LES PÉRÉGRINATIONS D'UNE FAMILLE
de Nantes à Guémené
au début du XXème siècle
Notre blog est heureux de vous offrir l'histoire d'une famille guémenoise partie à Nantes en 1910 participer au concours de costumes bretons qui eut lieu pour l'Exposition d'un village breton reconstitué. Evènement important plein d'émotion pour cette délégation voulant montrer le meilleur de sa tradition... Au delà de l'évènement, l'histoire continua à Guémené... Dans ce récit, les cartes postales ont une âme. A vous de lire.
Un grand merci à R. H.
O0O
En 1910, du 2 juillet au 2 août,
se tient à Nantes, cours St Pierre,
une exposition dédiée à la Bretagne.
On a reconstitué un « village breton » idéalisé comprenant : église, calvaire, mairie, moulin, lavoir et différentes maisons typiques abritant les activités présentées, dont une ferme ; sans oublier le dolmen. On y trouve les petits métiers réputés : dentellières, fileuses, tisserands, sabotiers, potiers ; l’artisanat local : biscuiterie, pâtisserie, beurrerie, parfumerie ; des bateleurs de foire tel que le tireur de cartes ; des marchandes de spécialités : galettes, crêpes dentelles, cierges, cartes postales, etc. L’événement est couvert par Vasselier, éditeur nantais qui propose une série actualisée, chaque carte portant le timbre commémoratif frappé pour l’occasion.
Le village bénéficie d’attractions diverses de type parc public, promenade à dos d’âne, en automobile dernier cri, concerts donnés par la Garde Républicaine, auxquelles s’ajoute le côté folklorique breton, joueurs de biniou et bombardes portant bragou-braz, danses effectuées par le groupe de Pont-Aven aux tenues chatoyantes. Théodore Botrel est invité d’honneur et viendra pousser la chansonnette avec sa femme. On accueille les représentants portant les couleurs des différents pays bretons et même un groupe gallois. Les derniers jours de l’exposition sont consacrés aux différents concours dont celui des plus jolis costumes.
Ils sont venus à Nantes à l’invitation de leur cousin et neveu Joseph Le Rouzic, Guémenois émigré dans la capitale des derniers ducs de Bretagne. La délégation comprend Marianne Fortune et son mari Pierre Monnier, commerçants, Anne Fortune, la cadette, célibataire, et leur vieux père, Jean René Fortune, sabotier à la Motten.
Les sœurs Fortune (elles étaient 5) brodaient elles-mêmes leurs parures de fête. L’exubérance des motifs, la fantaisie et l’éclat des costumes avait déjà suscité l’intérêt du photographe Lodi ainsi que le prouve une carte postale éditée par lui.
Quand ils paraissent au village breton, nos Guémenois se taillent immédiatement un beau succès. Marianne est présente dans le cercle qui pose avec les Gallois et on la retrouve avec son mari sur le banc des candidats qui attirent le photographe.
Le 30 juillet, a lieu le concours officiel des costumes
et la consécration pour le couple.
et la consécration pour le couple.
S’ils n’ont pas eu les honneurs de Vasselier, Jean René et Anna sont également primés. A leur retour en la cité pourleth, (on ne sait pas si la foule les attendait à leur descente de train), Lodi fait poser l’illustre aïeul dans le parc du château ; on admire encore aujourd’hui les « mil boutons » et autres éléments du costume. Pour ceux qui s’intéressent aux chaussures (car il ne portait pas ses sabots pour l’occasion), on peut toujours les visiter chez une pieuse descendante du vénérable sabotier.
Pour Anna, on se contente d’actualiser la légende de la carte éditée précédemment.
Bien entendu, l’éditeur Le Cunf ne reprend pas l’image de son concurrent nantais et Lodi se fend d’un nouveau cliché du couple Monnier, dans le parc et sous l’œil vigilant du patriarche médaillé.
On pourrait penser que l'histoire finit ici ; il n'en est rien.
En effet, dans la foulée de l’aventure nantaise, les cousins Le Rouzic reviennent respirer l’air du pays. Pendant ce court séjour estival, Lodi multiplie les prises de vue d’une équipe d’acteurs en pleine forme qui se prête à toutes les saynètes imaginées par un metteur en scène inspiré.
D’abord le jeune cousin paré d’un brillant costume
(photographie intitulée « Guémené vous salue »)
Puis il partage la vedette avec deux actrices dont une seule est identifiée, Marie Fortune, la troisième des filles de Jean René. Les premières scènes content une historiette gentillette comme on les aimait à la Belle Epoque.
Mais on donne aussi dans la tradition la plus authentique, la gavotte étant une institution et quasiment une démangeaison permanente chez nos vaillants Pourleths.
Enfin, on déplace les tréteaux et la troupe au complet s’en vient raccompagner le sabotier à son paroir à la Motten. Parmi les artistes, Robert Le Bacquer, le fils de Mme Monnier né d’un premier mariage, son chien, sa cousine, la poupée, sa mère, des voisins et sans doute les parents nantais.
Autre saynète de genre, les enfants et le grand père. On est en pleine campagne, peut-être dans la lande de Mané Pichot, près de l’ancien dolmen.
