Il y a 155 ans, les
fusils exterminèrent les derniers loups de Persquen.
Ainsi qu’on le lira ci-dessous, un
procès-verbal du maire certifie le fait et permettra aux chasseurs de toucher
leurs primes auprès du sous-préfet.
Bien
que l’écriture ne souffre pas de difficultés majeures, pour faciliter la
lecture nous donnons une copie en caractères d’imprimerie avec une ponctuation
plus claire.
« L’an mil huit cent soixante-trois,
le vingt-six septembre, nous, maire de la commune de Persquen, arrondissement
de Napoléonville, certifions que les sieurs : Nicolo Yves, demeurant au
bourg de cette commune, nous a présenté une louve non pleine âgée d’environ 4
ou 5 ans ; et Le Dily Louis demeurant au Kersquer en cette commune, nous a
présenté un louveteau ; qu’ils ont déclaré avoir tués le vingt-six de ce
mois au moyen des fusils. Nous certifions en outre que les pattes antérieures
droite de ces deux animaux a été détachées en notre présence pour être
adressées à Monsieur le Sous-Préfet de Napoléonville en même temps que le
présent Procès-Verbal pour que les nommés : Nicolo Yves obtienne la prime
de quinze francs à laquelle il a droit, et le nommé Le Dily Louis obtienne la
prime de six francs à laquelle il a droit. Ces animaux ont été tués au même
moment au bois de Cosquodo en cette commune. Fait en mairie de Persquen les
jour et mois et an que dessus. Le maire.
Jh
Allanic »
A cette époque, le loup, accusé de tous les méfaits
possibles et imaginables, était considéré comme le prédateur majeur des brebis
et partageait avec le diable et l’ankou le masque terrifiant des contes à la
veillée. Le monstre attaquait les femmes et les petits enfants, surtout vêtus
de rouge, comme chacun sait. Néanmoins, il existait des variantes. En Russie, Prokofiev rapporte en musique que le loup mangeait aussi les canards mais Pierre lui réglait son compte avec l’aide astucieuse de
son ami oiseau.
La Bretagne, si on en croit l’image suivante, s’en
tirait sans trop de casse. Le loup
aimait la pâte à crêpes et attaquait sournoisement Perrette ;
la pauvrette, bousculée, se retrouvait assise près du pot brisé, et, ayant tout
perdu, en était réduite à prendre le pan de son tablier pour essuyer ses larmes.
Nos jeunes gens dévoués et hardis pistaient alors le coupable, couraient et
levaient le bâton en cadence, comme à la parade ; à en perdre son
chapeau ! Notez bien que l’observateur scrupuleux ne montre qu’un
arrière-train de la bête délictueuse au point que le chien du voisin a tout
intérêt à se faire oublier…
On ne sait
pas si l’écologie perçait déjà sous Bonaparte. C’est peu probable. Victor Hugo, exilé à Jersey, fustigeait dans le recueil « les
châtiments », celui qu’il nommait « Napoléon le petit », le
président de la République élu qui trahit son serment et se fait empereur par
un coup d’état. Entre autres morceaux, « Ultima verba » mais aussi « le
manteau impérial ». Il y exhorte les abeilles,
filles de lumière, à quitter la symbolique
parure et à châtier l’immonde trompeur. Hugo choisissait le parti des abeilles,
Vigny était fasciné et bouleversé par la mort du loup.
Rêveurs ! Moralistes ! Depuis Louis-Philippe, le roi des Français à
tête en forme de tirelire, le mot d’ordre était déjà :
« enrichissez-vous ! »
Ainsi
donc, les loups ont perdu
progressivement leur patte avant droite et on n’en entendit plus parler sauf
pour effrayer les tout petits enfants. Jusqu’au jour où un génie américain s’en
vint quérir une patte conservée à Pontivy dans un cabinet de curiosités, proche
la sous-préfecture. Du moins, c’est ce que j’entendis raconter le premier avril 1993 par un ami anglais ; il venait de
lire « The Independant », un journal sérieux généralement bien
informé, qui annonçait par ailleurs que des archéologues avaient mis au jour
les ruines du village gaulois d’Astérix précisément à l’emplacement annoncé
dans ses albums par René Goscinny. Donc, pour en
revenir à nos moutons, ou plutôt à la patte de loup, à partir de ce vestige, le génie reconstitua l’animal tout de
vrai. Prodigieux ! Même pelage, même pantalon, même chapeau, même œil
farouche. Et voilà le résultat : « Qui a
peur du Grand Méchant Loup ? »
Walt Disney était toujours le plus fort !
Pas
si sûr ! Depuis, on a progressé et sérieusement. Fini le temps des crayons
et des pinceaux du grand Walter. Finis l’illusion, l’écran de fumée du
prestidigitateur ; finis la cornue,
le creuset, le mortier, le pilon du Dr Faust. En 1996, chacun s’en souvient, on a cloné la brebis Dolly qui vint au monde en Ecosse.
Quelle divine startup nous clonera le « bon » loup qui ne mangerait que Dolly et ses sœurs ? Plus d’ours,
plus de loups dans nos montagnes, un
spectacle par jour dans le parc animalier dernier cri, sans odeur, climatisé, à
petit prix pour les familles, restaurant Mc Do compris. De quoi réconcilier
l’écologie et les bergers, la chèvre et le chou, le chasseur et l’alouette, le
macareux et le mazout, le porte-conteneurs de 400 m de long et la mer qu’on
voit danser « le long des golfes pas très clairs ». J’en passe, et
des pires…
Persquen* n’ouvrira pas de parc animalier,
c’est sûr. Mais pourquoi n’hébergerait-il pas le parc régional que le Pays Pourlet devrait
imaginer en s’appuyant sur ses atouts incontestables : lumière,
paysages, patrimoine architectural et culturel, histoire, bonne humeur ?
Mieulx est de ris que de larmes escripre,
Pour ce que rire est le propre de l'homme.
* Vous avez dit singularité du pays
pourlet ? Un jour, le jeu des mille euros apporte enfin une réponse à la
question que nous nous posons tous depuis notre naissance : pourquoi on
prononce nos villages dont le nom finit en « en » ici ène et là ain.
Réponse : ène sur le littoral et ain à l’intérieur. Pont-Aven, Erdeven,
oui, c’est sur la côte ; Pleyben, Rostrenen, Lesneven, Elven, Quelven, oui,
à l’intérieur. Mais pas Persquen, ni la Motten, ni Kernascleden ! Cas très
particuliers. Les candidats du jeu ont chuté ; ils peuvent poser une
réclamation…
Remerciement chaleureux
à Mme Anne Guégan-Allanic
qui nous communiqua le document signé par Joseph
Allanic, son trisaïeul.
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