09/03/2022


À GUÉMENÉ-SUR-SCORFF...
des lycéens de la Pomme d'Or entrent en résistance
Denis Dérout témoigne...


Voici un reportage que nous sommes très fiers de diffuser à plusieurs titres :
     Il s'agit du travail d'un passionné, méticuleux, réfléchi, cherchant et croisant les détails pour nous présenter avec précision un témoignage. Pour cela il prit le temps de lire, de se renseigner, de se déplacer et de réfléchir pour nous donner ce récit.
       Monsieur Denis Dérout en est le personnage principal. Ce lycéen de terminale du lycée Dupuy de Lome de Lorient replié à Guémené n'hésita pas à entrer en résistance convaincu de son devoir. Ce Monsieur nous raconte son histoire dès ses 14 ans jusqu'à la libération de Lorient et au-delà... Son témoignage personnel est passionnant. Ces moments sont intenses, intéressants et riches en émotions.
     Ce reportage est une leçon de vie et nous sommes heureux de vous le faire partager. Il est un complément aux chapitres traités sur notre blog ( la libération de Guémené,  Émile Mazé et les témoignages des élèves de la Pomme d'Or ).  



Chapitre I
Lorient


                     « J’avais tout juste 14 ans quand, le 21 juin 1940, l’armée allemande est entrée dans Lorient. Je flânais place Bisson quand j’ai vu déboucher près de l’église St Louis un soldat allemand, motocycliste pétaradant, casqué et la mitraillette en bandoulière. Je suis resté médusé et glacé. Nous y étions : la France vaincue et humiliée. Je repensais à de Gaulle dont j’avais entendu l’appel à la BBC le 18 chez ma cousine qui, ce jour-là comme à l’accoutumée, prenait sa leçon de langue en écoutant la radio anglaise. »


             « A cette époque, j’allais au lycée Dupuy de Lôme. Souvent, je faisais route avec un camarade de mon âge, Philippe Kernilis, dont la maison était située sur mon trajet. Depuis quelque temps, avec Albert et Jacqueline Prudhomme, les enfants du professeur de dessin du lycée, nous avions constitué une sorte de photo-club qui faisait ses « gammes » chez le photographe Bigot. Nous y apprenions à développer les films et à faire des tirages papiers. Cette proximité nous faisait découvrir, à l’occasion, des travaux destinés à des clients ; vous allez mieux comprendre.


                " L’amiral Dönitz qui commandait la partie militaire du port en fit une base sous-marine. Je ne sais s’il existait un labo photo propre à l’armée d’occupation, toujours est-il que des officiers et des sous-mariniers apportaient à développer chez Bigot leurs bobines de films personnels. Ces images qu’ils destinaient pour une part à leurs familles, étaient aussi largement diffusées dans leurs services ; certains tirages dépassaient la centaine d’exemplaires. Bien évidemment, nous avions accès à ces documents. On voyait passer des clichés qui marquaient les événements de la base, en particulier les entrées et sorties des sous-marins. Bigot avait probablement une copie du travail effectué ; quant à moi, je ne me gênais pas pour constituer ma propre collection. Cette entreprise témoignait de mon intérêt propre à la chose militaire mais aussi, et surtout, de cette idée bien ancrée en moi depuis le 18 juin, de rejoindre le combat de la France Libre. »


Un léger bruit interrompit le récit que me faisait Denis Dérout chez lui à Poitiers et dont je suivais les péripéties sur l’écran. Je fus bien stupéfait de voir émerger du rideau de scène un personnage souriant et aux yeux pétillants.


Il s’empressa de me tendre une pochette de photos sur laquelle on pouvait lire : Guy Bigot, photographe, 25 rue Poissonnière à Lorient.
Éberlué et ému, je sortis de cette pochette des vieilles photos tirées sur papier Gevaert datant des années 40 et même des bouts de négatifs 24 x 36. La plupart montraient des sous-marins, des officiers et des équipages allemands.
 

A gauche, image de la collection de Denis Dérout ; à droite, image publiée par Luc Braeuer dans son livre « U-Boote ! Lorient, juin 40 – juin 41 ; cf. références.

S’y joignaient également des photos concernant ce jeune homme qui venait de faire irruption escamotant du même coup d’un magistral effet de prestidigitateur, mon interlocuteur, 
M Dérout.


Photo prise au printemps 1941 lors des fiançailles de Guy Bigot et Jacqueline Prudhomme : les garçons Denis Dérout et Albert Prudhomme.

Et il se mit à commenter tout de go...

« Tous ces clichés pris à l’intérieur de la base pouvaient être d’un intérêt évident pour Londres si je pouvais les communiquer à un agent en liaison.
D’autant que les photos n’étaient pas ma seule source d’information. J’ai dit, plus haut, comment j’avais écouté l’appel du 18 juin. Il se trouve que la maison où habitait ma cousine fut réquisitionné par les Allemands et qu’un officier de l’Etat-Major de la DCA vint y habiter, un dénommé Joeck. Il arborait une chevalière à ses initiales, ROJ, et il se plaisait à dire qu’il était un ROI. C’était un homme cultivé et courtois qui souhaitait améliorer sa conversation en français. Ma cousine refusa de lui donner la réplique mais suggéra mon concours puisque j’étudiais l’allemand au lycée. J’acceptais. Il fut convenu que les cours de conversation auraient lieu dans son bureau à la base même. L’emploi du temps de l’officier étant élastique, j’attendais souvent dans les espaces attenants à son bureau et je m’efforçais, vous vous en doutez, de mémoriser plans et notes affichés.
Hélas ! J’allais manquer mon affaire. L’homme avec qui j’avais pris langue au studio Bigot, un certain Babin, à qui j’avais fourni des documents le croyant le correspondant ad hoc, disparut. »

A ce moment, le feu follet disparut lui-même et M. Denis Dérout reprit la parole :

« J’ai su, bien des années plus tard, par une de leurs filles, que les époux Bigot (Guy avait épousé Jacqueline Prudhomme) avaient demandé fermement à Babin de ne plus mettre les pieds chez eux. Ce type jouait un jeu des plus troubles et frayait probablement avec les Allemands. On avait encore peu avancé en conversation que l’officier allemand m’annonça que les cours cessaient, sa hiérarchie lui reprochant de trop fréquenter les Français. »


Note : Dans son livre « Le Morbihan en Guerre », Roger Leroux fait état d’un Babin, originaire de Lorient, réfugié à Auray, appartenant au mouvement collaborationniste dit « Francisme ». Peut-être est-ce cet homme que notre jeune ami a croisé si ingénument. 



