Albert Herter - Le départ des poilus
En Août 1914, on sema bien le chaud et le froid. A l'euphorie générale de la mobilisation, espérant une victoire rapide, se substituera sur le terrain une autre réalité... meurtrière.
C'est ce que nous conte ce minutieux travail d'un correspondant ami en intégrant notre région et ses hommes à ces événements.
Lisez cet exposé avec attention. Il vous permettra de mieux comprendre les récits de vos aînés et de nos livres d'histoire.
Guémené sur Scorff, la terrible moisson de l’été 1914
Je sais, ça peut paraître prétentieux de vouloir ranimer le souvenir de ces jeunes gars du canton tirés comme des lapins en août 1914.
Oui, c’est loin, c’est loin tout ça !
Mais moi, je me sens une dette envers eux. Nous avons bien ri ensemble quand je les ai suivis en train de jouer les apprentis soldats, d’abord au conseil de révision puis dans la caserne qu’ils ont rejoint en 1912 (voir blog : A Guémené, la classe ! *) Je vous avais promis de vous raconter leurs aventures en août et septembre 14, en Belgique et en Champagne, dans le temps qui courait jusqu’à leur démobilisation attendue normalement le 23 septembre.
Alors j’ai chaussé mes godasses de marcheur et saisi mon bâton de pèlerin pour aller y voir de plus près. Dans les poches, quelques bons bouquins quand même, en particulier « La fleur au fusil » de Jean Galtier-Boissière, un Parisien joyeux drille celui-là, et qui baroudait à moins de 100 km de nos pioupious bretons. Un caporal.
Un tout autre point de vue que celui de l’Etat-Major.
La guerre de 14,
la Grande Guerre, en a-t-on entendu parler ! Tant que ça, croyez-vous ? Mon
grand-père, qui avait des médailles dans un cadre de bois, n’en parlait presque
jamais, sauf quand il allait au banquet annuel des Anciens Combattants d’où il
revenait un peu pompette et la voix éraillée d’avoir trop chanté la « Madelon
». A l’école, les livres d’histoire nous en racontaient de belles : les taxis
de la Marne, Verdun, Clémenceau, le défilé des généraux, Joffre, Foch, en 1919
sur les Champs-Elysées. Le 11 novembre, on allait en rangs, les instituteurs en
serre-files, assister figés devant le monument aux morts à la cérémonie
d’hommage que présidait le maire devant le contingent d’Anciens Combattants.
Discours, roulement de tambour et sonnerie aux morts…
En classe de
3ème, c’était au programme du Brevet, alors le prof d’histoire se fendait d’une
analyse plus fouillée. On comparait les forces en présence, la stratégie des
uns et des autres, l’évolution des techniques de la guerre, le mouvement
laissant place aux tranchées. Ah ! Ces maudits Ludendorff et Hindenburg ! Un
petit rappel de temps en temps sur les champs de bataille de Salonique et la
paix de Brest-Litovsk. Puis la victoire, l’armistice, le traité de Versailles
et ses conséquences.
Je ne rentre pas
dans les détails, aujourd’hui on sait tout sur tout, et la télé nous a offert
les poilus jusqu’au dernier centenaire. Les historiens, de leur côté, ayant
accès à toutes les sources, mêmes diplomatiques les plus secrètes, ont analysé
avec soin et objectivité tous les aspects de cette Grande Guerre. Je ne peux
que vous recommander le livre de Jean Yves Le Naour : « 1914, La grande
illusion », qui dégonfle pas mal de vieilles baudruches, en particulier sur les
grands stratèges militaires, le rôle des journaux et le bourrage de crâne.
Comme on a revécu ça en 40, on ne s’étonne pas. Mais peut-être devrait-on s’y
arrêter plus sérieusement aujourd’hui quand on voit la folie qui s’empare des
esprits à la moindre campagne médiatique venant brasser la pâte de la crise
pour en sortir tout chauds du four des pains douteux, bien loin des pistolets
fourrés de notre enfance (1).
Note 1 : le
pistolet fourré est surtout connu des écoliers à cause du cow-boy Arthur et sa
jument Tipie ; en fait, c’est une spécialité belge et on en trouve de très bons
à Maissin.
Quoi ! Maissin, ça ne vous dit rien
? On va en parler !
Bien
entendu, les braves pioupious qui comptaient les jours le 17
juillet 1914 étaient de parfaits ignorants occupés de leurs billevesées. Mais
voici le coup de clairon du réveil (hymne à la joie, façon caserne)...
SUITE...
« J’ouvre les yeux. Le soleil illumine
la chambrée. Sur les murs récemment badigeonnés à la chaux, les paquetages bleu
blanc rouge, le râtelier d’armes, les pajots marrons réglementairement carrés
se détachent nets comme de puérils accessoires de soldats de plomb. A la
sonnerie du réveil, pas un dormeur n’a tressailli. Parbleu, dans
soixante-treize jours demain matin, c’est la classe et la fuite par le pied
gauche !
Au jus là n’dans ! »
Ceci est un épisode de la vie de château à Paris, caserne des Tourelles.
C’est Jean Galtier qui parle. Vous n’avez pas fini de l’entendre.
C’est Jean Galtier qui parle. Vous n’avez pas fini de l’entendre.
Mais je m’égare.
Revenons à nos moutons, je veux dire à nos soldats des départements bretons.
Essayons d’être bref et concis.
Revenons à nos moutons, je veux dire à nos soldats des départements bretons.
Essayons d’être bref et concis.
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1
LE RÉGIMENT
2
LA BRIGADE
On accouple les régiments. Dans le Morbihan, le 62è RI de Lorient et le 116è RI de Vannes forment la 43ème brigade.
