À GUÉMENÉ, la CLASSE !
Le bon temps du service militaire
Oh !
C’était il y a plus de 100 ans. Ça commence précisément le mercredi 20 mars
1912. (Je suppose qu’on a choisi le mercredi pour éviter de perturber le marché
du jeudi.) Aujourd’hui a lieu le conseil de révision des jeunes gens du canton
nés en 1891, la classe 11.
Convoqués
pour 1h de l’après-midi, ils arrivent en rigolant, par bandes, venant des
diverses communes, sans se presser, en habits du dimanche. Un peu émus tout de
même à l’idée de passer à poil devant le major et sa suite mais aussi devant les
copains. Le jury comprend un groupe de militaires et des notables, élus du
Conseil Général.
Depuis
le temps qu’on en parlait, on plonge alors avec délice et appréhension dans le
folklore évoqué par les anciens, le rite initiatique qui va marquer les « élus » et alimenter la boîte aux souvenirs militaires qu’on ressassera jusqu’à
la fin de la vie.
A
la sortie, les groupes se forment au milieu de l’agitation et des
interpellations. L’un crie « Vive la classe ! » ; un autre
« Bon pour le service ! » ; le petit futé ajoute « Bon
pour les filles ! » En moins de deux les marchands de médailles
écoulent leurs breloques.
On
s’épingle les insignes et les écussons,
on s’affuble de colifichets, on tire
bien fort sur la cigarette.
On est un homme, sacrebleu !
On est un homme, sacrebleu !
La
bande s’agite et on se met en branle au son de l’accordéon ou du biniou.
à Guémené, Lody œuvre pour la postérité.
Puis les joyeux fêtards se
répandent dans la ville, honorant de leur visite le plus grands nombre de
bistrots possible avant de rejoindre leur commune et les filles de la classe.
La fête va durer plusieurs jours et plus d’un dormira dans le fossé.
Mais laissons-les
se livrer à leur tournée épique et reprenons le fil historique.
La liste des conscrits du canton regroupe tous les
jeunes gens qui se sont fait connaître pour y habiter le jour où le conseil
aura lieu ; s’y ajoutent ceux qui y sont nés mais ont quitté le canton et
ne se sont pas fait enregistrer dans leur nouveau canton ; on a enfin
quelques cas particuliers.
Après je ne sais quelle cuisine, la liste établie
par les autorités militaires (celle qu’on trouve aux archives départementales)
les présente par ordre alphabétique. Pour la
classe 11, au total 167 garçons
recensés, 147 nés dans le canton :
Ploërdut, 38
Langoëlan,
22
Lignol, 18
St Caradec, 15
St Tugdual, 14
Locmalo, 12
Guémené, 11
Persquen, 10
Le Croisty, 7
et 20 installés dans le canton mais nés dans des communes environnantes :
Séglien, 5
Guern 3
Plouray et Guilligomarch, 2
Bubry, Berné, Priziac, Mellionnec, Plélauff, Lorient, Inguiniel, Ste Brigitte, 1
et 20 installés dans le canton mais nés dans des communes environnantes :
Séglien, 5
Guern 3
Plouray et Guilligomarch, 2
Bubry, Berné, Priziac, Mellionnec, Plélauff, Lorient, Inguiniel, Ste Brigitte, 1
La grande majorité des conscrits est formée de paysans, laboureurs ou cultivateurs, fidèles à leur canton et souvent à leur commune d’origine. La fiche militaire comprend une rubrique "signalement" qui décrit les traits du quidam, ses signes particuliers, sa taille, son degré d’instruction. J’y renvoie pour ceux qui voudraient des détails sur leur aïeul. Sachez, cependant, que depuis ce temps, notre race a bien grandi ; à l’époque la taille moyenne des « conscrits bons pour le service » ... de la classe 11 du canton de Guémené était de 1,63 m ; seulement 12 atteignaient ou dépassaient 1,70 m.
Les folies de la « classe » terminées, quelquefois
durement réprimées par le curé du village, si l’on en croit le « Petit
Journal »…, mais ce n’est pas à Guémené,
car nos
jeunes gens ont repris leur activité à la ferme ou à la ville;
il y a un
berger à Guémené, classe 1911,
des sabotiers et des joueurs de boule comme
partout en Bretagne.
Pendant ce temps, la machine militaire a procédé à
leur affectation. Pour un profane de notre temps, il est difficile de saisir
les clés de cette répartition. Beaucoup de nos jeunes sont affectés dans les régiments
d’infanterie et les régiments d’artillerie ; le département en
reçoit une bonne partie : 62è RI (10) basé à Lorient, 116è RI (21) et 35è
RA (10), basés à Vannes. On en retrouve aussi dans les autres départements
bretons : 118è RI (7) basé à Quimper, 41è RI (14) et 28è RA (17) basés à
Rennes, 65è RI (19) et 51è RA (1) basés à Nantes, et dans des départements
limitrophes ou extérieurs, régiments basés à Mayenne, Angers, Mamers, Cholet,
Tours, etc. Evidemment la base navale de Lorient en retient quelques-uns,
principalement des engagés. On recrute dans des unités plus spécialisées,
génie, chasseurs, cuirassiers, hussards, etc., des hommes ayant des profils
physiques ou professionnels particuliers.