Chapitre II 
Guémené, la Pomme d’Or

                Après les bombardements de janvier 1943, le lycée Dupuy de Lôme se réfugie à Guémené et s’installe à la Pomme d’Or. Denis Dérout est alors en classe terminale. Philippe Kernilis le rejoint un peu plus tard ayant participé comme brancardier aux secours qui ont suivi les bombardements. Désormais ils deviennent des amis intimes.


« Sous l’impulsion de Le Gonidec, élève de Philo, est créé « le Cénacle, constitué d’élèves externes, qui se réunissait à l’hôtel Coguic à l’heure des repas. ».
 « Cénacle ainsi formé,…
Et je vis flotter dans l’air des bulles enveloppant les fantômes de ces personnages ailés.
…outre Le Gonidec, DIEU (rien moins),
inspirateur et inspiré, éclairagiste du monde et grand machiniste de l’univers,



Jacques Faignot, dit Chu, Pape


Philippe Kernilis, Sous-Pape


et Denis Dérout, (hésitation, puis…) l’archange.


                « Cette institution potache exerçait une autorité humoristique distinguée qui impressionnait les élèves du lycée et elle dirigeait le clan des "Tchéchènes(1). A l’occasion, ceux-ci provoquaient un peu la paisible population locale ; nous promenions à tour de rôle notre train de bois dans les rues de la ville et, un soir, nous l’oublierons attaché à la grille de la colonne Bisson sans qu’un seul enfant osât y toucher. Mais notre grand rite quotidien était réservé à la clientèle de l’hôtel des Voyageurs, hôtel Coguic. A leur table, les profs souriaient d’un air convenu, Mazé, Mlle Prigent, Mansec, Woerth. Le grand jour était le jeudi, jour de marché, quand se pressaient les paysans et les marchands forains. Alors, Gonidec se levait religieusement et, s’adressant à ses fidèles debout, levait aussi son verre et déclarait : « En ce temps-là, Dieu descendit sur terre ; il réunit ses fidèles disciples autour d’un frugal repas et leur dit : buvez et mangez, vous ne savez pas qui vous mangera ».

Remarque. Jacques Faignot qui sera maquisard avec Dérout, épousera Simone Février, la fille du tailleur bien connu, place Bisson à Guémené.
Note 1. Pourquoi Tchéchènes ? Tchouvaches (autre clan) ? « Nous avions certainement été intrigués par ces noms lors des cours de géographie que nous dispensait M Oger alias le Bède (BED étant la déformation de BdB, Boule de Billard, car il était chauve). »
                
Riez tant qu’il est encore temps car le régime des lycéens et lycéennes n’échappera pas aux restrictions.

 « En mars 43, atteint d’une bronchite, j’ai connu la thérapie imposée par la femme du directeur du CC : consigné à la diète au dortoir des grands établi alors salle Trébuil. Heureusement que Guth, mon professeur de Sciences Naturelles, me ravitaillait en cachette et m’encourageait. Une fois guéri, l’expérience du dortoir a tourné court ; au dernier trimestre, j’ai pris une chambre en ville en colocation avec Paul Gérot, un élève de 1ère. »
« Je me souviens encore d’une autre histoire, peut-être plus tardive, oui, ça devait être en 44 avant la rafle du 2 mai. Nous avions décidé de garder la barbe, allez savoir pourquoi ! Battant la campagne, sans doute en quête de denrées consommables, notre groupe débarqua au village du Penety alors que l’alambic trônait au milieu de la place, activé et couvé par un quarteron d’indigènes bien fendus de gueule. L’un d’eux, un grand roux qui bégayait, nous invita à goûter le divin breuvage tout chaud tiré. Hum, que c’est bon, mais que ça chauffe ! « Encore une goutte, les p’tits gars ! » Notre sabotier, farceur de bonne lignée, n’eut plus qu’à coucher ses invités KO, comptés 10 au tapis après la troisième reprise, …d’eau de vie, s’entend ! »

Doucement, on n’a pas fini de rire, ce n’est pas encore la Résistance mais une manière de répétition.

« A cette époque, à Guémené, l’occupant se limitait à la brigade qui régissait les camions de transport des ouvriers vers les chantiers lorientais. Une nuit, notre bande déplaça les poteaux de signalisation. S’ensuivit une perturbation que les Allemands dénoncèrent avec éclat. Les gendarmes alertés firent leur rapport et les autorités guémenoises, contraintes et forcées, relayèrent et officialisèrent une mise en garde en bonne et due forme. Ceci méritait assurément une riposte vigoureuse. Quelque temps après, nous avons nuitamment démonté les panneaux et nous les avons déposés devant la porte de la gendarmerie. Hugh ! »

Au retour des vacances, la situation a bien changé. Le vent de la révolte se lève contre l’occupation allemande et les jeunes sont attirés par les mouvements de la Résistance. Denis Dérout qui n’a rien perdu de ses sentiments gaullistes piaffe. Avec son ami Francis Le Cunff, ils adhèrent au Front National (2), organisation proche du Parti Communiste. L’activité comporte un risque certain mais ne satisfait pas réellement nos jeunes. On récupère à la poste de discrets paquets de tracts qu’on distribue sous le manteau. L’action sera de courte durée ; Denis regrette qu’on parle plus de Staline, « le petit père du peuple » que de de Gaulle, l’homme du 18 juin.

« Avec Francis Le Cunff, j’ai rejoint, fin septembre ou début octobre 1943, le groupe en cours de formation par Alphonse Tréhin. Je ne sais pour quelle raison (désorganisation due à des arrestations ?), toujours est-il que ce groupe Service National Maquis, a été repris début décembre par Libé-Nord de Jean Le Coutaller. Il deviendra section Guémené II intégrée à l’Armée Secrète, que dirigera Emile Mazé.
A cette époque, nous ne possédions pas d’armes ; notre activité principale consistait à recruter et former. Les réunions se tenaient dans les ateliers du père Le Cunff, derrière le château. Comme je l’ai déjà dit, les seuls Allemands qu’on pouvait rencontrer à Guémené étaient les hommes chargés des camions qui transportaient du personnel ouvrier vers Lorient. C’étaient ce qu’on pourrait appeler des planqués ; l’un d’eux avait eu les pieds gelés en Russie et pour lui Guémené était autrement tranquille. Ils fréquentaient aussi l’hôtel des Voyageurs et tentaient de lier connaissance avec nous au moment des repas. On allait les servir !
Ils garaient les camions place Bisson. Avec Francis Le Cunff, nous leur avons joué quelques tours. A la nuit tombée, c’était un jeu de dévisser le bouchon du réservoir d’essence et d’y verser du sucre. La maman de Francis était épicière et, de temps à autre, on disposait de doses suffisantes pour saboter le carburant. Bien entendu, on s’arrangeait pour donner le change, pas d’acte généralisé à l’ensemble des véhicules ni trop souvent répété, cette plaisanterie aurait déclenché une surveillance sévère. Non, une fois un camion, une autre fois un autre camion. Mais quelle jubilation, au petit matin, quand malgré la manivelle, les moteurs refusaient de démarrer ! »

Note 2. Le Front National était une organisation de lutte contre l’occupant nazi et le régime de Vichy, son complice. Rien à voir avec l’actuel mouvement lepeniste.