Dans le Finistère, le 19ème RI de Brest et le 118ème RI de Quimper forment la 44ème brigade.
On accouple les régiments. Dans le Morbihan, le 62è RI de Lorient et le 116è RI de Vannes forment la 43ème brigade.
Dans le Finistère, le 19ème RI de Brest et le 118ème RI de Quimper forment la 44ème brigade.
3
LA DIVISION
La 22è Division d’Infanterie est formée par les 2 brigades précédentes auxquelles sont adjointes trois autres unités : 35ème RAC, Vannes; compagnie 11/2 du génie ; 6ème escadron du 2ème régiment de chasseurs, Pontivy.
Le schéma se reproduit presque à l’identique entre les Côtes du Nord et l’Ille & Vilaine : les 37è et 38è brigades donnent la 19è DI. Comme l’Ille & Vilaine comprend un 3ème régiment d’infanterie basé à St Malo, celui-ci s’accouple avec celui de Granville (Manche) pour donner la 40è brigade, elle-même sous-groupe de la 20è DI. La 21è DI comprend les régiments de la Loire-Inférieure et d’une partie de la Vendée.
4
LE CORPS D'ARMÉE
La majorité des fantassins bretons appartiennent aux 10è et 11è CA qui rattrapent les distorsions apparues aux niveaux inférieurs.Le 10è CA regroupe ceux des Côtes du Nord et d'Ille et Vilaine, avec une composante normande (3 RI/8); le 11èCA regroupe ceux du Morbihan, du Finistère et de Loire-Inférieure, avec une composante vendéenne (2RI/8).
5
L'ARMÉE
Les 10è et 11è CA appartiennent à la 4ème Armée qui comprend aussi les 1er, 2ème et 3ème CA.
le 62ème RI de Lorient |
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En conclusion, nos soldats guémenois incorporés en Bretagne, quel que soit leur régiment d'affectation, seront souvent très proches voire associés dans plusieurs opérations (ce à part les marins, fusiliers marins et coloniaux, en général engagés).
J’entends doucement rigoler le soldat Tourlourou tandis que je m’escrime à mettre un peu d’ordre dans la maison. Lui, sorti des copains de l’escouade commandée par le sergent ou le caporal, de la section commandée par le lieutenant, de la compagnie commandée par le capitaine, du bataillon et du régiment, tout le reste est littérature, bonnet blanc et blanc bonnet, ou, si vous préférez, pantalon garance et fusil lebel. Il a l’esprit ailleurs !
Pour suivre strictement les tribulations
de nos soldats bretons, nous ne disposons en propre que du fascicule
« Historique du 62è Régiment d’Infanterie », édition 1920, Henri
Charles-Lavauzelle, Paris.
Précisons que le récit des opérations est rédigé par un comité ad hoc à partir des rapports remis par les officiers au commandement supérieur. Il s’agit donc de la version officielle écrite dans le style propre à l’armée. Exemple : ce qu’il est convenu de nommer aujourd’hui « retraite » est le plus souvent présentée comme un « repli stratégique ». On commémore toujours les victoires, jamais les défaites ; c’est bien connu ! Son intérêt principal est de suivre les mouvements des troupes, de fixer la chronologie des opérations et d’en donner les unités engagées.
Le point de vue des soldats de base est
à chercher ailleurs, dans des ouvrages de souvenirs utilisant carnets, notes,
illustrations, lettres des poilus, ou dans des romans basés sur des expériences
personnelles. J’ai choisi délibérément de rapporter des extraits du livre de
Galtier, Parisien du 31è RI, 3è Armée, dont la campagne vécue en tant que
fantassin était très proche géographiquement et matériellement.
Rappel à l’ordre de l’adjudant :
« Soldat Tourlourou ! Un régiment comprend : 3 bataillons, eux-mêmes
constitués de 4 compagnies de 240 hommes, soit au total - il consulte sa fiche
- 12 compagnies et 2880 hommes ; un état-major, un petit état-major, une
compagnie hors rang (CHR), et il est accompagné d’un train régimentaire et d’un
train de combat, Une compagnie compte 4 sections, elles-mêmes divisées en 4
escouades de 15 hommes chacune. C’est bien compris ? »
« Oui, mon adjudant ! »
« Oui, mon adjudant ! »
Note.
Le récit officiel fait souvent mention des bataillons qui, dans une intervention,
peuvent avoir des tâches différentes, quelquefois des compagnies, (jamais)
rarement des escouades. Il est donc impossible de connaître l’itinéraire précis
de chaque poilu.
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Première période
la guerre des frontières : de Lorient à la bataille de Maissin en Belgique
la guerre des frontières : de Lorient à la bataille de Maissin en Belgique
Code couleur :
le texte du fascicule est en marron, les lieux géographiques sont en vert, les
dates en rouge.
Le 1er août, la
mobilisation générale est décrétée en France et en Allemagne. Le 3, l’Allemagne
déclare la guerre à la France. Le Haut-Commandement va procéder le plus
rapidement possible à la première étape qui consiste à concentrer les troupes,
quasiment au coude-à-coude depuis la frontière suisse jusqu’à la Manche. S’y
déploieront dans l’ordre les 5 armées françaises ; en soutien, la marine
britannique tient la Manche et apporte son contingent sur les côtes. Les Belges
? La Belgique.
A la
mobilisation, le 62è RI, qui fait partie de la 43è brigade (22è division, 11è
corps d’armée), est commandé par le colonel Costebonnel.
Au cours d’une
prise d’armes passée avant le départ, cet officier supérieur, dans une harangue
empreinte du plus pur patriotisme, indique à tous le chemin du devoir et de la
grandeur du sacrifice que la Patrie attend d’eux. Un immense cri de : « Vive la
France » répond à ces nobles paroles.
