CHAT ALORS, CH'EST AFFREUX !
Guillaume Le Borgne (1866-1927) est né et vécut toute sa vie en Pays Pourleth. Bien connu de ses contemporains pour ses talents de chanteur et de beau parleur, ce barde paysan de Saint Zénon en Séglien est l'auteur de nombreuses chansons, de contes et d'une pièce de théatre (ar spontailhoù). Il collabore à la revue lorientaise Dihunamb. En 1981, l'un de ses petits neveux réunira l'ensemble de ses écrits dans un receuil intitulé Obéreù en in-noz.
Ses contes sont des histoires bien de chez nous qui vont de l'apologue quasi-édifiant (Pauvre fille , L'émigration) à la légende, la farce en se moquant de l'autorité des villages décrits avec soif de détails réalistes. Ils sont écrits tels qu'ils furent dits dans les veillées avec beaucoup de drôleries.
Nous vous invitons à lire une petite histoire savoureuse "le Chat de Saint Hervezen", que l'on peut raconter avec verve à des amis. La conclusion plaira sûrement aux dames. Bonne lecture...
LE CHAT de SAINT-HERVEZEN
traduction du breton par Jean-Yves Plourin
A Saint-Hervezen en Lignol demeurait autrefois un
charpentier prénommé Kolas. Sa femme et lui étaient déjà avancés en âge. Sans
enfants, et un peu sots sans doute, ils avaient reporté leur affection sur leur
chat, lequel bien qu'ayant fière allure, le poil noir et long à la mode angora,
répondait volontiers au nom fort commun de Mirouch. La brave bête avait appris
de Kolas un grand nombre de tours et de jeux, mais surtout elle aimait aller
chercher son maître, chaque soir, lorsque celui-ci rentrait de journée.
Une nuit, plus sombre qu'à l'accoutumée, alors que
Kolas traverse la lande de Goeh-er-Hor, quelque chose bouge dans les buissons.
« Un lièvre, se dit Kolas, ou un lapin.
Un bon bout de viande pour la
popote de ma petite vieille ».
Il se précipite et frappe de toutes ses forces à l'aide de l'épaisse règle de bois qui ne quitte jamais le charpentier. Le gibier est étendu raide mort. Mais hélas, se penchant, il s'aperçoit qu'il vient d'expédier le chat Mirouch, oui, celui-là même qui venait tous les soirs sans exception à la rencontre de son maître.
Kolas est au bord des larmes. Et, par ailleurs, que va-t-il bien pouvoir dire à sa femme ? S'il ne veut pas entendre un sermon des plus désagréables, mieux vaut qu'il se taise.
Pourtant, parvenu chez lui, Kolas n'arrête pas de
soupirer. A le voir si contrarié, Fanchon demande finalement :
« Qu'est-ce qui vous rend si
chagrin ce soir, Kolas ? »
– Ah, ma pauvre, répond-il, j'ai fait du propre. J'en ai tué un. Mais n'allez pas ébruiter cela.
– Vous en avez tué un ? reprend Fanchon épouvantée. Vous êtes devenu fou ! Bien sûr que je n'en dirai rien, mais comment avez-vous pu commettre un tel crime ? "
Le lendemain matin, aussitôt
Kolas parti vers son chantier, Fanchon file chez son amie la plus proche.
« Ah, commère, quel tourment mon
dieu ! ....
– Pourquoi Fanchon ?
– Je n'ai pas le droit de vous le dire !
– Allons, vous me connaissez assez quand même, je sais tenir ma langue, cela restera entre nous, vous pouvez être tranquille. »
– Pourquoi Fanchon ?
– Je n'ai pas le droit de vous le dire !
– Allons, vous me connaissez assez quand même, je sais tenir ma langue, cela restera entre nous, vous pouvez être tranquille. »
Et Fanchon révèle tout :
« Mon homme en a tué un
hier soir. N'allez le dire à personne, car ce serait la prison pour lui.
– Bien sûr, n'ayez pas peur, dit l'autre ».
