09/03/2016



À GUÉMENÉ, la CLASSE
Juste avant la guerre de 14-18

Le bon temps du service militaire

Oh ! C’était il y a plus de 100 ans. Ça commence précisément le mercredi 20 mars 1912. (Je suppose qu’on a choisi le mercredi pour éviter de perturber le marché du jeudi.) Aujourd’hui a lieu le conseil de révision des jeunes gens du canton nés en 1891, la classe 11.
Convoqués pour 1h de l’après-midi, ils arrivent en rigolant, par bandes, venant des diverses communes, sans se presser, en habits du dimanche. Un peu émus tout de même à l’idée de passer à poil devant le major et sa suite mais aussi devant les copains. Le jury comprend un groupe de militaires et des notables, élus du Conseil Général.
Depuis le temps qu’on en parlait, on plonge alors avec délice et appréhension dans le folklore évoqué par les anciens, le rite initiatique qui va marquer les « élus » et alimenter la boîte aux souvenirs militaires qu’on ressassera jusqu’à la fin de la vie.


A la sortie, les groupes se forment au milieu de l’agitation et des interpellations. L’un crie « Vive la classe ! » ; un autre « Bon pour le service ! » ; le petit futé ajoute « Bon pour les filles ! » En moins de deux les marchands de médailles écoulent leurs breloques.


On s’épingle les insignes et les écussons, 
on s’affuble de colifichets, on tire bien fort sur la cigarette. 
On est un homme, sacrebleu !


La bande s’agite et on se met en branle au son de l’accordéon ou du biniou. 
Parfois, on s’offre un passage obligé chez le photographe... 
à Guémené, Lody œuvre pour la postérité.  


Puis les joyeux fêtards se répandent dans la ville, honorant de leur visite le plus grands nombre de bistrots possible avant de rejoindre leur commune et les filles de la classe. La fête va durer plusieurs jours et plus d’un dormira dans le fossé.

 
Mais laissons-les se livrer à leur tournée épique et reprenons le fil historique.

La liste des conscrits du canton regroupe tous les jeunes gens qui se sont fait connaître pour y habiter le jour où le conseil aura lieu ; s’y ajoutent ceux qui y sont nés mais ont quitté le canton et ne se sont pas fait enregistrer dans leur nouveau canton ; on a enfin quelques cas particuliers.
Après je ne sais quelle cuisine, la liste établie par les autorités militaires (celle qu’on trouve aux archives départementales) les présente par ordre alphabétique. Pour la classe 11, au total 167 garçons recensés, 147 nés dans le canton : 
Ploërdut, 38
Langoëlan, 22
Lignol, 18
St Caradec, 15
St Tugdual, 14 
Locmalo, 12 
Guémené, 11
Persquen, 10
Le Croisty, 7
et 20 installés dans le canton mais nés dans des communes environnantes : 
     Séglien, 5
     Guern
  Plouray et Guilligomarch,
Bubry, Berné, Priziac, Mellionnec, Plélauff, Lorient, Inguiniel, Ste Brigitte, 1


La grande majorité des conscrits est formée de paysans, laboureurs ou cultivateurs, fidèles à leur canton et souvent à leur commune d’origine. La fiche militaire comprend une rubrique "signalement" qui décrit les traits du quidam, ses signes particuliers, sa taille, son degré d’instruction. J’y renvoie pour ceux qui voudraient des détails sur leur aïeul. Sachez, cependant, que depuis ce temps, notre race a bien grandi ; à l’époque la taille moyenne des « conscrits bons pour le service » ... de la classe 11 du canton de Guémené était de 1,63 m ; seulement 12 atteignaient ou dépassaient 1,70 m.

Les folies de la « classe » terminées, quelquefois durement réprimées par le curé du village, si l’on en croit le « Petit Journal »…, mais ce n’est pas à Guémené,


car nos jeunes gens ont repris leur activité à la ferme ou à la ville; 
il y a un berger à Guémené, classe 1911,
des sabotiers et des joueurs de boule comme partout en Bretagne.


Pendant ce temps, la machine militaire a procédé à leur affectation. Pour un profane de notre temps, il est difficile de saisir les clés de cette répartition. Beaucoup de nos jeunes sont affectés dans les régiments d’infanterie  et les régiments d’artillerie ; le département en reçoit une bonne partie : 62è RI (10) basé à Lorient, 116è RI (21) et 35è RA (10), basés à Vannes. On en retrouve aussi dans les autres départements bretons : 118è RI (7) basé à Quimper, 41è RI (14) et 28è RA (17) basés à Rennes, 65è RI (19) et 51è RA (1) basés à Nantes, et dans des départements limitrophes ou extérieurs, régiments basés à Mayenne, Angers, Mamers, Cholet, Tours, etc. Evidemment la base navale de Lorient en retient quelques-uns, principalement des engagés. On recrute dans des unités plus spécialisées, génie, chasseurs, cuirassiers, hussards, etc., des hommes ayant des profils physiques ou professionnels particuliers.
Il est remarquable que, sans doute pour éviter la mélancolie et le cafard des Bretons isolés loin de leur paroisse, idéologie bien courante à l’époque (véhiculée depuis 1870 et le fameux camp de Conlie), les conscrits du canton sont généralement affectés au moins deux dans la même unité ; mais, ils sont distribués par ordre alphabétique, donc sans souci d’éventuelles querelles de clocher.
Qu’importe ! Le 10 octobre 1912, pour le plus grand nombre, ils franchissent les grilles de leur caserne afin de goûter aux joies et grandeurs du service militaire.
Voici la caserne qui attend les bleus du 62è de Lorient, située en ville même, dans la perspective de la rue Hoche. Caserne Bisson : on est encore un peu chez nous. Le drapeau tricolore flotte au vent. Grand rassemblement  décontracté dans la cour et aux grilles ; 3 ou 4 pékins dont un, au centre, fait mine de viser le photographe.