Chapitre III 
La rafle du 2 mai 44


« Je n’ai pas le souvenir de l’attaque de la voiture allemande, route de Langoëlan, qui aurait provoqué en représailles la rafle du 2 mai (3). Nous savions que les Allemands détenaient la liste des patriotes de notre groupe. Ils en détenaient même deux, une à disposition de la Feldgendarmerie et l’autre par la SS établies toutes deux à Locminé. Ce doublon nous a peut-être en partie sauvés. Les feldgendarmes vinrent frapper un matin chez Roger Ollitrault, un jeune réfugié lorientais qui habitait place Bisson, un peu plus haut que le Cheval Blanc. Ils ignoraient son appartenance à notre groupe de Résistance mais le soupçonnaient de cacher quatre réfractaires du STO. Bien entendu, il démentit farouchement et, dès qu’ils eurent tourné le dos, il s’empressa de déguerpir et de nous avertir.

Les choses changèrent quand la SS s’en mêla ; elle intervint avec la brutalité que l’on sait le mardi 2 et le jeudi 4 mai, arrestations des frères Aimé et Francis Trébuil, de Jean Martin, de Jean Feuillet, puis du professeur Mazé.


Les Allemands ignoraient où j’habitais et avaient prévu de me cueillir à l’entrée du lycée, à 8 h du matin à la Pomme d’Or, où j’avais cours de philo. C’est là qu’ils se sont présentés et s’y sont cassé le nez.
Personne ou presque ne connaissait mon adresse. Je logeais discrètement, bien au-delà du centre-ville, du côté de la route de Pontivy, chez la veuve Le Fur. J’occupais une chambre à l’étage et elle me préparait mon petit déjeuner que je prenais avec elle ; j’étais pensionnaire. Ce matin-là, elle m’accueillit en disant : « Oh, je ne sais pas ce qui se passe à Guémené, mais les Allemands ont installé une mitrailleuse en haut de la route de Pontivy dirigée vers la ville. » A ces mots, je bondis, grimpai quatre à quatre l’escalier et m’empressai de récupérer la seule arme du groupe, un pistolet calibre 6/35 Manufrance, que je détenais dans ma chambre.


Le temps d’attraper mon veston au vol et je sortis. La situation était bien ce qu’avait décrit Mme Le Fur, le poste allemand était à 50 mètres. Heureusement, les soldats, occupés à scruter la rue montante, me tournaient le dos. J’ai traversé la route derrière eux et j’ai disparu au plus vite. De là, j’ai rallié le maquis qui était cantonné au Vénec, en Langoëlan. »

Note. 3 Cette attaque est rapportée dans le livre de Roger Leroux.


Chapitre IV 
après le débarquement

Après la rafle, le groupe est désormais astreint à la clandestinité. Cependant, informés par les gens sûrs et en prenant les précautions utiles, les jeunes résistants remettent les pieds à Guémené quand les circonstances le permettent. Ainsi Denis Dérout rencontrera Emile Mazé le soir du 3 mai à l’hôtel des Voyageurs ; cf. blog, « A Guémené, sur les pas d’Emile Mazé. »


Pour mener le combat, il faut se procurer des armes. Pour le moment, il y en a une, on vient d’en parler. Ce n’est qu’après le débarquement du 6 juin que les choses changent.
On peut se demander pourquoi les Alliés n’armaient pas les maquis. En fait, il semble qu’ils ne prenaient pas l’Armée Secrète trop au sérieux et qu’ils se méfiaient des FTP. Aussi leurs plans stratégiques ne les intégraient aucunement. Faut-il rappeler que de Gaulle lui-même ne fut pas informé du D-Day. Les idées vont évoluer avec la réalité du terrain dans les jours qui suivent le débarquement en Normandie, le 6 juin 44.

Sans entrer dans les détails, présentons succinctement les différents niveaux du dispositif allié.
Le plan Overlord, révisé en février 44, fixe des objectifs à partir du Jour J : 1) la progression des troupes débarquées ; 2) la fixation des troupes allemandes en Bretagne par les parachutistes et les FFI, et, si nécessaire, par un débarquement bis dans la baie de Suscinio. Selon Leroux, et c’est souvent rapporté dans les reportages historiques, les Alliés sont persuadés que les mouvements de Résistance ont été durement touchés et qu’on ne doit pas attendre beaucoup d’appui de ce côté.
Malgré ces réticences à l’égard des Français, il faut tout de même noter que l’on a choisi le bataillon de parachutistes du commandant Bourgoin pour assumer l’objectif n° 2 (ce qui résout les problèmes de langue).
On lui assigne des missions de sabotages et d’infiltration qui doivent aboutir à la création de 2 bases, l’une dans les Côtes du Nord, en forêt de Duault (base Samwest), l’autre dans le Morbihan, landes de Lanvaux (base Dingson). En clair, il s’agit :1) d’examiner sur place les réactions et la force de l’ennemi ; 2) de former une base permettant le rayonnement des saboteurs et l’approvisionnement en armes, munitions et vivres, et de déterminer des zones de largage dites « dropping zone » ou DZ.
Pour chaque base à créer sont largués séparément deux groupes ; chaque groupe comprend 9 hommes, dont 3 radios équipés de 2 émetteurs-récepteurs, et un équipement ad hoc, avec 6 jours de vivres par homme. Pour le Morbihan, le 1er groupe est commandé par le lieutenant Marienne, le 2ème par le lieutenant Deplante. Toutes les équipes sont parachutées dans la nuit du 5 au 6 juin. Les choses ne se passent pas comme on attendait. Comme écrira Deplante : « On ne fait jamais la guerre qu’on a préparée. »

Photo de Bourgoin et de ses officiers, au centre, Deplante.

Avant d’aborder les événements, présentons rapidement l’officier de paras qui va jouer un rôle central dans l’organisation et la conduite des opérations dans le secteur de Guémené, le capitaine Deplante.

Qui était Deplante ?
 
Né en 1907, il est déjà un homme mûr en 1939. Ancien élève de Centrale, il est engagé dans une carrière de conception de nouveaux avions pour le compte de la société Marcel Bloch. Au début de la guerre, il continue son activité avec une équipe dans la zone non occupée. Il refuse les offres allemandes et profite de toutes les occasions possibles pour glaner le maximum de renseignements sur les usines et les centres aéronautiques associés à l’effort de guerre allemand. 