A peine Fanchon a-t-elle le
dos tourné que la commère Suzannne est
déjà sur le chemin du lavoir.
Tout le monde sait que les
nouvelles s'entendent mieux au lavoir, et que c'est là que tout se déballe, le
bon et le mauvais. En même temps que la laveuse décrasse le pantalon, elle fait
aussi la toilette du propriétaire. Tout en blanchissant leurs dentelles, il
arrive que l'on noircisse quelque peu la réputation de la mère et de la fille.
Les deux torchons que Suzanne a apportés pour justifier sa présence sont à
peine à l'eau que sa langue va déjà bon train :
« N'avez-vous pas entendu
parler de la lamentable affaire qui s'est passée hier soir ? »
Aussitôt le silence se fait,
les battoirs restent comme suspendus en l'air, les têtes se tournent.
« Non ! répondent
les laveuses d'une seule voix, que s'est-il donc passé ?
– Un fait incroyable, un crime. Mais je n'en dirai rien,
car on me l'a interdit.
– Allons, dit Katell, la plus âgée et la plus pipelette
de la bande, le lavoir en a entendu de belles, mais ce n'est pas d'ici que
partent les rumeurs. Et pour ce qui est de votre affaire, nous saurons encore
rester discrètes.
– Bien, dit Suzanne qui n'y tenait plus, Kolas le
charpentier en a tué un hier soir au retour de sa journée. Qui l'aurait cru de
sa part ?
– Personne, répond-on en chœur.
Cinq minutes plus tard, le lavoir est désert, mais le village tout entier est au courant du méfait. Midi sonne quand la nouvelle atteint Guémené. Avant le soir, deux éléments de la maréchaussée attendent Kolas sur le pas de sa porte, tenant la lourde chaîne qu'ils lui passeront aux bras.
Apercevant les gendarmes,
Kolas sent son sang se figer, sans trop savoir pourquoi. Mais quel est
l'honnête homme qui n'est pas pris d'un doute irrépressible rien qu'à la vue
d'une paire de ces redoutables représentants de l'ordre ?
– Est-ce que vous êtes
Kolas le charpentier ?
– Oui, fait Kolas, surpris.
– Dans ce cas, dit un gendarme d'une voix rude, au nom
de la loi, vous êtes prisonnier. »
Et les deux militaires de
le mettre aux fers.
« Mais, demande Kolas,
qu'ai-je fait ?
– Qu'avez-vous fait ? Mais malheureux, vous avez
tué un homme hier soir, réplique le brigadier, d'une voix tonitruante. Nous
avons le témoignage de votre femme qui vous a courageusement dénoncé, comme
c'était d'ailleurs son devoir. »
Kolas se souvient alors
d'avoir, la veille, évité comme il avait pu d'avouer à Fanchon que le chat
Mirouch était mort, et que c'était de sa faute.
« Veuillez m'excuser,
brigadier, dit alors fermement Kolas, jamais je n'ai eu à dire à ma femme que
j'avais tué un homme.
– Je n'y comprends plus rien, dit le brigadier.
– Hier soir, reprend Kolas, par accident j'ai tué mon
chat Mirouch, et cela me désole, car c'était le chat le meilleur et le plus
fidèle. A Fanchon, qui l'aimait tout autant que moi, j'ai caché mon péché en
disant maladroitement que j'en avais tué un. Voilà tout. »
On montra le pauvre chat mort
aux gendarmes ;
l'affaire fut ainsi élucidée.
Kolas, en homme de bon sens, se
garda bien de reprocher à son épouse d'avoir été trop 'barbot'. Ce n'était pas la
peine. Car, au lavoir de Saint-Hervezen comme aux autres lavoirs, les
lavandières font toujours aller leur langue au sujet du prochain dont elles
frappent le linge. Et il en sera ainsi tant qu'il y aura des femmes, autant
dire jusqu'à la fin du monde.
Pour les amateurs de langue bretonne,
voici la version originale de guillam er borgn
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