Lorient - 1914 : départ pour la mobilisation sur le cours de Chazelles |
Départ gare de
Lorient, le 7 ; le 62è s’embarque à Lorient. Le trajet de la caserne à la gare
est, pour le régiment, une véritable marche triomphale. Une foule émue
l’entoure et l’acclame sans discontinuer. Le sous-préfet, la municipalité et
toute la population lorientaise se trouvent à la gare pour saluer le drapeau et
les bataillons qui partent pour la frontière.
Les soldats sont
animés d’un enthousiasme indescriptible ; des cris de joie s’élèvent de toutes
parts, on a l’impression que chacun s’apprête à faire consciencieusement son
devoir pour défendre le sol sacré de la Patrie menacée et déjà envahie.
Ce type de
manifestation aura lieu partout en France, souvenons-nous des départs à la gare
de l’Est à Paris, la liesse, les cris de « à Berlin », ambiance type de « la fleur au fusil » rapportée par Galtier : « On dirait vraiment que tout le monde
se rassemble en vue d’une réjouissance ».
Si à Paris, on a
connu des mouvements xénophobes et des lynchages dirigés contre « les pas
français » pris indistinctement pour des espions, je n’ai rien trouvé de ce
genre en Bretagne. Galtier et sa troupe en ont été témoins ainsi que des
passages à tabac dans les commissariats de police d'ouvriers de Belleville
manifestant contre la guerre.
En cours de
route, à Versailles, le régiment apprend la prise de Mulhouse. Cette nouvelle
soulève de nombreux cris d’enthousiasme. C’est le 8, les bonnes nouvelles vont
vite, mais la ville devra être évacuée dès le lendemain. A noter qu’on passe
sous silence les conditions de voyage en train.
Voici ce qu’en
dit Jean Galtier, lui aussi en voyage le 7, avec ses camarades :
« Le train de plaisir pour Berlin.
Depuis treize heures, nous roulons, entassés dans un wagon à bestiaux – hommes 32, chevaux 8 en long – dans un enchevêtrement de jambes, d’équipements, de lebels et de musettes. La nuit s’est passée à boire, à fumer, à brailler en chœur et à jouer d’interminables manilles aux enchères, à la lueur pâlotte du quinquet réglementaire qui fume et qui pue. »
Dans
la soirée du 9 août, le 62è régiment débarque à Châtel-Chéhéry, aux confins de
la forêt d’Argonne, près d’Apremont. Le régiment cantonne à Germont et à Belleville
(pour le 3è bataillon).
Le
11, marches de concentration de la division, en route pour Sedan, Noyers atteint le 15.
Un
instant, s’il vous plait. La distance parcourue est d’environ 60 Km entre Châtel-Chéhéry
et Noyers. La France n’était pas occupée, n’aurait-on pu convoyer les troupes
au plus près de leur objectif ? Nos pioupious se sont appuyés 30 km de la
gare aux cantonnements le soir du 9 ; et encore une étape du même calibre
pour atteindre Noyers. Et par une chaleur accablante. Ecoutons un peu les
copains du 31è qui n’ont qu’un jour d’avance et cheminent dans le proche
voisinage.
8
août. Nous sommes descendus à Sampigny du « Train de plaisir pour
Berlin ». Le bataillon cantonne à Boncourt (7 Km).
9
août. Alerte à minuit. Brouhaha dans les granges. Rassemblement au clair de
lune. On part. Défense de parler et de fumer. Allons-nous combattre ?
....
Au
petit jour, nous traversons Saint-Mihiel endormi (15 Km). Nous marchons
toujours vers le nord. A la sortie de la ville, encore déserte à cette heure
matinale, nous croisons un convoi de ravitaillement, une file d’autobus
parisiens blancs de poussière. Les « Madeleine-Bastille » et les
« Clichy-Odéon » soulèvent de joyeux lazzis : - En première
seulement ! Passons les numéros !
A
mesure que le jour s’avance, la chaleur augmente, un soleil de plomb nous
abrutit. Les manches retroussées, la capote largement ouverte découvrant des
poitrines velues, le képi en arrière, la face écarlate, suant à grosses
gouttes, les bobosses, couverts de poussière, avancent de plus en plus
péniblement. Par une telle chaleur, la marche avec chargement complet, est une
terrible souffrance ; les courroies du sac scient les épaules, les
bretelles des cartouchières nous étranglent. Penché en avant, le cou tendu, on
a une pénible impression d’étouffement ; la plante des pieds est en
feu ; chaque fois qu’on remet le sac au dos, l’as de carreau semble peser
un peu plus lourd ; pendant les premiers pas, on marche sur des pointes
d’aiguille.
« Ah !
la pause ! bon Dieu ! la pause ! » hurlent les réservistes,
pas entraînés comme nous autres ; « si c’est pas malheureux de faire
marcher des chrétiens par un soleil pareil ! »
Dans
les bourgs que nous traversons, les artilleurs, les chasseurs au repos ont
disposé des seaux d’eau fraîche de chaque côté de la route poussiéreuse. On se
bouscule, on se collette rageusement pour un quart d’eau.
« Ne
vous arrêtez pas ! En avant ! En avant ! » crient du haut
de leurs chevaux les officiers, qui redoutent de pénibles à-coups dans la
marche de la colonne
Vers 10 h, la chaleur devient accablante. Des hommes commencent à tomber, frappés d’insolation. Bientôt, il y en a tout le long de la route, dans les fossés ; les-uns ont roulé à terre, sans connaissance, les lèvres bleues ; d’autres, après un court débat de conscience, ont posé sac et fusil sur le talus et, assis sur le bord des blés, attendent patiemment, comme pendant les petites manœuvres, la voiture réglementaire (qui depuis belle lurette doit être pleine !) Nous avançons toujours.
