Les CONSCRITS de LOCMALO
Voici une
nouvelle page de la longue histoire des conscrits du canton de
Guémené.
Le blog en a déjà présenté plusieurs épisodes remontant aux
temps anciens mais celle-ci apporte un éclairage plus large sur la
vie de l’époque.
Ce
mercredi 9 juillet 1924,
convoqués à 9 h du matin, ils arrivent en rigolant, par bandes,
venant des diverses communes, sans se presser. Un peu émus tout de
même à l’idée de passer à poil devant le major et sa suite mais
aussi devant les copains. Le jury comprend un groupe de militaires et
des notables, élus du Conseil Général.
Depuis
le temps qu’on en parlait, on plonge avec délice et appréhension
dans le folklore évoqué par les anciens, le rite initiatique qui va
marquer les « élus » et alimenter la boîte aux
souvenirs militaires qu’on se repassera jusqu’à la fin de sa
vie.
On
s’épingle les insignes et les écussons, on s’affuble de
colifichets, on tire bien fort sur la cigarette.
On est un homme,
sacrebleu !
Dans
un passé récent, on avait connu la prouesse digne de « Jour
de Fête » des gars de St
Tugdual (1922, l’Ouest Républicain du 30 mars). Ils
avaient fait irruption à Guémené
tous à vélo, roue dans roue derrière leur maire, et grimpé les
rues comme un peloton du tour du Morbihan ! tour de l’Ouest !
tour de France ! (Rayer la mention inutile). « V’nez
voir les gars ! y a les ceusses de St
Tugdual qui font leur
tournée à l’armoricaine * ! »
Cette
fois-ci, ce sont les gars de Locmalo
qui créent l’événement et donnent la touche d’humour du
millésime.
Les
23 gaillards adoptent une tenue quasi réglementaire de campagne :
« Il était une fois dans l’ouest » ; tolérant
néanmoins un certain panachage. La majorité affiche donc la
traditionnelle blouse bleue du paysan en sortie (17/23). Et, à
défaut du chapeau de cow-boy, à l’unanimité, on coiffe la
casquette à la mode.
Les
voici ! Passage obligé devant l’œil du photographe et du
petit oiseau qui va sortir de la boîte.
Chacun
porte ses médailles et ses breloques, tous ou presque ont la cibiche
au bec. Seul l’accordéoniste présente le visage tendu de
l’artiste concentré. Mais si l’heure est à la rigolade, le
drapeau révèle la solennité du jour, copiant celui des pères, les
héroïques poilus. La Madelon manque à son devoir alors on boit à
sa santé ! La bande des quatre assoiffés ont posé la
casquette sur le rebord de la fenêtre. Tout à l’heure on fera la
tournée des cafés de Guémené
et de Locmalo,
sans oublier les maisons où vivent les filles de la classe… La
fête va durer plusieurs jours et plus d’un dormira dans le fossé…
Revue
de détail. En rang par quatre, scrogneugneu !
A gauche, gauche !
A gauche, gauche !
Une !
Deux !
Trois !
A
droite, droite !
Une !
Deux !
Trois !
Cette
photo intéresse l’histoire de Guémené.
En effet, Lody
décédé en août 1923, c’est son ami Jean
Le Lamer qui a pris la
relève en photographie locale. Sa boutique constitue donc le cadre
du décor. Si elle n’a pas le cachet de celle du maître défunt
qui offrait à la contemplation béate des passants de la rue de la
Laine des quantités de photos remarquables, elle rend compte de la
double activité du successeur : photographie et salon de
coiffure. Les petits railleurs guémenois disaient que tout ça était
affaire de pellicules !
Le
groupe pose devant l’échoppe, au bas de la Grande Rue, entre la
solide maison du carrefour de la rue de la Carrière (Maria
Olivier dans les années
50-60) et la maison du ferblantier (plus tard, Guillemot,
café du Centre). La voici blottie entre ses grandes voisines dans
les années 1900.
Gros
plan sur la maison de gauche au temps des bonbons de Maria
Olivier. Pour ceux qui
douteraient encore, notez bien les grilles sous les devantures.
Maintenant,
rapprochons les images avant de tourner la page.
La
photo donne à voir aussi les fameux pavés de la Grand’rue que,
selon les journaux du temps, on s’apprête à renouveler. Aussi
bien, ayons un œil attendri pour ces vénérables reliques de
pierres usées par les ans et les défilés de toutes sortes.
Je
suppose que d’aucuns s’interrogent sur ce conseil de révision
tenu en juillet 1924 et concernant la classe 1925.
Encore
un dégât collatéral de la Grande Guerre. Jusqu’en 1913,
le conseil de révision de l’année visitait les conscrits du
millésime et on ne reparlait plus ou peu des ajournés. Avec la
guerre, on a pris l’habitude de réexaminer systématiquement leurs
cas sinon pour en faire des soldats au moins des auxiliaires et des
supplétifs. Dans les années 20, on maintient cet usage. Le Journal de Pontivy en fait part à
peu près chaque année pour le canton de Guémené ;
ainsi dans l’édition du 15 juin 1924 :
« les opérations du conseil de révision de la classe 25 et des ajournés des classes 24 et 23 auront lieu à Guémené le mercredi 9 juillet prochain à 9 heures du matin. »
A
l’occasion, la gazette donne des résultats. Exemple dans le numéro
du 18 mars 1923 :
le conseil de révision a eu lieu samedi matin à Pontivy, résultats
pour le canton, classe 20, 2 bons /4, classe
21, 2 bons /12, classe
22, 22 bons /42, classe
23, 204/268.
