Voyageurs, nouvel établissement ouvert par Le Coguic. Un homme se repose devant sur le banc public. Plus haut, une bicyclette calée au mur, une femme assise.


Juste après, un bric à brac de caisses qui annonce peut-être une épicerie ou plutôt un débit de boissons si c’est bien une touffe de gui fixée au-dessus de la porte. La suite se perd dans la confusion.  


Reprenons à droite en partant du bas, à partir de la célèbre maison aux marches circulaires (maison du sénéchal) qui, pour le moment, garde son mystère (1).


Suivent les deux jolies maisons typiques ; l’une porte une enseigne illisible (2), l’autre une touffe de gui semble-t-il (3). Puis, on distingue une maison basse (4), dressant une sorte d’étendard insolite. La grande maison d’angle à l’embranchement de la rue de la Carrière est bien reconnaissable (5), ne serait-ce qu’à la lanterne de l’éclairage public (surlignée en rose).


Je vous laisse de nouveau au milieu de la foule, badaudez tout votre saoul ; attention aux paniers des ménagères et aux brouettes. Et n’oubliez pas de vous désaltérer régulièrement !

Pour les invétérés fouineurs, comparons l’image de Waron à celle du marché de Le Cunf. Eh oui ! Une des maisons qui suivent le café Bisson a été refaite, et, selon les canons de l’époque, on a sacrifié son toit pentu. Un bref retour à l’image 8402 permet de constater qu’il s’agit de la deuxième maison après le café Bisson, la première étant ici totalement éclipsée par l’avancée dudit débit.



C’est le deuxième toit dégommé ! Et le pire est à venir !

Le marché a plié bagage et la place a retrouvé son calme. Waron nous propose une vue intéressante de la rangée de maisons précédant l’ancien hôtel de la Croix Verte 1 dont le mur est aujourd’hui placardé d’une annonce pour la Société Générale et de mises en ventes.


Le magasin « draperie, rouennerie, boissons » porte une petite pancarte annexe, peut-être une publicité pour la société « l’Abeille ». Outre le banc sur le trottoir, on aura noté le crochet au-dessus du fenestron du grenier. La grande maison qui suit présente l’aspect que nous lui connaissons encore aujourd’hui, à l’exception du petit auvent disparu qui protégeait la fenêtre du 2ème étage. 

Par le porche, on observe une particularité très répandue à Guémené. Derrière les maisons ayant pignon sur rue, existent des habitations (à loyer modéré) où loge tout un peuple d’ouvriers, artisans, domestiques, etc. La situation est la même de l’autre côté de la place avec le populeux « Cheval Blanc » dont le nom apparaît dans les registres d’état-civil au même titre que la place Bisson, la rue de la Mairie ou la rue du Palais.



Puis vient maître Villard. Il va compléter Waron sans toutefois copier.

Il réussit cet exploit de nous présenter le bas du marché au débouché de la rue de la Laine, comme s’il s’agissait d’une vaste place.


  Au premier plan, très visité, un grand déballage de chapeaux d’été à la mode ; qui donc en porte ?

Fi des pavés, admirons plutôt les vieilles halles aux ailes flottantes et les premières maisons de la Grande Rue. Pour notre reconnaissance, un point précieux, un marchand de cycles occupe la seconde maison, d’où la roue en guise d’enseigne. Il s’agit probablement de Joseph Olivier fils (son père est un entrepreneur, tous deux cités dans le Didot-Bottin).


Maintenant Villard nous offre le choix, ou suivre le marché avec lui, ou nous attarder devant les nouveautés en montant la « Grand’Rue ». Je choisis la seconde alternative.


Après-midi d’été, il fait très beau. Scène contrastée entre ombre et lumière. Ne nous y attardons pas, juste un indice qui suggère que Waron a précédé Villard. Le calumet de la paix est maintenant doublé par une enseigne accrochée au-dessus de la porte de la maison Guernevel, on y lit « tabac ».


Retour au marché au niveau intermédiaire, dans « la Grand’Rue ».




Pour les retardataires, il est encore temps d’acheter ses carottes mais on n’en saura pas plus sur les magasins. Attention à l’attelage !

« Enfants, voici les boeufs qui passent, cachez vos rouges tabliers. »


Villard nous transporte en haut, devant le monument Bisson.



On n’a jamais vu d’aussi près l’horlogerie Mahé ; on peut même y lire l’heure sur le réveil dans la vitrine. Coucou ! Il est midi, Dr Schweitzer ! Par contre, la maison du maréchal ferrant sent la fin de règne ; l’enseigne aux fers à cheval a disparu et la plaque claire a des allures de fantôme. Sur le mur, plus bas, une affiche vante les mérites du savon Lechat.

Pour la première fois, nous croisons le Cheval Blanc. De l’autre côté de la place, un aperçu de l’ancien hôtel de la Croix Verte, qui abrite maintenant un office notarial (plaque).

Notons que dans le groupe d’enfants, les chapeaux de paille ne sont pas légion.