Vers 10 h, la chaleur devient accablante. Des hommes commencent à tomber, frappés d’insolation. Bientôt, il y en a tout le long de la route, dans les fossés ; les-uns ont roulé à terre, sans connaissance, les lèvres bleues ; d’autres, après un court débat de conscience, ont posé sac et fusil sur le talus et, assis sur le bord des blés, attendent patiemment, comme pendant les petites manœuvres, la voiture réglementaire (qui depuis belle lurette doit être pleine !) Nous avançons toujours.
Enfin vers 2 h, la grande pause. D’après le lieutenant, nous avons plus de 40 Km dans les guiboles. Les hommes jettent à terre leur sac et leur fusil et se laissent tomber à côté, exténués. Les plus ingambes courent jusqu’à la haie pour s’étendre à l’ombre. Sous chaque arbrisseau, il y a des grappes d’hommes qui ronflent, cramoisis, la bouche ouvert. Les officiers voudraient que l’on préparât le café, mais nul n’a le courage d’allumer du feu.
A
4 h, l’adjudant de bataillon rassemble les fourriers et caporaux d’ordinaire et
prend le commandement du « campement ». Nous nous défilons par
un chemin de traverse en plein soleil. Quelques-uns tombent encore le long du
chemin, vaincus par la chaleur et la fatigue. Enfin, nous apercevons un clocher
au loin : c’est Ranzières (18 Km).
Le
bataillon doit cantonner dans ce hameau malpropre. Je dépose avec joie sac et
fusil et mets ma tête sous une fontaine. Je renais !
Le
ravitaillement n’est pas encore arrivé ; avec le fourrier Taupin, un
réserviste rouquin et bon garçon, je m’installe, en chaussons et bonnet de
police, dans un petit estaminet dallé et très frais, et avale six absinthes à
la file. Ça va beaucoup mieux.
Le
bataillon n’arrive qu’à la nuit tombée, et fort en désordre. Il y a 19 heures qu’il est en
route, et sans rien se mettre sous la dent. Les hommes exténués, les yeux hors
la tête, la face violette, suants, poussiéreux, marchent en titubant, comme
ivres ? Sitôt arrivés, ils se laissent tomber sur la paille des granges.
Certains s’endorment immédiatement, tout équipés. Seul le lieutenant Font, dont
l’autorité sur sa section est extraordinaire, réussit à faire aligner ses
hommes épuisés, et commande de former les faisceaux réglementairement. Deux
hommes, au garde-à-vous derrière les faisceaux, tombent raides, évanouis. –
Rompez les rangs, dit le lieutenant, imperturbable.
Le
commandant réquisitionne tous les chariots du village pour ramener les éclopés
qui jalonnent la route sur les derniers 15 Km.
Vers
8 h du soir, je touche enfin les vivres, que je distribue, en bras de chemise,
par escouade.
Bientôt,
des centaines de feu crépitent dans la rue, léchant les murs des fermes, et
embrasent le hameau d’où monte un brouhaha joyeux : on prépare la soupe.
Cet
après-midi, revue de pieds et de godasses par le chef de bataillon.
….
Les autres unités formant la Division sont
également en route. Que sait-on, en particulier, de nos voisins Pontivyens
mentionnés plus haut ? Le 2è régiment de chasseurs comprend 7 escadrons,
les quatre premiers formant le noyau central, le 5è et le 6è sont détachés,
l’un auprès de la 21è Division
(formée des régiments de Loire Inférieure et de Vendée), l’autre auprès de la 22ème Division (formée des
régiments du Finistère, 19è et 118è, et du Morbihan, 62è et 116è). Le 4 août,
les quatre premiers escadrons sont embarqués à Pontivy et dirigés vers la
frontière. Débarqué à Grand-Pré (Ardennes, au sud de Sedan), le régiment se
porte sur Buzancy puis sur Carignan où il assure la couverture du XIe corps
d’armée et la liaison avec la 4è division de cavalerie.
Je ne résiste pas au plaisir de présenter un des
cavaliers, originaire de Ploërdut, Louis Le Nouveau, ici en 1909, modeste 1ère
classe, en compagnie de son oncle Joseph Chevanche. Tous deux feront la guerre,
l’un en reviendra, l’autre pas.
Note. Le 7è escadron, formé à Brest, sera envoyé à Alençon, puis sur Montdidier (Somme) où il débarqua le 23 septembre avec le 7è escadron du 13e hussards.
Et nos Lorientais, où en sont-ils ?
Donc
nous disions : Le 11, marches de concentration de la division, en route pour Sedan, Noyers atteint le
15.
La division a opéré sa
concentration comme un concentré de tomates bien mûres.
Le 16 août, à 8 h 30, un peloton de la 8ème
compagnie est envoyé à Bazeilles, en soutien de la cavalerie divisionnaire
opérant sur la rive droite de la Meuse en liaison avec la 21ème DI (Nantes). La cavalerie divisionnaire est le 6ème escadron juste évoqué.
A
13 h 15, la 9ème compagnie est dirigée sur Vadelincourt pour
reconnaître les passages de la Meuse ; à 16 h 15, le régiment, qui fait
partie de l’avant-garde de la division, se porte sur Muno (Belgique) par Douzy,
Pourru-St Rémy et Messincourt. Il atteint Muno à 22 h 15 où il s’installe en
cantonnement d’alerte couvert par le bataillon Voillard, qui prend les
avant-postes. Le 62è, faisant partie de
l’avant-garde, a passé la frontière et a marché pendant 6 h. Dense et belle forêt de Muno, ici près de
Dohan (octobre 2016).