Autre
événement, en 1923,
le service militaire qui était de 3 ans, passe à 18 mois.
Pour
des raisons qui m’échappent, on décide d’appeler au conseil de
révision non plus une classe millésimée complète mais deux
moitiés de classes chevauchant deux années. S’ensuit un
glissement de date des conseils de révision alors qu’ils avaient
lieu plutôt dans la période creuse de l’hiver. La confusion
atteint des sommets pour les amateurs de photos des conscrits car on
imagine assez mal que nos loustics se présentent en ordre
« militaire » devant le photographe, distinguant premier
contingent de l’année du conseil, 2ème
contingent de l’année précédente, ajournés reconnus aptes des
deux années précédentes, elles-mêmes divisées en contingents.
Exemple tiré du Journal de Pontivy, édition du 25 février 1934.
N’en jetez plus, la cour est pleine !
On
ne va tout de même pas quitter nos conscrits sans dire un mot de
leur affectation.
Nous
sommes en paix, c’est entendu, mais cependant, l’armée a
toujours besoin d’effectifs importants pour exécuter ses diverses
missions.
La
plupart des conscrits se retrouveront dans les casernes du territoire
et deviendront de braves soldats destinés à protéger l’intégrité
nationale. Certains choisiront le mirage de la présence dans les
colonies nord-africaines : Algérie,
Tunisie,
Maroc.
D’autres rejoindront les unités qui garantissent la bonne
application des mesures découlant du traité de Versailles, au sens
où l’entend la souveraine Commission des réparations.
Ainsi,
dans son édition du 14 janvier 1923,
le Journal de Pontivy informe ses lecteurs
que les troupes françaises et belges occupent la Ruhr:
4 divisions françaises appuyées par 2000 soldats belges entrent à
Essen,
suite à la décision de la Commission des réparations par 3 voix
(France, Belgique, Italie) contre 1 (Angleterre), pour manquements
volontaires de l’Allemagne en livraisons de bois et charbon.
Présentées comme simples mesures de police et de protection de nos
ingénieurs, l’affaire s’envenime : protestations en Allemagne
contre l’occupation (édition du 21) ; action française
contrariée (édition du 28) en dépit de son exemplarité (25
mars). Il y a eu des incidents tragiques aux usines Krupp et trois
soldats français ont perdu la vie (13 mai) sans compter les civils
allemands.
Le
numéro du 30 septembre 1923 précise : l’appel du
2ème
contingent de la classe 23 aura lieu à partir du 12 novembre ;
les recrues destinées aux corps de troupes de l’Algérie,
de la Tunisie,
du Maroc
et de la Sarre
seront dirigées dès convocation sur leur corps pour y être
incorporés ; les recrues destinées à l’Armée
du Rhin seront convoquées
dans les centres de rassemblements régionaux, formées en
détachements et transportées vers leurs garnisons d’incorporation,
dans les mêmes conditions que celles du 1er
contingent.
L’occupation
de la Ruhr
s’achève en août 1925 mais celle de la Rhénanie,
par l’ensemble des forces de l’alliance, se poursuivra jusqu’en
1930.
Plusieurs
soldats du Pays Pourlet participeront à ces opérations.
C’est le
cas de Joseph Allanic, conscrit 1925 de
Locmalo,
présent sur la photo
(croix X au crayon).
Témoignage d'Anne Allanic, fille de Joseph :
« Mon
père a fait son service militaire en Allemagne ; il a été
ordonnance d'un officier qui s'appelait "Le Brun", il en
parlait souvent. Je crois que c'était à Mayence.
Nous
avions chez nous un grand cadre avec sa photo au milieu et tout
autour des photos de villes sur le Rhin et en grand était marqué :
"Souvenir de mon service militaire, Armée Française du Rhin.
Je me souviens que pendant la guerre nous avions eu une fouille de
nuit par les Allemands qui recherchaient ceux que l'on appelait les
"réfractaires" et ces soldats étaient tombés en arrêt
devant cette photo, mais je ne sais pas ce qu'ils avaient dit. »
*
Image tirée du film "Jour de Fête" de Jacques
Tati.
Merci
mille fois à Madame
Guégan-Anne
Allanic,
pour cette photo
dont l’importance n’échappera à personne.
Que Guémené semblait beau !
RépondreSupprimerMon grand-père, Joseph Le Blévec qui habitait dans la ferme de son père à Kerboudonnet en Locmalo est sur la photo des conscrits... la série A droite, droite... la photo 2.. le seul qui n'a pas de chapeau et qui regarde bien droit devant. Annie Bonhomme Gautier (ma mère Odette le Blévec née aussi à Kerboudonnet en 1931)
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