Autre vue, même atmosphère détendue. Les enfants et même une jeune fille vaquent dans le voisinage immédiat de la caserne ; on remarque une voiture type caïffa qui pourrait bien proposer autre chose que du café. Les guérites des gardes sont vides, on peut sans doute y lire des affiches connues « engagez-vous ! rengagez-vous ! »

            A Vannes, les choses sont différentes. On a d’abord une caserne dite « des 30 » ouvrant rue Hoche. 
En voici une image plutôt sympathique.


Episode provisoire sans doute. Après la perte de l’Alsace-Lorraine en 1870, Vannes est devenue ville de garnison et, à la fin du 19ème siècle, on a édifié un quartier de casernes sur un vaste territoire près de l’étang du Duc. Entre autres bâtiments, cet ensemble aligne trois casernes, trois barres de même style qui diffèrent par leurs dimensions (il suffit de compter les fenêtres), et leurs entrées sur rue : Foucher Careil (22 fenêtres), Sénarmon (18 fenêtres), la Bourdonnaye (30 fenêtres et un fronton triangulaire).
La première héberge le 35è régiment d’artillerie (commandé un temps par un certain colonel Foch).



La seconde, le 28e d’artillerie.


Le troisième est définitivement affecté au 116è d’infanterie en 1898.


Pour se rendre compte de l’activité du site...

Ça y est, nous y sommes !

Note. Sénarmon : d’abord 28è, cp AN 149 et plus tard 512è cp AN 149 avec autre intitulé ; puis 28è barré pour 35è, cp AN 49. Foucher : 35è, cp AN 150, David 41b, Vasselier 1738. Bourdonnaye : 116è, cp AN 5, Villard 2953 ; puis 65è, cp X ; enfin 116è et 148è (mention manuscrite) cp Vasselier 1796.

Les bleus de la classe 11 font leur entrée dans leur caserne, accueillis comme bien on pense par les anciens. Ça n’est pas vraiment du bizutage, mais ça y ressemble.
Le clairon rythme le temps, plus tard le roulement de tambour entraînera la charge.


RIDEAU

Dehors on rigole, car chacun connaît les usages. Courteline a vanté « les gaietés de l’escadron », il y a bien longtemps déjà. Les comiques-troupiers font les beaux jours du café-concert et des revues itinérantes ; en ville et sur les foires, on s’arrache les feuilles de chansons et monologues de Polin, Bach et les autres (la Madelon a été créée par ces deux compères en mars 1914). Bidasse devient un personnage national ; Tourlourou a le béguin pour sa gentille Bretonne.


On trouve des scènes comiques sur tous les épisodes de la vie à la caserne depuis l’incorporation des bleus jusqu’à la quille ; des dessins dans la publicité, dans la presse illustrée, des cartes postales.


Evidemment, les scènes de punitions et de corvées ont la cote ; la corvée de patates est un standard.


Et puis les scènes de chambrées, bataille de polochons, revues de paquetage, le jus du matin, la soupe. 


On oublie les mauvais moments, les manœuvres,


On se prend à rêver d’une marraine…


Et puis, on attend la quille. Et c’est long !


On fête enfin le père 6 cents,


le père 5 centsle père 3 centsle père machin 
et enfin on fête le père100...


...en attendant la quille !

Ça devient du délire. 
On n’est plus des bleus, sacrebleu, mais des anciens.



Suite au prochain numéro 
" De l’offensive en Belgique à la bataille de la Marne "

3 commentaires:

  1. si la photo de 1912 avait été de 1932 j'aurais pu nommer au moins 2 personnes, étranges ressemblances pour d'autres visages, ils me semblent pas inconnus!

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    1. Merci. oui la photo d'accueil n'était pas appropriée. Je la remplace pas le dessin de conscrits dans l'attente d'une photo plus dans le contexte.

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  2. Comme toujours, ce type de reportage dans le temps me plait et est bien rédigé, animé et colle aux commémorations.
    Associer la vie de notre pays aux événements passés est une qualité de ce site et je vous en remercie.

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