Il est remarquable que, sans doute pour éviter la
mélancolie et le cafard des Bretons isolés loin de leur paroisse, idéologie bien
courante à l’époque (véhiculée depuis 1870 et le fameux camp de Conlie), les
conscrits du canton sont généralement affectés au moins deux dans la même
unité ; mais, ils sont distribués par ordre alphabétique, donc sans souci
d’éventuelles querelles de clocher.
Qu’importe ! Le 10 octobre 1912, pour le plus
grand nombre, ils franchissent les grilles de leur caserne afin de goûter aux
joies et grandeurs du service militaire.
Voici la caserne qui attend les bleus du 62è de
Lorient, située en ville même, dans la perspective de la rue Hoche. Caserne
Bisson : on est encore un peu chez nous. Le drapeau tricolore flotte au
vent. Grand rassemblement décontracté
dans la cour et aux grilles ; 3 ou 4 pékins dont un, au centre, fait mine
de viser le photographe.
Autre vue, même atmosphère détendue. Les enfants et
même une jeune fille vaquent dans le voisinage immédiat de la caserne ; on
remarque une voiture type caïffa qui pourrait bien proposer autre chose que du
café. Les guérites des gardes sont vides, on peut sans doute y lire des
affiches connues « engagez-vous ! rengagez-vous ! »
A Vannes, les choses sont
différentes. On a d’abord une caserne dite « des 30 » ouvrant rue Hoche.
En voici une image plutôt sympathique.
Episode provisoire sans doute. Après la perte de
l’Alsace-Lorraine en 1870, Vannes est devenue ville de garnison et, à la fin du
19ème siècle, on a édifié un quartier de casernes sur un vaste
territoire près de l’étang du Duc. Entre autres bâtiments, cet ensemble aligne
trois casernes, trois barres de même style qui diffèrent par leurs dimensions (il
suffit de compter les fenêtres), et leurs entrées sur rue : Foucher Careil
(22 fenêtres), Sénarmon (18 fenêtres), la Bourdonnaye (30 fenêtres et un
fronton triangulaire).
La seconde, le 28e d’artillerie.
Le troisième est définitivement affecté au 116è
d’infanterie en 1898.
Pour se rendre compte de l’activité du site...
Note.
Sénarmon : d’abord 28è, cp AN 149 et plus tard 512è cp AN 149 avec autre
intitulé ; puis 28è barré pour 35è, cp AN 49. Foucher : 35è, cp AN
150, David 41b, Vasselier 1738. Bourdonnaye : 116è, cp AN 5, Villard
2953 ; puis 65è, cp X ; enfin 116è et 148è (mention manuscrite) cp
Vasselier 1796.
Les bleus de la classe 11 font leur entrée dans
leur caserne, accueillis comme bien on pense par les anciens. Ça n’est pas
vraiment du bizutage, mais ça y ressemble.
Le clairon rythme le temps, plus tard le roulement
de tambour entraînera la charge.
RIDEAU
Dehors on rigole, car chacun connaît les usages.
Courteline a vanté « les gaietés de l’escadron », il y a bien
longtemps déjà. Les comiques-troupiers font les beaux jours du café-concert et
des revues itinérantes ; en ville et sur les foires, on s’arrache les
feuilles de chansons et monologues de Polin, Bach et les autres (la Madelon a
été créée par ces deux compères en mars 1914). Bidasse devient un personnage
national ; Tourlourou a le béguin pour sa gentille Bretonne.
On trouve des scènes comiques sur tous les épisodes
de la vie à la caserne depuis l’incorporation des bleus jusqu’à la
quille ; des dessins dans la publicité, dans la presse illustrée, des
cartes postales.
Evidemment, les scènes de punitions et de corvées ont
la cote ; la corvée de patates est un standard.
Et puis les scènes de chambrées, bataille de
polochons, revues de paquetage, le jus du matin, la soupe.
On oublie les mauvais moments, les manœuvres,
On se prend à rêver d’une marraine…
Et puis, on attend la quille. Et c’est long !
On fête enfin le père 6 cents,
le père 5 cents, le père 3 cents, le père machin
et enfin on fête le père100...
...en attendant la quille !
Ça devient du délire.
On n’est plus des bleus,
sacrebleu, mais des anciens.
Suite
au prochain numéro…
" De l’offensive en Belgique à la bataille de la Marne "
si la photo de 1912 avait été de 1932 j'aurais pu nommer au moins 2 personnes, étranges ressemblances pour d'autres visages, ils me semblent pas inconnus!
RépondreSupprimerMerci. oui la photo d'accueil n'était pas appropriée. Je la remplace pas le dessin de conscrits dans l'attente d'une photo plus dans le contexte.
SupprimerComme toujours, ce type de reportage dans le temps me plait et est bien rédigé, animé et colle aux commémorations.
RépondreSupprimerAssocier la vie de notre pays aux événements passés est une qualité de ce site et je vous en remercie.