Le 17 août, à 6 h 15, l’avant-garde de la division
reçoit à Muno (Belgique) l’ordre d’occuper Escombres (France) et les hauteurs
d’Escombres pour couvrir la division ; à 7 h 15, le régiment quitte Muno pour
Escombres où il s’installe en cantonnement d’alerte. Un coup pour rien, retour à la case départ !
Le 18 août, à 4 h 15, le régiment qui a reçu la
mission d’organiser la position, en vue d’une première résistance sur les
lignes nord et est d’Escombres pour forcer l’ennemi à un déploiement prématuré,
sans se laisser accrocher, commence les travaux de défense qui sont terminés à 11
h.
Le 20 août, la division marche offensivement vers
le nord. Le 62è formant avant-garde de la division quitte Escombres à 19 h 30
et se porte sur Dohan et Auby (Belgique), où il passe la nuit. Donc la division repart à l’offensive en
début de soirée avec le 62è devant.
Le 21 août, la marche offensive continue et le 62è
arrive à Bertrix à 16 h où il cantonne en se couvrant par des avant-postes. On ne parle pas d’engagement, l’ennemi
semble absent. De Dohan à Bertrix, ce
n’est pas très loin, mais c’est très beau, surtout si on prend la route de la
vallée de la Semois (octobre 2016).
Le 22 août au matin, un avant-poste de la 12ème
compagnie aperçoit une patrouille de cavaliers allemands ; il la repousse
par son feu. Vers 10h, deux avions ennemis apparaissent à très faible hauteur ; les
avant-postes ouvrent le feu sur eux, un des appareils est descendu, mais
l’autre réussit à rentrer dans ses lignes. L’ennemi
se manifeste mais le 62è assure ; malheureusement, les avions de
reconnaissance ont situé et estimé les forces françaises. Stratégie totalement
méprisée par le haut Etat-Major des armées françaises ; selon Foch :
« L’aviation, c’est du sport. Pour l’armée, c’est zéro. » (cité
par Le Naour)
Pour
mieux comprendre le déroulement de la bataille, quelques compléments glanés sur
internet1. L’objectif fixé par le Haut-Commandement est Maissin,
mais l’engagement aurait été dévolu à la 21è DI, et non pas à la 22è qui devait
se contenter de préserver tout le sud et l’est.
Il s'avère que ce fut l'inverse qui se produisit.
Le 2è Chasseurs de
Pontivy, envoyé en éclaireur, pénètre tranquillement dans le village aux
alentours de 9 h du matin, provoquant la fuite de quelques uhlans qui s'y
trouvaient. Dans le quart d'heure qui suit, l’alerte donnée côté allemand déclenche
les premiers tirs de l'artillerie ennemie installée à Villance (village proche
à l’est de Maissin).
Vers
midi, la 22è division reprend la marche en avant. Le 62è se dirige sur Paliseul
où il doit cantonner ; mais avant d’atteindre cette localité, on entend la
fusillade : une action se déroule, plus au nord, à quelques Km
La bataille de Maissin a
commencé à 12 h 30, c’est le 19è RI de Brest qui dérouille. On a lancé les
troupes drapeau et
musique en tête sans aucun soutien de l'artillerie qui n'avait eu le temps de
s'installer. Ça se passe ici.
Après
le virage, un terrain en pente légère bien dégagé et à la merci des mitrailleuses
installées dans les hauteurs du village.
Le général de division pousse le 62è sur Maissin pour appuyer les régiments déjà engagés. Le bataillon Voillard forme l’avant-garde.
La division est déployée de
la manière suivante. Le 118è appuyé par les régiments plus à l’est tient le
secteur du village d’Anloy, sud et sud-est de Maissin, le 116è tient le secteur
sud-ouest. Le 62è est prié d’aller
renforcer la partie la plus avancée vers Maissin, plein sud.
Les
Allemands ont mis le feu à Maissin. Arrivé à 4 Km, au sud de cette ville, on
entend le bruit du canon et celui de la fusillade qui augmentent d’intensité.
Sur la route, des civils fuient, des blessés reviennent des lignes ; ils
appartiennent au 2ème régiment
de chasseurs à cheval, au 19è,
au 118è et au 116è. La division est déjà engagée, c’est la bataille.
Le
62è quitte sa formation de marche et
prend une formation articulée à l’ouest de la route (celle de Paliseul,
actuelle avenue de France), puis, par une marche d’approche, il se dirige sur Maissin.
Le terrain est boisé et difficile ; les unités sont en butte aux feux de
l’artillerie allemande puis de l’infanterie qui occupe solidement Maissin.
Le
62è débouche de la zone boisée après
avoir dépassé la route d’Our. Le feu de l’ennemi devient à ce moment
extrêmement violent, un ennemi invisible, en position sur les hauteurs de Maissin,
avec un grand nombre de mitrailleuses ouvre un feu nourri sur toutes les
fractions qui essaient de descendre sur cette localité ; l’élan de nos
bataillons vient se briser contre cette forte défensive, ils subissent des
pertes sérieuses. Cependant, malgré l’intensité du feu de l’ennemi, les 1ère et 3ème
compagnies et des éléments du régiment réussissent à progresser jusqu’à 600
m environ de Maissin. Vers 19 h, le clairon sonne la charge, les hommes
s’élancent dans un élan irrésistible à l’assaut ; Maissin est pris :
60 prisonniers restent entre nos mains.