Après l’invasion de la zone libre, il quitte son métier et sa famille (il est marié et papa), opère une longue et épique traversée de l’Espagne où il sera un temps prisonnier et rejoint la France Libre. A Londres, il refuse toute activité liée à ses compétences professionnelles et opte pour l’engagement dans les SAS (parachutistes formés par les Britanniques). Il suit une formation intense et accélérée et acquiert les galons de lieutenant au 2ème régiment de parachutistes du colonel Bourgoin.
Dans son livre « La liberté tombée du ciel », il décrit son expérience en s’en tenant strictement à sa mission, sans s’attarder sur les polémiques opposant les FFI et les FTP. Il savait exactement pourquoi il combattait, son but était la libération du pays, l’anéantissement du nazisme. Homme d’action rigoureux et avisé, il agit en évitant les prises de risques inutiles et assume ses responsabilités. C’est lui qui a organisé la libération et l’après-libération à Pontivy, accueillant les Américains, puis passant la main aux autorités civiles pour se consacrer au plus vite à la poursuite des forces allemandes en retraite.
Dans le Morbihan. Après des péripéties variées, les deux capitaines (il était entendu à Londres que Marienne et Deplante seraient ipso facto promus capitaines en posant le pied sur le sol français) rejoignent le camp de St Marcel (à quelques Km à l’ouest de Malestroit) le 7 juin à 23 h 30. Fortement impressionnés par l’importance des effectifs présents ou attendus, ils rendent  compte de la situation et des besoins à Bourgoin, toujours à Londres. En conséquence, une longue série de parachutages sera effectuée jusqu’à la dispersion du camp qui suivra la bataille de St Marcel, le 18 juin. Dans la nuit du 8 au 9, largage par 4 avions de 50 paras et de 50 containers ; dans la nuit du 9 au 10, arrivée de Bourgoin accompagné de 17 hommes (un seul avion sur 5 a réussi son largage) ; les nuits suivantes, arrivée continue des parachutistes, au total plus de 150.
Le camp de La Nouette, à St Marcel, remplit les conditions que l’on assignait initialement à la base Dingson. Prévu point de ralliement pour missions de sabotage, il est devenu de fait centre mobilisateur des FFI : armer les bataillons mobilisés et encadrer les volontaires. Cependant, la situation évolue au fil des jours, en particulier à cause des revers qui ont conduit à la dissolution de la base Samwest dans les Côtes du Nord. Aussi, Bourgoin ordonne-t-il la formation d’une nouvelle base à mi-chemin entre Samwest et Dingson, qui devrait se situer dans le secteur du 5ème bataillon FFI commandé par Le Coutaller, c’est-à-dire dans région de Guémené.
             
Le cadre étant tracé, revenons à notre entretien avec Denis Dérout.
On se souvient, cf. blog « A Guémené, sur les pas d’Emile Mazé », qu’il a manqué son passage en Angleterre en décembre 1943 la filière envisagée avec Emile Mazé ayant capoté. Cette fois, il ne manquera pas le coche. Il se porte immédiatement volontaire quand est communiquée aux maquis FFI la consigne de venir au camp de St Marcel pour recevoir un armement. En opération courante, chaque section envoie 3 hommes à bicyclette. Il sera donc du trio de la section Guémené II. Parallèlement, mais sur un autre itinéraire, un vieux camion fait le voyage.
L’ambiance et l’importance du camp séduisent nos jeunes maquisards.

« J’ai assisté au parachutage de Bourgoin et j’en ai gardé un souvenir précis. J’étais en binôme avec un lieutenant SAS sur la zone de largage appelée « la Baleine ».

Ils croisent les officiers parachutistes, Bourgoin, Marienne et Deplante. C’est aussi un lieu de rencontres extraordinaire. Denis fait des connaissances et apprend l’engagement de personnes qu’il avait connues et perdues de vue. Ainsi :

« Au cours de mon séjour à St Marcel, j’ai eu la joie d’apprendre que Marie Thérèse Jouan, une ancienne camarade de cours de dessin de l’époque lorientaise, était agente de liaison. Je me souvenais bien d’elle, nous étions assis à la même table dans la classe et je lui finissais souvent ses ébauches. »

La nuit, les parachutages sont un spectacle extraordinaire et la récupération des containers une activité excitante. On dit que celui du 13 au 14 juin a été le plus important jamais réalisé en France, 25 avions larguent environ 700 containers et colis.



« Je n’ai pas assisté à celui-ci mais j’ai rapporté des armes et aussi un équipement dont j’étais fier, en particulier la fameuse « barboteuse » que l’on voit portée par Xavier Woerth sur une des photos d’après la Libération de Guémené ».
 « Dans la journée, nous suivions une instruction militaire donnée par les parachutiste, cours d’initiation au maniement et à l’utilisation des armes. »


En voici un échantillon : Fusil Mitrailleur type Bren (modèle Brno fabriqué à Enfield) ; Pistolet Mitrailleur = mitraillette Sten (Shepherd and Turpin, Enfield), composée de 47 pièces, et transportable en 3 éléments ; Carabine américaine US M1 avec chargeur ; Colt 45 Remington, 8 coups, réservé aux responsables de section ; Grenade Mills n° 36 quadrillée (dite ananas) ; Grenades Gammon, grenade à main dont l’explosif est contenu dans un sac de toile.

« J’avais rapporté de St Marcel une carabine à crosse pliante qui m’a été dérobée à la Libération. »

L’animation mal maîtrisée de la ruche n’est pas sans poser des problèmes de discrétion et, en conséquence, de sécurité. A son arrivée, Bourgoin dit qu’il est surpris par cette « atmosphère de kermesse ». Deplante écrira : « A la pause, les jeunes discutent dans la cour de la ferme comme à une sortie de la grand-messe. »

Les opérations qui se déroulent à St Marcel ne sont pas passées inaperçues aux yeux des Allemands, en particulier certains parachutages. Ils connaissent aussi la présence des équipes de SAS la nuit du 5 au 6 (lire le récit de Deplante). Le commandant Bourgoin va donc réagir et changer de stratégie. Au lieu de fixer les parachutages en un seul endroit et d’y faire converger les maquisards en vue de les armer, on va préconiser des largages décentralisés au plus près des maquis.
Note, code couleur : le texte en vert est un récit qui s’appuie sur le livre de Deplante.