Villard satisfait à la coutume et nous livre, sans grosses surprises,
 un cliché du haut vers le bas.



Seul élément nouveau, il nous donne à voir dans son intégralité, sur la gauche, la rénovation des maisons évoquée plus haut. On n’apprend rien sur ces vitrines modernes. De l’autre côté, meilleur plan sur la boule du coiffeur. La maison au porche n’a pas changé depuis Waron.



Pour en finir avec Villard, suivons-le jusqu’à la place derrière la vieille mairie.


Sans nous attarder sur le 1er plan, rue du Palais et rue Neuve, focalisons sur la partie resserrée de la rue de la Mairie quand elle quitte la place Bisson au niveau de chez l’horloger Mahé.


Nous est révélée dans toute sa majesté, une des portions de l’îlot qui va disparaître prochainement sous le pic des démolisseurs. On y retrouve là le fameux café du Nord que Caldecott et Robida ont croqué en leur temps et où le capitaine Haddock a lampé le « lagoud jistr » (voir épisode précédent).



Pour conclure l’épisode, voici Hamonic. On commence avec une belle image du haut de la place. Elle manque un peu de précision dans la rue de la Mairie à laquelle le choix photographique du grand angle donne une fausse allure de boulevard.



Par contre, elle nous révèle sur la droite l’établissement du marchand de vin Brard-Cocary 2 et la maison du Cheval Blanc dont on a parlé plus haut. Notons que l’affiche Lechat est toujours présente, quasiment à sa dernière extrémité.


Retour au bas de la place. L’image générale d’Hamonic est proche de celle de Villard, à ceci près qu’elle donne à voir les travaux engagés sur l’Hôtel des Voyageurs, on change les volets, semble-t-il.


Et nous fermerons la rétrospective Hamonic sur un petit bijou, la scène du rémouleur.  



Elle a été à peine composée, prise quasiment sur le vif, un jour de marché. On reconnaît, au revers des volets (également visibles sur le  cliché 8421 de Waron), à gauche des écheveaux de laine ou de corde, à droite un coffret d’outils contenant une variété de ciseaux. Les objets exposés sur des étagères grossières calées dans l’extérieur de la fenêtre, évoquent un commerce de toiles ou une droguerie.

Notre 2ème épisode s’achève en beauté avec le cliché suivant. Edité par Le Cunf, il offre un raccourci de l’architecture ancienne de Guémené, le château, les halles et le train de 5 maisons représentatives. Profitez-en, c’est la première fois et la dernière fois.



Nous avons déjà signalé les deux plus élégantes, de facture très semblable, sauf que la première est plus haute d’un étage. Mais les suivantes ont aussi de l’allure et présentent un bel échantillon des toitures dominant le ciel guémenois dans les années 1900. Nous y reviendrons dans le prochain épisode. Quelles informations nouvelles donne cette image ? D’abord une confirmation, la grande maison à la touffe de gui est bien un estaminet (débit de boissons, dans le langage de l’état-civil de ce temps). La suivante est un magasin de chaussures, on lit sur l’enseigne quelque chose comme « cuir et bottines ». La raide maison du sénéchal garde son mystère. Suit le commerce de cycles que Villard a bien mis en évidence. La petite dernière est un échantillon de la maison urbaine modeste, comme on en trouve tout au long de la Grande Rue (pardon ! de la rue Bisson).

Regardons bien la grille de l’Hôtel Moderne : sur le dessus une plaque nouvelle, celle du TCF (Touring Club de France). L’établissement a atteint son régime de croisière…



Fin de l’épisode !


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1 Les cartes postales de la période 1900-1914 ne permettent pas de situer la transformation de l’hôtel de la Croix Verte, probablement antérieure à cette période.
2 Alfred Brard, industriel né à Lorient, homme politique, radical-socialiste, conseiller général de Guémené, puis député de 1910 à 1914, père de l’hôpital guémenois qui porte son nom.


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Le 3ème et dernier épisode
traitera des transformations majeures intervenues avant 1914 
 qui bouleverseront durablement la physionomie du centre ville.

5 commentaires:

  1. ce récit avec des cartes postales est passionnant et révèle des détails que je n'avais jamais remarqué . merci pour ce coup d'oeil éclairé . j'attends la suite avec impatience.

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  2. très bien vu cet angle du vieux Guémené que l'on peut regretter sans oublier de se poser des questions sur le pourquoi d'une telle destruction de notre patrimoine ? les vieilles pierres n'étaient pas dans l'esprit du temps, peut-être, mais à qui profita ce désastre ? c'est la question que l'on peut se poser et qui a sûrement une réponse.

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  3. Bonjour
    Carte 4914 collection Villard, comme tous ces enfants nous avons aussi joué autour de ce monument début des années 1950 et il me semble que les protections autour du monument étaient les mêmes en particulier les chaînes et les plots. Peut-être une suite le confirmera?
    JR

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  4. magnifique documentaire . félicitations

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  5. Remarquable reportage . C'est très bien

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