31/03/2018


A Guémené, ça va barder !
La GORSEDD de 1936 :
Loth au pinacle !

Mané Pichot montagne sacrée !
Les Guémenois ne touchent plus terre !

Les Guémenois éprouvent, à juste titre, une légitime fierté lorsqu’on évoque les noms de deux personnalités nées dans leur vieille cité. Hippolyte Bisson et Joseph Loth, chacun dans leur domaine, ont marqué leur temps, indéniablement.
Si je voulais blaguer un peu, je dirais qu’il n’y a que St Malo pour lui rendre des points avec ses marins et ses écrivains. Mais on rééquilibre si on veut bien considérer que Lorient n’est autre que le débouché naturel du Scorff, le port de mer de Guémené, en quelque sorte.
Il y a un peu moins d’un siècle, la municipalité avait à coeur d’initier ou d’accompagner commémorations et manifestations en hommage à ses grands hommes. Par exemple, Bisson eût droit en 1927, année du centenaire de son acte d’héroïsme, à une grande cérémonie d’hommage sur la place autour de la colonne. Lorient lui disputa cet honneur pied à pied mais finalement le bon sens l’emporta et la marine délégua le contre-amiral Chauvin pour présider la fête guémenoise.
Avec Joseph Loth, on eut plus de chance. En 1932, âgé de 85 ans, il accepta de participer au baptême de la place qui porte son nom. Le 31 mars 1934, il mourait et on lui fit des obsèques solennelles avant de conduire son cercueil au cimetière St Gilles où il repose en paix.
On n’attendit pas 100 ans pour lui rendre hommage, d’autant que certaines institutions auraient plus de liberté à parler de lui mort plutôt que vivant. En 1936, on eut donc une immense fête à Guémené, quatre jours de commémorations, hommages, discours et festivités, les 25, 26, 27 et 28 juillet, tous les organisateurs à l’unisson.



Quel était donc l’héritage ? Pour bien comprendre les choses, il convient de donner quelques points de repères historiques. Essayons d’être clairs en retenant l’essentiel.

Au cours du 19ème siècle, à l’initiative de La Villemarqué naît un mouvement d’intérêt pour la culture celtique. L’homme du Barzaz Breiz fédère d’autres écrivains autour de lui, dont le poète Auguste Brizeux, et noue des relations avec les Gallois fort en pointe dans le domaine. Nos cousins d’Outre-Manche disposent d’une organisation très élaborée, des structures, des rites, et déploient des manifestations populaires, les fameuses Gorsedd. A la première rencontre au pays de Galles, en 1838, est lu un poème de Lamartine qui soutient l’initiative.
Dans les années qui suivent, les initiateurs bretons fondent une Confrérie bretonne dont l’activité, très réduite, est purement littéraire et linguistique. Néanmoins, les échanges s’amorcent et, en 1867, une petite délégation galloise se rend au Congrès celtique international, à Saint-Brieuc, à l'invitation de la Société d’émulation des Côtes-du-Nord.

A la fin du siècle, est créée une nouvelle organisation, l’Union Régionaliste Bretonne, URB. Une fête est donnée près de Morlaix à la suite de quoi, on décide de créer un collège de bardes qui sera rattaché à celui du Pays de Galles. En 1899, une délégation bretonne d’une vingtaine de personnes est reçue à la Gorsedd des bardes à Cardiff afin de constituer un noyau breton. Parmi eux, Anatole Le Braz, Charles Le Coffic, François Jaffrenou, le pontivyen Léon Durocher, etc.

Anatole Le Braz, Charles le Goffic, François Jaffrenou, Léon Durocher
Jean Le Fustec devient le premier grand druide de la Gorsedd de la petite Bretagne. L’association bardique bretonne est officiellement déclarée en 1908 sous le titre de groupe de Gorsedd Barzed Gourenez Breiz Izel (Gorsedd des Bardes de la presqu’île de Bretagne).
Jean Le Fustec
Une crise éclate en 1912 entre les tenants du bardisme à la galloise, marqué par une réelle ouverture d’esprit, et les dirigeants majoritaires de l’URB. Ceux-ci comprennent des politiciens, des aristocrates, des membres du clergé, tenants de l’Eglise Catholique et repliés sur leurs certitudes. Naît ainsi une Fédération régionaliste bretonne regroupant des partisans d’une association plus souple mais partageant néanmoins les mêmes objectifs que sa soeur.
La guerre de 14-18 provoque une parenthèse, une « suspension statutaire ».
L’activité reprend dès 1919, mais c’est en 1926 que s’opère le regroupement effectif de la société. François Jaffrenou est investi comme coadjuteur auprès du grand druide, Yves Berthou, empêché, malade et ruiné. Une Gorsedd publique aura lieu l’année suivante à Riec sur Belon, en présence de 150 délégués venus des îles britanniques ; elle comprendra « la cérémonie du glaive » qui consiste à réunir les deux parties brisées, l’une conservée en Bretagne, l’autre au pays de Galles.




Après cet état des lieux, posons la question : et Joseph Loth dans tout cela ?

Joseph Loth, linguiste, est avant tout un chercheur et un enseignant. S’il éprouve une sympathie évidente pour les mouvements de promotion et d’approfondissement de la culture celtique, il entend garder sa liberté.
Ancien surveillant au lycée de Pontivy (qui porte son nom aujourd’hui), on relève que le Journal de Pontivy est très attentif à sa carrière et à ses déclarations. En 1902, invité à la cérémonie de distribution des prix, il se fend d’un discours plein d’humour qu’il conclut, pince sans rire fidèle à ses origines, en affirmant que Pontivy n’est autre qu’une entrée monumentale sur le pays de Guémené.
Dans son édition du 27 mai 1923, le même journal rapporte que Loth donnera une conférence au congrès de la Fédération régionaliste de Bretagne qui se tiendra à Quimper sur le thème « la nation bretonne, sa formation, son état actuel ». Le 12 février 1928, il fait la une du journal l’Ouest Républicain, « un grand savant breton : Joseph Loth », article qui rend compte de l’hommage international donné à l’occasion de ses 80 ans.