Nous sommes le 13 juin au camp de St Marcel. A 15 h un message apprend que le capitaine commandant la base Samwest (Duault, CdN) a donné l’ordre de la dispersion. A 16 h, Bourgoin donne mission à Deplante de partir avant la nuit pour aller créer une nouvelle base à 90 Km plus à l’ouest, avec l’objectif de récupérer les équipes de Samwest. A 17 h, un rendez-vous est fixé pour le lendemain avec le maquis FFI de Le Coutaller afin de fixer la position de cette base. Comme il convient d’assurer en cours de route la protection du parachutage qui est destiné à ce maquis, Deplante prend avec lui 10 parachutistes de la Compagnie Puech et 10 maquisards ( parmi eux Denis Dérout). Départ à 19 h dans un vieux camion alors qu’on ramène au camp le corps criblé de balles du lieutenant SAS Harent, un vétéran de Lybie, tué alors qu’il cherchait à surprendre la défense du sinistre moulin de Plumelec.

« Je me souviens bien du départ à cause de l’émotion qui étreignait tout le monde du fait de la mort du lieutenant SAS. De la suite des événements que Deplante rapporte dans son livre, je me rappelle peu de choses : l’accrochage à Sérent où deux Allemands ont été tués par les SAS ; le basculement de notre véhicule dans le fossé qui nous a contraints à descendre pour le remettre sur la route ; enfin que j’étais chargé d’aider un radio à transporter son matériel (4). Après, c’est très confus, un peu comme si j’avais dormi d’un sommeil de plomb et que je m’étais réveillé au camp de Kerusten, près de St CaradecDeplante installa la nouvelle base. »

Note 4. Deplante a eu l’occasion de constater combien les sacs sont lourds, trop lourds, quand il s’est retrouvé errant avec son équipe, après le largage initial la nuit du 5 au 6 juin.

Que s’est-il passé pendant l’amnésie de Dérout ? Je vais en rapporter l’essentiel tiré du livre de Deplante et complété par d’autres lectures.
Le groupe s’entasse dans le vieux camion. Après un accrochage avec des feldgraus qu’elle élimine, l’équipe récupère une camionnette de l’orphelinat St Michel, passe le Blavet sans encombre et participe à la récupération d’un parachutage organisé par le BOA et destiné à l’armement du bataillon Le Coutaller. Butin et hommes finissent la nuit à l’abri dans une grange (lieu non précisé).
Le lendemain, malgré les réticences de Deplante, les véhicules partent de jour pour le rendez-vous fixé en forêt de Lochrist (Ploërdut, à proximité du Croisty), chaque chauffeur assisté d’un parachutiste et sous la responsabilité d’un sergent. Le reste de la troupe s’y rend à pied de son côté. Le convoi motorisé est intercepté par des ennemis. L’accrochage se traduit par la mort des deux chauffeurs et la perte de la camionnette mais le camion arrive à bon port conduit par le sergent. Sur place, Deplante apprend la déplorable affaire. Qui plus est Le Coutaller est en retard ; les armes sont distribuées à une section FTP avertie de la situation. Survient Le Coutaller qui réclame la restitution des armes. Deplante n’entend pas entrer dans cette polémique : les armes ont été réparties entre la cinquantaine de maquisards présents, écrira-t-il dans son livre. Il fait savoir à qui de droit que ce lieu de rendez-vous est absurde tellement le bois est clair. Un FFI, instituteur dans le coin, propose de guider la troupe sur un plateau bordé de couverts très épais. C’est donc à Kerusten, près du bourg de St Caradec que Deplante installe son campement, plus connu sous le nom de « base Grock ».
Dès le lendemain, la base devient point de ralliement des parachutistes rescapés après la dissolution de Samwest, et centre de parachutage. L’armement et l’instruction des maquis peuvent commencer après rappel à l’ordre des jeunes « qui se croient réunis pour le Grand Pardon d’Auray ». Parmi les rescapés arrivés le 16, le major Smith, émissaire de l’Intelligence Service (anglaise), qui a vécu la tourmente Samwest et l’entente cordiale avec les FTP des Côtes du Nord. Deplante et Smith visitent les divers camps et les mesures sont prises pour assurer la distribution de l’armement, chaque section demeurant sur place le moins longtemps possible. L’ennemi rôde et surveille le secteur, il convient d’être prudent. Apparaissent également des problèmes de ravitaillement sensibles.
Malgré toutes ces difficultés, le camp de Kerusten reçoit toujours des visites ; parmi les plus marquantes, l’arrivée d’un aviateur américain conduit par une agente de liaison, puis, après la bataille de St Marcel, la venue de Marie Claire Krebs (future Marie Chamming’s auteure du livre « J’ai choisi la tempête ») accompagnée d’un aspirant para qui ont quitté St Marcel dans la nuit du 18 juin Deplante apprend ainsi de vive voix le déroulement de la bataille et ses conséquences. 


La mission accomplie, l'heure vient de la dispersion du camp de Kerusten. L’équipe resserrée de Deplante organise le départ du major puis migre dans le secteur de Guern où elle conduira les opérations jusqu’à la Libération, en particulier celle de Pontivy.

« Pendant le temps que j’ai séjourné à Kerusten, je me souviens de plusieurs choses. J’avais ramené de St Marcel un parachute en nylon blanc qui me servait de sac de couchage. Je le prêtais volontiers à un jeune lieutenant, de Carville, avec qui j’avais sympathisé (il est mort à la Libération de Rosporden). J’étais parfois sollicité par le radio dont j’avais transporté une partie du matériel depuis St Marcel ; son indicatif était Pierre 5, je pense qu’il s’agissait de Bailly. Ma tâche consistait à tourner la manivelle pour alimenter le poste émetteur ; le temps a manqué pour une approche de la technique.
Je participais activement aux opérations liées aux parachutages. Une nuit, j’étais parti en compagnie de Deplante pour récupérer un reste de largage quand un impératif « wer da ? » nous fit comprendre que l’ennemi tenait le bois. Autre histoire, plus souriante cette fois. Revenant de la DZ, je cherchais un coin où dormir et me heurtais à une sentinelle particulièrement farouche qui veillait sur le dépôt. Arrive Deplante qui me dit de me coucher là, en m’accommodant des sacs entassés. Ce que je fis sans sourciller et je mis à profit leur relative mollesse. Le lendemain, on a bien ri ! Ces sacs qui comptaient parmi les colis du parachutage contenaient les liasses de billets de banque destinés aux maquis. J’avais dormi comme un bienheureux sur le trésor de Deplante ! »



Chapitre V
Les combats d’avant la Libération de Guémené

On a pu s’étonner de la relative inertie des Allemands vis-à-vis des initiatives et des mouvements des maquis, du moins jusqu’à la bataille de St Marcel. En fait, rapporte Leroux, l’objectif majeur des Allemands était de drainer au plus vite des renforts vers la Normandie où avait lieu la bataille décisive. Ils ripostaient au plus près contre les actes de sabotage qui entravaient leur progression. S’ensuivit en Bretagne une immobilisation importante des troupes remontant des régions plus méridionales ; peut-être 150 000 hommes. Donc, progressivement, l’occupant disposa d’un effectif permettant un quadrillage en règle de la région et une lutte féroce contre les maquis. On est loin de la situation d’avant débarquement que décrivait Denis Dérout quand Guémené ne comptait de force occupante que la brigade affectée aux camions.