Il semble que dans
cette affaire, le texte du 62è oublie la contribution d’autres unités également
engagées. La version déjà citée1 précise que dès 14 h 30, les 93è
(Roche-sur-Yon) et 137e (Fontenay-le-Comte) (42è Br/21è DI), venant
par la route d'Our, ont été bloqués à la lisière nord du Bois de Ban par des
tirs de mitrailleuses et que c’est, intervenue plus tard, la vigoureuse
intervention du 2e bataillon du 116è qui fera sauter le verrou permettant de
poursuivre la progression de ce côté. Les régiments vendéens parviendront au
village vers 18h, bien après les Vannetais, soit au moment des derniers
combats, pour en repartir dès 19 h 30.
Entre
temps, vers 17 h, les 2ème et
4ème compagnies (du 62è), réserve de la Division, sont alertées.
Un lieutenant du 35ème
d’artillerie vient prévenir le capitaine Weisbecker, commandant le
demi-bataillon, que les batteries sont compromises. Les 2ème et 7ème compagnies mettent
baïonnette au canon et chargent résolument l’ennemi avec lequel elles engagent
un combat au corps à corps autour des caissons, dépassent les batteries et
s’engagent dans un bois fortement tenu par l’ennemi ; accueillies par un
feu terrible d’infanterie et de mitrailleuses qui les prend de front et de
flanc, elles sont obligées de rétrograder. Mais leur vigoureuse attaque arrête
l’avance de l’ennemi et permet de dégager plusieurs de nos pièces d’artillerie.
Pendant
la nuit, les éléments du 62è qui ont
pu pénétrer dans Maissin, s’y organisent et réussissent même à repousser trois
contre-attaques ennemies.
Mais, vers 8 h (23 août), un avion ennemi survole Maissin (encore ces maudits oiseaux) ; peu de
temps après, l’artillerie ennemie déclenche un violent bombardement et l’infanterie
allemande attaque brutalement la localité. Dans la nuit, notre artillerie s’est
retirée sur Bouillon ; les quelques
fractions d’infanterie qui tiennent encore le village, trop faibles pour
résister et sans espoir d’être secourues, sont obligées, vers 10 h, de battre
en retraite pour éviter d’être cernées. Elles se retirent sur Bouillon où elles
rallient le régiment.
Voici un topo personnel
représentant les phases de la bataille de Maissin, en rouge, l’offensive
française, en rose, le repli.
Dans
cette première et dure journée de bataille, un grand nombre d’officiers et de
soldats tombèrent glorieusement mais non sans avoir fait subir à l’ennemi des pertes plus lourdes. On se demande comment l’EM peut apprécier
les pertes de l’ennemi alors que ce sont nos troupes qui décrochent ; la
bataille en Belgique est terminée, le 23 août est consacré à la retraite ;
puis de Bouillon, on va filer se mettre à l’abri derrière la Meuse.
Peut-on considérer que la
bataille de Maissin a été une victoire française pour avoir occupé le village
de 18 h le soir à 10 h du matin ? Ce qui est sûr, c’est que ce fut une
hécatombe.
Le bilan est lourd
aussi bien du côté allemand que du côté français et belge ; car les civils
ont été aussi durement frappés : 50 villageois auraient été assassinés les
22 et 23 août ; un nombre considérable de maisons ont été pillées et
brûlées.
En visitant le
cimetière Pierre Massé situé à la sortie de Maissin en direction de Lesse, on
se rend compte de l’ampleur du massacre. Tous les régiments cités ont leur
secteur. Les tombes collectives des soldats non identifiés sont
impressionnantes.
Sur l’autre
1542 ; et sur le monument circulaire central 9 officiers et 674 soldats :
Total 3684
tués
Ce
cimetière exprime l’engagement commun de rendre hommage à tous les combattants,
mais la présence du calvaire est un symbole fort de l’amitié qui unit les
Belges et les Bretons.
Nos
amis belges honoreront encore le sacrifice du 19è RI de Brest en donnant son
nom à cette route d’accès au village et celui de Brest à une autre rue. Voici ces
plaques et la vue du ciel actuelle...
La
visite ne saurait pourtant se conclure ici. La bataille de Maissin a concerné
d’autres lieux qu’on ne saurait oublier. Ainsi, plus loin, poussant vers Lesse,
un autre cimetière tout simple, formé de simples croix blanches portant cette
seule mention « Passant, souviens-toi ».
Pour
le canton de Guémené, sont tombés le 22 août 1914, de la classe 11 :
Bretonnic
Joseph, né à
Séglien, cultivateur à Ploërdut en 1912, incorporé au 115è, disparu le 22 août
1914 à Vertou (Belgique) ;
Nauvert Louis, né à Langoëlan, bucheron, orphelin à la
conscription, incorporé au118è, disparu le 22 août 1914 au combat à Maissin
(Belgique) ;
Pasco Barnabé, né à Langoëlan, cultivateur, incorporé au118è,
caporal le 6 décembre 1913, disparu le 22 août 1914 à Maissin ;
Péricault Jean
Marie, né à
Ploërdut, cultivateur, incorporé au118è, disparu le 22 août 1914 à Maissin ;
Quémener
Joseph Marie, né à St
Caradec Trégomel, laboureur, incorporé au116è, disparu le 22 août 1914 à Maissin.
Auxquels il faut ajouter
d’autres soldats de classes différentes, au moins :
Chevanche Yves, né à Ploërdut, laboureur à Lignol, classe 10, 65è,
décédé le 23 8 1914 à l’ambulance des suites de ses blessures reçues à Beth (Maissin).