Son indépendance d’esprit et ses convictions l’amènent à prendre parti en 1928 à l’occasion du soutien apporté aux nationalistes alsaciens par un avocat breton se réclamant du collège des druides. Voici la copie de cette lettre parue dans le journal le 3 juin. Le commentaire est du Journal de Pontivy.

Le mouvement réagit. Les « désopilants druides » engagent la polémique, tirent à boulets rouges sur  l’universitaire et rétorquent que le procès des autonomistes alsaciens concerne l’avenir de
la Bretagne car il signifie « la résurrection du délit d'opinion » et « la mise à disposition de l'État de l'Appareil judiciaire, comme sous Napoléon III. » Bigre !
En tout cas, la position de Joseph Loth conforte a posteriori la décision prise en 1913 par le maire de Guémené (Daniel) et son conseil municipal qui avaient catégoriquement refusé de recevoir un congrès de l’URB, lui préférant un meeting aérien qui s’était déroulé dans le secteur de la Motten et des prairies du Rulan…

En 1929 est fondée par le barde Taldir Jaffrenou une revue trimestrielle « le Foyer breton » dont il veut faire l’organe de la Gorsedd. En 1932, des groupes affiliés au Parti Nationaliste Breton organisent des « actions musclées » (comme on dirait aujourd’hui) dont une dirigée contre le président de la République, l’arrêt forcé du train présidentiel à Ingrandes. Taldir prend ses distances et range la Gorsedd dans le camp des régionalistes.



Tel est le contexte quand prend forme un projet de Gorsedd à Guémené en 1936. A l’évidence le barde Taldir en est l’initiateur. Un premier article parait dans le Journal de Pontivy le 13 février qui mentionne une réunion tenue à la mairie. Raude, le maire, et le conseil municipal ont accueilli Jaffrenou lequel a présenté le projet dans une causerie qui mêle Joseph Loth et les origines de Guémené. 
François Jaffrenou dit Taldir
A l’issue de la discussion, on a entériné les dates, les grandes lignes du programme et on a désigné un comité local d’organisation. L’affaire est officiellement lancée. Elle fera l’objet d’informations périodiques, localement, et dans la presse. Le 14 juin, le Journal de Pontivy donne un compte-rendu succinct de la réunion du 3 où Jaffrenou a livré la dernière version du programme ; on a constitué des commissions, chacune chargée d’assurer la bonne marche de chacune des missions : publicité ; enseignes et décorations ; théâtre de verdure ; bal ; cérémonie druidique ; logement.




Les Guémenois dans tout ça ? 
Les membres des commissions s’affairent afin que tout tourne au mieux. Les commerçants, invités à s’engager, participent avec enthousiasme. Pour une grande part, ils répondent à la proposition d’annonces personnalisées dans le programme qui sera vendu 2 Francs aux spectateurs. Ils pavoisent leurs boutiques, leurs vitrines, et des bannières flottent dans les rues principales…





Nous n’allons pas traiter aujourd’hui de tous les aspects de la fête dite quelquefois festival, ce serait trop long ; on risquerait de boucher les tuyaux de la communication internet et surtout de lasser les lecteurs.
Nous disposons d’une copie du programme et il nous a paru intéressant de présenter ces pages qui rappelleront des souvenirs à beaucoup de Guémenois, car de nombreux commerces avaient encore pignon sur rue dans les années 40, 50 et même 60.
Ultérieurement, nous reprendrons le sujet par thème et nous proposerons plusieurs nouveaux épisodes.
Le premier s’en tiendra à l’exploitation des annonces des commerçants et prestataires de services. Nous tenterons, sans filet, le périlleux exercice qui consistera à placer lesdits commerces dans des illustrations aussi proches que possible de l’événement, principalement des cartes postales anciennes. Les collectionneurs savent combien cette période est ingrate, la qualité d’impression étant rarement au rendez-vous. Que ceux qui possèderaient des pépites n’hésitent pas à nous proposer des copies. A vos greniers !
Le second épisode traitera de la fête proprement dite. La presse a rendu compte des diverses manifestations sous une forme plus ou moins développée, il faut le reconnaître. En ce qui concerne la grande rue pavoisée, pénurie complète : nous ne disposons que d’une très mauvaise image retouchée après raccordement d’une carte postale retrouvée déchirée en deux morceaux…
Enfin, dans le dernier épisode, nous reviendrons sur le cadre général de la fête qui se situe, on l’aura remarqué, l’année du Front Populaire, et seulement quelques années avant la seconde guerre mondiale.

Attention, Festival !
Demandez le programme ! Demandez !














































Note

Le bref historique du mouvement régionaliste tient pour beaucoup aux articles de Wikipédia ; les puristes me pardonneront certains « copier coller ».
Remerciements chaleureux à Mme Simone Février-Faignot qui nous a gentiment fourni cette copie du programme.
Et aussi à Mr Philippe Guégan, fils de Mme Anne Allanic-Guégan, qui a bien voulu traduire la page en breton signée Taldir.

1 commentaire:

  1. Merci à Simone Février pour le programme où j'ai surtout apprécié les réclames des commerçants et artisans du canton, ça me rappelle beaucoup de souvenirs et notamment de pouvoir mettre un nom derrière tels ou tels commerces et maisons.

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