« Les effectifs allemands se sont gonflés après « notre » rafle, et, en outre, la Gestapo s’est installée à l’école Ste Anne, avec cellules de détention et salle de torture, lieux qu’ont trop bien connus de nombreux patriotes. »


Les Allemands tentent de réduire le maquis par la terreur. Opérations de ratissage et de contrôles dans les bourgs et la campagne pouvant conduire à la mort, opérations perpétrées par la FAT (troupe de lutte contre le maquis), par la SD (service de renseignement de la SS) et par les miliciens bretons qui recourent à la torture, en particulier dans le secteur Guémené-Faouët. Les paras, en dépit de leur uniforme, sont traités avec la même cruauté.
Après leur stage à la base Grock, chaque section du 5ème bataillon FFI commandé par Le Coutaller se dirige vers le secteur affecté à la compagnie dont il dépend ; celle de Guémené II retrouve ses campements dans la campagne de Langoëlan.
Un des événements majeurs auquel la section participe est la tragédie de Kergouët.

" Pour ce qui concerne Kergouët, j’y étais en effet auprès d’Albert Fortune, le 1er juillet 1944. Nous faisions partie du groupe Debretagne qui se composait en outre de Melquion, Koch, Leroux, Potier, Le Saëc et Le Bail, et qui s’était chargé de localiser les positions allemandes. Venant de Kerservant, nous avons traversé le vallon nous séparant de la ferme de Kergouët en rampant, en partie dans un ruisseau. Nous fûmes accueillis, au pied de la petite éminence où se trouvait cette ferme, par un tir très dense de mitrailleuses et de mortiers. Il avait beaucoup plu et il tombait sans arrêt une pluie fine. Pendant longtemps, en me remémorant cette journée, je revoyais les obus de mortier projeter une gerbe de boue en éclatant, et c’est seulement il y a 4 ou 5 ans que j’ai réalisé que si le sol avait été sec, nous aurions certainement subi de bien plus graves dégâts ; nous avions en effet trois blessés dans nos rangs : Koch, Leroux et Saëc. Je ne puis que vous décrire ce que j’ai vécu et que pourrait certainement confirmer Albert Fortune. Je n’ai pas eu connaissance des actions menées par le reste de la section ; je pense que nous étions atterrés en apprenant ce qui venait de se produire dans la ferme où s’était trouvée encerclée la section de Mellionnec-Langoëlan appartenant comme nous au 5è Bataillon FFI. Les Allemands ont fusillé le fermier, Le Padellec, dont ils ont jeté le corps dans la ferme incendiée, avec deux FFI et le sergent SAS Bonis tués au combat. Le chef de section, François Le Guyader, blessé, fut fait prisonnier et mourut sous la torture quelques jours plus tard. J’ai conservé un souvenir ému de François Le Guyader ; il avait appartenu, fin 1943, à notre groupe AS (Armée Secrète) qu’il avait quitté pour créer un autre groupe regroupant des résistants de Mellionnec où il habitait et de Langoëlan.
A l’issue de ce combat, notre section s’est trouvée augmentée d’une unité,
Henry d’Aubert, qui quitta son manoir de Kerservant dont dépendait la ferme de Kergoët pour se joindre à nous, y compris sur la Poche de Lorient ; il est devenu le meilleur des amis."

D’autres actions ont eu lieu dans la région de Guémené et la répression n’a épargné personne. Les Allemands étaient souvent conduits par des miliciens.

« J’ai connu le cas d’un Le C…, réfugié de Lorient, qui entra au maquis chez nous. Après deux ou trois jours, il prétexta être malade et se défila. Nous ne l’avons plus revu. Dans le doute, nous avions immédiatement déménagé à la suite de son départ. Il a eu un procès à la Libération. »

Bien entendu, les exactions allemandes ne se limitent pas à celles que je viens de rapporter et la région de Guémené a payé un lourd tribut. La période qui court du 6 juin à la Libération a été terrible pour de nombreux patriotes, aussi bien maquisards que civils.


Chapitre VI 
La Libération et l’après Libération

La guérilla menée par les maquis est à la hauteur des enjeux, beaucoup de villes seront libérées par les maquis et les troupes américaines du Général Patton ne rencontreront que peu de résistance dans leur avancée en Bretagne. Les Allemands se replieront sur les poches de Brest, Lorient et St Nazaire.
La Libération de Guémené, le 4 août et les cérémonies qui ont suivi, ont déjà fait l’objet d’un reportage dans le blog, s’y reporter.
Les maquisards ont alors disposé d’un court répit utilisé, entre autres, pour des séances de photographies. Sur celles de Guémené II, Denis Dérout apparaît toujours la main gauche bandée à la suite de sa blessure infligée le 4 août.


                Cette image, bien connue, est aussi signifiante de l’intérêt ou de la spécialisation des jeunes FFI. On retrouve ici les « mordus » du fusil-mitrailleur Bren qui se sont placés auprès de leur arme de prédilection : agenouillés au 1er rang, Alphonse Tréhin (29) et Robert Lebon (31) entourant René Le Hyaric (30), et debout à droite, Denis Dérout (27) le pied posé sur la crosse. Idem pour la spécialité bazooka : Eugène Le Gall (20), près de cette arme que soutient Edouard Minier (28). Cités dans la présente histoire, Ollitrault (5), Francis Le Cunff (9), Faignot (15), Le Lorrain (23) et Moysan (24).
                Les camarades de Dérout à Kergoët, groupe de Maurice Debretagne (26) : Jean Leroux (1), Hubert Melquion (3), André Le Bail (4), Paul Koch (6), Albert Fortune (8), Roger Le Saec (18) ; il ne manque que Jules Potier qui n’est présent sur aucune des photos connues.


Autre image où figurent, de gauche à droite, René Le Hyaric, Robert Lebon, Albert Fortune et Xavier Woerth portant la fameuse « barboteuse » des parachutistes.