Une
ambulance désignait alors un petit hôpital de campagne. Celui de la bataille de
Maissin, se trouvait au sud-ouest, après le village d’Our, sur la commune de Paliseul-Opont,
hameau de Beth ; c’est l’ancienne abbaye dite des Abbys ou de Beth. On ne
sait combien de blessés y furent soignés ni qui ils étaient. Il y eut des
complications après la débâcle et la mainmise de l’armée allemande.
Il
est temps maintenant de retrouver Bouillon que les troupes françaises ont
traversé au plus vite en ne s’attardant ni au château fort de Godefroy, le
gentilhomme qui conduisit la 1ère croisade, ni devant le magnifique paysage
des méandres de la Semois.
Nous
en avions presque oublié la guerre et la bataille de Maissin. Mais le fascicule
du 62è nous remet dans le droit chemin.
Le 24 août, à 5 h, la division bat en retraite sur la Meuse. Le 62è se dirige par Illy
et Givonne sur Sedan où il passe le fleuve et va cantonner à Vadelincourt. On ne dit pas où cantonne le reste de la
division.
Le 25 août, le 62è est alerté à 4 h. Il reçoit
l’ordre de mettre en état de défense et d’occuper la position Noyers, Vadelincourt
et Fresnois avec mission d’interdire en outre les passages de la Meuse. A 9h 30,
l’artillerie ennemie commence un tir court. A 10 h 15, notre artillerie répond.
L’ennemi
pousse des éléments vers le pont du chemin de fer de Bouillon imparfaitement
détruit ; mais la violence de notre feu d’infanterie et d’artillerie
oblige ses éléments à se replier dans les rues de Sedan. L’artillerie lourde
allemande entre en action et contrebat nos batteries de 75 en position vers la Marfée.
Le 62è maintient ses positions toute la journée et bivouaque sur place.
On a battu en retraite mais
l’ennemi a suivi de près, est entré dans Sedan et bombarde avec une artillerie
bien supérieure.
Retraite sur la Meuse de
l’ensemble de la 22è division
(Le
récit est confus avec des notations de chronologie contradictoires).
Le 26 août, de bon matin, l’ennemi démasque une
nombreuse artillerie qui bat tous les plis et replis du terrain. Notre
artillerie, violemment prise à partie ne peut répondre. Profitant de ce déluge
d’obus, l’infanterie allemande qui a réussi à passer la Meuse dans la
presqu’île d’Ige, prononce son action à l’extrémité gauche du front tenu par le
régiment et en dehors de ce front ; en face de ce dernier, l’adversaire ne
fait aucune tentative de passage. Vers 15 h, de sérieuses forces d’infanterie
allemande sont accrochées avec les nôtres.
Pendant
que, sur le front de Vadelincourt, le bombardement continue toujours avec la
même violence, l’infanterie ennemie presse vivement notre gauche, bouscule les
faibles forces qui s’opposent à sa progression et s’empare de Fresnois. Entre
16 h et 17 h, la fusillade se fait nettement entendre derrière la position de Vadelincourt
qui doit être abandonnée.
Le
62è, tourné sur sa gauche, à 19 h 30, reçoit l’ordre de se replier sur Château-Rocan
(S-O de Chéhéry).
Le
mouvement commence immédiatement pour les fractions de Vadelincourt et
s’exécute en bon ordre malgré la violence du feu de l’ennemi et la traversée
des bois de la Marfée fortement fouillés par l’artillerie adverse.
Les
compagnies de gauche font face à l’attaque et essaient de limiter les progrès
de l’ennemi. Le 3è bataillon reçoit
l’ordre du général commandant la 22è DI d’exécuter, en liaison avec le 65è RI (Nantes), une contre-attaque sur le
Fresnois.
Ce
mouvement est arrêté par un feu très violent de l’artillerie et surtout de
l’infanterie ennemie qui tient déjà les lisières nord des bois de Fresnois et
de la Marfée. Mais l’héroïque résistance de ces éléments permet aux autres
fractions du régiment, engagées dans les bois touffus de la Marfée, d’en sortir
et de se reformer au N-E de la ferme de St Quentin (ce sera dans la nuit).
A
14 h (sic), le 62è est reporté à
l’attaque dans la direction de Cheveuges où quelques fractions parviennent à
pénétrer (8è et 11è compagnies),
mais le gros ne peut déboucher du bois qu’à la nuit tombante.
A
21 h, le régiment occupe Cheveuges avec le 2è
bataillon et quelques compagnies des
1er et 3è bataillons.
Dans
la nuit, ordre d’évacuer le village et de se porter sur Chéhéry. Les éléments
du régiment bivouaquent vers Chéhery et la ferme de St Quentin (2è bataillon).
Ils ont marné comme des
fous le 26 ; à peine établis dans Cheveuges, ils évacuent en pleine nuit,
bivouaquent à Chéhéry, et repartent très vite pour Malmy.
Le 27 août, le régiment se reforme à Malmy où doit
être prise une position de repli pour permettre à la DI de se reconstituer.
A
13 h (contre ordre, on contre-attaque),
le 11è CA reprenant l’offensive, le 62è quitte Malmy et se porte, par Chéhery,
dans la direction de Bulson-St Quentin où la DI doit contre-attaquer.
Chemin
faisant, les artilleurs en position rapportent que tout va bien ; le
mouvement réussit complètement. Nos hommes sont pleins d’ardeur et, lorsque les
compagnies du régiment se déploient en débouchant du bois du Rond-Caillou,
c’est avec quelques coups de fusil tirés, une véritable poursuite qui commence.