La troupe se dirige vers le manoir de Couët-Nouzic où seront signées deux autres cartes de qualité médiocre ; on pose sur les marches, sous l’arbre de la Liberté mais les protagonistes sont à peine reconnaissables.
En 1913, les époux Monnier dirigent l’Hôtel Moderne (successeurs des sieurs P et J Eliot). Les voici près des escaliers. Marianne exhibe la tenue que sa sœur portait lors des numéros précédents et que Marie enfile à nouveau pour une série plus grave. Seule dans une allée du parc, au même endroit, en compagnie de son fiancé, Léon Monnier, frère du précédent.
Avant d’évoquer le mariage, signalons que le costume primé à Nantes continue sa carrière artistique, le voici, dans la même période, endossé par Madeleine Le Rouzic.
Le mariage est célébré le 8 août 1913 à Guémené.
La noce pose sur les escaliers de l’Hôtel Moderne. L’identification des participants n’est évidemment pas complète mais on n’y comprend rien sans quelques éléments d’état-civil. Jean René Fortune a été marié trois fois, trois fois veuf. Il a eu 5 enfants de sa seconde épouse, Louise Le Guernic, 3 filles et 2 garçons ; puis, 2 filles de sa troisième épouse, Marie Joseph Quéré. Cette dernière, veuve Le Hyaric, était la sœur de la première épouse, donc ses enfants furent neveux de Jean René avant d’en devenir les enfants adoptifs. Sur la photo sont présentes les 5 filles Fortune : Marianne (1), l’aînée (dans son costume primé), son mari (11), son fils Robert Le Bacquer (12) ; Anna (2) ; Marie (3) et son époux (31) ; puis Joséphine (4), épouse de Jean Marie Le Guénnec (41) ; son fils Jean (42) dans les bras paternels ; Marie Joseph (5), épouse d’Isidore Potier (51) ; ces deux gendres sont sabotiers, le premier succédant à son beau-père à la Motten avant d’en hériter la maison dite Ker Yol où sont nés les enfants Le Guénnec. Sont aussi présents les petits-enfants Le Hyaric, René (61), Théotise (62), Guillaume (63) et Raymonde (64), n’ayant plus que leur mère, Jeanne Le Pichon (6), veuve Le Hyaric. Et le vieux sabotier (*).
1914, la Belle Epoque prend fin au son du clairon. A Guémené comme partout en France, la guerre frappe de nombreuses familles. Léon Monnier et Robert Le Bacquer n’en reviendront pas. Jean Marie Le Guénnec rentre de captivité en 1919, les poumons ravagés des suites du gazage subi au Chemin des Dames.
Les époux Monnier très marqués par l’épreuve, l’Hôtel Moderne reprend son activité mais le cœur n’y est plus. La fontaine est devenue un lieu de récréation pour les visiteurs de la famille.
Guémenois identifiés : Marianne (1) et Pierre Monnier (11) ; Joséphine (4), Jean Marie Le Guénnec (41) et leurs enfants, Jean (42), Aimée (43) et René (44) ; les cousins Fortuné (71) et Raymond Fortune (72), autres petits fils de Jean René (*), orphelins élevés par Marianne.
Le grand père est mort en 1923, peu de temps après sa fille Anna ; Pierre Monnier en 1926 ; Jean Marie Le Guénnec en 1942. Marianne a conduit son activité commerçante jusqu’à son dernier souffle en 1946, l’année du mariage de Raymond Le Guénnec. Celui-ci reprendra la saboterie familiale à la Motten après le décès de sa mère en 1960 et sera le dernier sabotier de Guémené (cf. reportage dans le blog - cliquer sur * ). Fortuné Fortune parti sous d’autres cieux, le magasin de Mme Monnier sera repris par Jean Le Guénnec, maire-adjoint de Guémené après la Libération.
VIDÉO
Remarquable voyage dans le temps. c'est une épopée que ce voyage et un bel esprit de famille. C'est vraiment bien.
RépondreSupprimerBonjour
RépondreSupprimerParmi les mille boutons de ce blog il y en a quelques uns qui, dans mon coeur, brilleront plus que les autres, ce reportage mérite un bouton d'honneur. Bravo et salut à RH .
JR
je ne peux que répéter les commentaires précédents . je rajouterai simplement que cela nous réconcilie avec des us ou valeurs de famille qui sont modifiés de nos jours par une vie différente. Les familles étaient plus soudées par la proximité, tandis que maintenant les membres sont dispersés un peu partout, donc moins de cohésion.
RépondreSupprimerJ'aime bien ce blog et j'en fais la publicité.
Ces gens ont des gueules, le vieux sabotier d'abord, les autres aussi dans leurs tenues,fiers de se montrer au mieux pour la photo loin de penser que ces cartes postales sont des documents publics rares encore regardés et recherchés. Merci de cette évocation .
RépondreSupprimerJe ne suis pas certain que Raymond Le Guennec soit le dernier sabotier de Guémené. Je pense qu'il s'agit de Louis le Bail dont la "loge" se situait à l'emplacement actuel de la caserne des pompiers???
RépondreSupprimer