« Après la Libération de Guémené, tandis que ma Compagnie commandée par le capitaine Moysan allait prêter main forte aux patriotes qui libéraient Paimpol, j’ai bénéficié d’un mois de convalescence. Je garde de cette période une impression de plénitude attendrie. J’étais hébergé à l’hôtel Coguic, soigné, dorloté et choyé comme un coq en pâte. Lors de la commémoration du 50ème anniversaire de la Libération, en 1994, tandis que je prends mon repas au restaurant Eon, en face l’église, la secrétaire de mairie de l’époque me reconnait et me tombe dans les bras. Il faut croire que les Guémenois avaient gardé une bonne image de mon passage dans leur ville. »

Seule fausse note, l’entrevue avec le proviseur du lycée qui le convoque chez lui.
« Le proviseur était connu comme maréchaliste. Peu de jours après la Libération de Guémené, il m’invita à prendre le thé chez lui ; il habitait au premier étage de la maison à l’angle de la place Bisson et de la rue Brénot. Je crois me souvenir qu’il avait encore au mur une photo de Pétain mais ce souvenir est incertain. Toujours est-il qu’il me reprocha mon engagement dans la Résistance car, lorsque la Gestapo est venue me chercher à la « Pomme d’Or », ne m’ayant pas trouvé, ses agents ont déclaré qu’au cas où je ne me rendrais pas, ils prendraient le Proviseur et le Censeur (M Bourquin) en otages. J’étais donc accusé d’avoir mis leurs vies en danger. Je ne me souviens pas de ma réaction à cette condamnation. »

C’est aussi le temps de l’épuration et des règlements de compte.
« J’ai vécu des épreuves douloureuses. J’étais particulièrement révolté par la tonte des femmes « fauteuses », ce qui restait à prouver ; personne n’a accepté de s’y opposer.
Nous avions à traiter des cas difficiles de gens qui étaient accusés de trahison ou d’exaction. L’un m’avait particulièrement bouleversé. Deux hommes devaient être fusillés, un jeune Allemand et un milicien qui avait servi sur le front russe et qui était syphilitique. Le lieutenant dit Le Lorrain venait d’apprendre le sort tragique de sa famille, déportée en Allemagne, et on comprend qu’il n’était pas enclin à la pitié. Woerth servait d’interprète ; les réponses de l’Allemand me paraissaient prouver combien il était inoffensif sinon totalement innocent. Mon argumentation est rejetée. J’essaie de faire intervenir le vicaire de Guémené qui assiste à la scène ; en vain. Les deux hommes seront passés par les armes. Les brancardiers poussent du pied le corps du syphilitique sur une couverture. Je suis le seul à accompagner les fusillés au cimetière où les attend la fosse commune. »

Heureusement, il y a aussi des moments plus sereins. Presque la vie de château.
 « Je faisais partie de l’équipe qui a investi le château de Pont-Callec. Pendant l’occupation, il avait servi de centre de repos pour les Allemands de la base de Lorient ; officiers et sous-mariniers venaient s’y détendre. A l’occasion de cette perquisition, j’ai récupéré des fascicules d’usage militaire de la Kriegsmarine, signés Wolgang Franck, Prien, Greiften 5, dont le fameux « mein weg nach Scapa Flow » ainsi qu’un exemplaire de « Mein Kampf » que j’ai conservés. Nous avions aussi déniché des bouteilles de champagne qui subirent le sort qu’elles méritaient. »


Chapitre VII 
La poche de Lorient

Un repas consacre l’attente du départ de la section. Voici cette image qui permet de rappeler certains des maquisards moins présents sur les photos, en particulier Freddy Borgat.


Photo : un repas en attendant d’aller sur le front de Lorient : (1) Woerth, (2) Freddy Borgat, (3) Le Bouédec, (4) Faignot, (5) lieutenant Hilary, (6) Koch, (7) Jean Le Cunff.

Le face à face commence dès août mais il ne se passe pas grand-chose après le départ des parachutistes (dont l’équipe de Deplante). Les hommes acceptent d’abord fort mal la passivité à laquelle, après l’exaltation des jours de la Libération, les contraignent le manque d’armes et l’insuffisance de leur équipement.
Le 19 août, les FFI prennent position au nord du bourg de Ste Hélène formant une ligne qui part de la route de Port-Louis et aboutit à Nostang. Les coups de main sont nombreux du côté des Allemands qui cherchent à se ravitailler ; les FFI ripostent et font barrage. Très forte offensive sur Ste Hélène le 11 septembre ; Le Coutaller avait obligé ses hommes à s’enterrer et construire des abris. Désormais, de Kervignac à Ste Hélène, le secteur central ne connaît plus qu’un calme relatif. Le 20 octobre, nouvelle offensive d’envergure ; les Allemands occupent Ste Hélène et les FFI s’échappent comme ils peuvent, certains passent la rivière d’Etel sur des barques d’ostréiculteurs. Le 22 octobre, une contre-attaque menée à la demande des Américains (qui n’admettent pas qu’on abandonne Ste Hélène) reprend le terrain perdu, du moins partiellement ; l’Etat-Major a sans doute jugé bon de redresser nos lignes afin d’éviter un encerclement comparable à celui du 20.

« Dans l’affaire de Ste Hélène, le commandant Le Coutaller avait dû fuir précipitamment de son poste sans avoir eu le temps ni la possibilité d’emporter ses archives. J’étais des 4 volontaires composant le commando chargé d’aller les récupérer. Nous disposions d’une grosse américaine que le chauffeur conduisit à fond de train toutes fenêtres ouvertes. Nous autres, mitrailleurs, nous nous tenions debout, l’arme en bataille. Les ennemis étaient cachés au voisinage et ce devait être un maudit spectacle que ce bolide hérissé d’armes fonçant dans un nuage de poussière sur une piste même pas empierrée. En tout cas, pas un coup de feu ne fut échangé. Le temps de nous emparer des précieux documents et, il ne faut surtout pas le répéter, des bouteilles de vin du commandant, nous repartions dans les mêmes conditions. Cette fois les balles ont sifflé, heureusement sans nous atteindre.
Le chauffeur était Ferdinand Le Guyader, originaire de Trégunc, comme moi ; il nous a dit que nous roulions à 120 Km à l’heure sur cette route à peine carrossable. »

L’opinion comprend mal pourquoi les Américains ne liquident pas la poche de Lorient. Malgré les coups de mains de part et d’autre, la situation n’évolue guère. Le combat va durer jusqu’au 10 mai 1945, jour de la reddition définitive du général Fahrmbacher qui commandait les forces allemandes.


Entre temps, les hommes, souvent de jeunes hommes y auront laissé leur vie. C’est le cas de Philippe Kernilis et de Robert Lebon, deux amis, deux camarades de Denis Dérout, tombés le 5 décembre 44, alors qu’ils se battaient côte à côte sur le front, à Kervignac.