Les Allemands laissant de nombreux morts sur le terrain fuient en désordre sur Noyers
et Pont-Maugis. On les poursuit jusqu’au bois de Noyers faisant une trentaine
de prisonniers. Quelques groupes du 62è dispersés participent avec des éléments
du 137è et de la 21è DI à l’attaque de Chaumont-St Quentin et à la prise d’un
drapeau ennemi. Le régiment bivouaque sur ses positions (ceci laisse supposer que la contre-offensive a été menée jusqu’au bois
de la Marfée, au-delà de la ferme de St Quentin, mais si l’on en croit la
suite, le front est plus au sud, route de Bulson, et le régiment tient son
bivouac encore plus au sud).
Le 28 août, au jour, le 62è se reporte en avant et va s’établir au sud du bois de
Chéhery, près de la route de Bulson, cote 299, en soutien au 116è qui tient le front.
Vers
10 h, un mouvement de retraite se produit parmi les éléments engagés vers la ferme
de St Quentin et à l’est (44è brigade et
division de réserve), le régiment s’établit au N-O de Bulson, tenant les
couloirs débouchant de Thélonne. Il reste ainsi en position jusqu’à 18 h. A ce
moment, il reçoit l’ordre de se porter sur la ferme de St Quentin pour appuyer
l’offensive de la division de réserve. Le régiment bivouaque à la ferme de St
Quentin, couvert dans la direction du nord par le 3è bataillon aux avant-postes.
Autrement dit, l’attaque
d’hier de la ferme de St Quentin avait échoué et celle d’aujourd’hui échoue
aussi puisqu’on repart dans la nuit direction Vendresse.
Parmi
les pertes de ce jour, un soldat de la classe 11 du canton de Guémené :
Le Gac Jean
Marie, né à Berné,
sabotier au Faouët en 1912, incorporé au 65è
RI, mort pour la France le 28 août 1914, enterré au cimetière de Chesnes (petite
localité au sud de Vendresse).
Un
soldat de la classe 14, de Ploërdut :
Chevanche
Louis Marie, né le 27
novembre 1894 à Ploërdut, orphelin depuis l’âge de 8 ans, engagé
volontaire à Brest le 25 juillet 1913 pour 3 ans au 19è RI, soldat de 2ème classe, disparu le 28 août 1914 à
Chaumont St Quentin.
Soldat du 19è, il avait échappé à
l’hécatombe de Maissin. Sa vie s’arrête ici. Il n’avait pas 20 ans. Son frère
Jérôme, son aîné, infirmier militaire pendant la guerre, sera tué dans un
accident de train sanitaire en 1918.
Deux photographies de Louis Chevanche prises
sous l’uniforme de 2ème classe du 19è RI de Brest.
En 2006, lors de notre visite, on voyait également
le portrait qui suit dans la salle du conseil, à la mairie de Ploërdut, comme
celui de tous les soldats de la commune tués à la guerre de 14-18. Il avoisinait
celui de son oncle Joseph Chevanche, mort en 1915 (non pas à 20 ans, comme il
est écrit mais à 33 ans).
Le 29 août, à minuit 15, le 62è quitte le bivouac
pour reprendre ses anciennes positions de la veille. Il se porte ensuite par Connage-Omicourt
et les bois, sur Vendresse où la 43è
brigade doit prendre position pour couvrir la retraite du CA.
Le
62è occupe la hauteur à l’ouest de Vendresse, 2ème et 3ème bataillon, en 1ère
ligne, battant les lisières du village et du bois Charlemagne ; le 1er bataillon est en réserve
à Terron-les-Vendresse.
A
15 h, le régiment quitte ses emplacements et se dirige par Terron-les-Vendresse,
vers Louvergny, où il cantonne sous la protection d’avant-postes fournis par le
116è.
En conclusion, les brillantes contre-offensives ont tourné au fiasco ; on opère un repli qui n’a rien de stratégique, car cette fois, c’est tout le Corps d’Armée qui fuit. Nos régiments morbihannais, 62è et 116è, sont utilisés à tour de rôle pour couvrir la retraite. On ne donne aucun bilan de toutes ces péripéties qui ont, pourtant, coûté la vie de nombreux soldats. La déroute ne s’arrêtera qu’à la Marne.
****
Mais la bataille de la
Marne, tout le monde connaît, c’est une victoire, alors....
Pour en savoir plus :
Jean
Yves Le Naour : 1914, la grande illusion ; éditions Perrin, 2012.
Jean
Galtier-Boissière : la fleur au fusil ; éditions Baudinière, 1928.
Blog
1 : articles sur Maissin et forum pages 14-18, par Jean Yves Rio
Blog
2 : Historique du 2è RCC, chez Lavauzelle, 1920, numérisé par Isabelle Lainé
Remerciements à nos amis
belges
Dohan :
un homme au bonnet de laine, ancien chauffeur routier, épatant bavard devant
l’Eternel, qui connaissait tout sur Muno, Bertrix, Paliseul, Maissin, l’abbaye
de Beth et la région parisienne ;
Maissin :
la boulangère aussi aimable et gentille que son pain et ses pistolets fourrés
étaient bons ;
Opont :
le factotum de l’abbaye, avenant et coopératif.
A la mémoire de tante Rosalie qui nous prêta ses photos qu’elle savait si bien commenter : « Dans la famille de ma mère, on envoyait les gars à l'école; mais pas les filles. Mon oncle Louis Chevanche était instruit. Il a vécu longtemps à Brest où il est mort. Avant d'être percepteur, il avait servi dans l'armée où il était gradé. Il a eu 2 enfants, morts avant lui. »
Inimaginable la souffrance de ces soldats (pas tous).
RépondreSupprimerJ'ai visité par curiosité les archives départementales concernants mes parents militaires, c'est à pleurer, ils étaient tellement dans la misère ça n'a pas été dificile de les tromper et de les transformer en chair à canon.
Et ça continue... et pas très loin