« Le 5 décembre 1944, la section est partie pour effectuer un coup de main sur Kervignac. C’était en début d’après-midi ; une image est restée gravée dans ma mémoire, celle de Phiphi, dans notre progression dans un petit bois, marchant devant moi. Il s’est retourné et m’a dit : « Ce soir, je serai à Port-Louis avec les autres ». Les autres étaient les cinq résistants de mon groupe arrêtés à Guémené dont on ignorait qu’ils avaient été massacrés, et que l’on croyait toujours incarcérés à la citadelle de Port-Louis.
Je lui ai proposé de retourner à notre base de départ, mais il a voulu continuer. Aux abords de Kervignac, près de la route d’Hennebont, comme j’étais responsable du fusil-mitrailleur, je l’ai installé derrière un talus, avec comme tireur Robert Lebon et comme pourvoyeur Phiphi. Après avoir assisté Eugène Le Gall, notre tireur au bazooka, dans les tirs sur le PC allemand dont la destruction était l’objectif de cette opération, je me suis aperçu que l’équipe du fusil-mitrailleur s’était installée dans le fossé longeant la route ; Robert Lebon m’a dit qu’il avait pris cette décision pour avoir une meilleure visibilité. Je n’ai pas eu le temps de les ramener à leur position initiale car nous avons été pris sous le tir d’une mitrailleuse allemande que nous n’avions pas décelée, à quelques mètres seulement, de l’autre côté de la route. C’est là que Phiphi et Lebon ont été tués.
J’ai là un trou noir dans ma mémoire, je ne puis dire si je les ai vus au moment précis où ils ont été touchés ; j’étais pourtant à quelques mètres d’eux. Je me souviens par contre très nettement qu’à notre retour je me suis précipité dans les bras du capitaine Moizan qui s’est efforcé de me consoler. J’ai connu là un des plus gros chagrins de ma vie. »

Denis reviendra à Guémené, effondré. Les sœurs Le Bourlais qui l’ont rencontré à ce moment en gardent un souvenir poignant.
Philippe Kernilis. Bien que lycéen à Guémené, il s’est engagé FFI dans une section vannetaise. Ce n’est que lors des combats sur la poche de Lorient qu’il rejoint ses anciens camarades. La revue « Les Cahiers d’histoire du Vieil Hennebont » lui a consacré un reportage d’où est tiré le témoignage de Denis Dérout sur le drame de Kervignac.



Chapitre VIII 
« Je ris en pleurs »

« Je ris en pleurs » pourrait-on dire après François Villon tant ce récit mêle le rire et les pleurs. N’oublions pas que Denis avait 18 ans et ses camarades du lycée à peu près cet âge. On admire Deplante comme ils l’ont respecté et vénéré mais pouvait-on attendre d’eux une maîtrise du même niveau ? Evidemment non.
Mais comme lui, à leur place, ils ont contribué à la Libération du pays et à l’écrasement du nazisme. Ils risquaient leur vie et plusieurs y ont péri.
N’oublions pas !


« Forget me not » et bouton d’or du pays pourleth !


Merci Denis, merci Monsieur Dérout !


Références :

- Roger Le Roux : le Morbihan en guerre 
- Henri Deplante : la liberté tombée du ciel 
- Luc Braeuer : U-Boote ! Lorient, juin 40 – juin 41 ; tome 1 de la série, histoire de la base sous-marine de Lorient pendant la seconde guerre mondiale. Cette histoire est illustrée par des clichés d’époque acquis auprès de particuliers allemands ayant participé aux événements.
Note. 4 Ces as allemands de la guerre sous-marine sont largement cités dans l’ouvrage ci-dessus. Le taureau peint sur la coque du navire marque symboliquement la victoire de Prien du 14 octobre 1939, coup de force dans la base britannique Scapa Flow où son sous-marin U-47 fit des destructions dramatiques.

Dessins :
- Dieu et sous-pape : images extraites et adaptées du film d’animation tchécoslovaque, « la création du Monde », dessins de Jean Effel.
- L’archange : images extraites et adaptées du film « the Kid » de Charlie Chaplin.

Petit lexique à l’usage des profanes :
SAS = « Special Air Service », parachutistes formés par les Anglais ; BOA = bureau des opérations aériennes ; AS : armée secrète, après l’unification des mouvements initiaux de la Résistance, puis FFI ; FFI = forces françaises de l’intérieur ; FTP = francs-tireurs et partisans ; après la Libération et la reconstruction de l’armée française, les bataillons FFI engloberont aussi les FTP.

Page VRID consacrée à Denis Dérout *

Pages de notre blog mentionnées :
- Guémené Août 1944 *
- Sur les pas d'Émile Mazé

6 commentaires:

  1. "Il s'agit du travail d'un passionné, méticuleux, réfléchi, cherchant et croisant les détails pour nous présenter avec précision un témoignage. Pour cela il prit le temps de lire, de se renseigner, de se déplacer et de réfléchir pour nous donner ce récit."
    et un témoignage très émouvant, et que dire de plus, MERCI

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  2. Ce blog est une vraie encyclopédie . la guerre de 39 est traitée avec détails et faire intervenir des témoins est des plus avisé. Félicitations au rédacteur de nous transporter dans le contexte de la période et des lieux . Félicitation

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  3. Merci pour votre travail .

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  4. Je suis très émue de l'évocation que vous faites et vous remercie du fond de mon coeur . j'ai toujours entendu à la maison ces événements de mes parents et leurs amis que cela me barbait comme on disait alors puis je me suis plus informée de tout cela qui m'intriguait. Remerciement à ce résistant monsieur Dérout et à votre site magnifique .

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  5. Denis Dérout est décédé à Poitiers le 2 mars 2022. Son fils l’a trouvé au matin allongé sur son lit, la radio d’information en marche.
    Lui qui avait combattu pour la libération de la France et la paix, a-t-il succombé face à la barbarie renaissante ?
    Je l’avais eu au téléphone en janvier. Toujours aussi vif d’esprit, il racontait sa récente commémoration à Poitiers auprès de la nouvelle maire fraîchement élue qui s’étonnait et s’émerveillait de rencontrer un pareil personnage. Pensez donc, le dernier résistant vivant sur la commune !
    On ne le verra plus à Poitiers porter sa gerbe. On ne le verra plus à l’occasion des cérémonies de la bataille de Kergouët au comble de l’émotion. Sur les landes de Séglien lors des manifestations « sur les pas du capitaine Deplante ».
    Mais il restera au fond de nos cœurs le jeune maquisard brandissant le drapeau tricolore le 4 août 1944 lors de la célébration de la libération de Guémené. Le conteur plein d’humour, délicat et intransigeant qui nous recevait les bras ouverts.
    RH

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